Libre circulation: le signal fort des partenaires sociaux
Quatre mois seulement se sont écoulés entre le lancement en février de la campagne du Conseil fédéral contre l’initiative de l’UDC pour résilier l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE et la remobilisation des troupes ce lundi. Pourtant, après la crise du coronavirus et le report de la votation au 27 septembre, tout ou presque a changé.
Chargée du dossier, la ministre de Justice et Police, Karin Keller-Sutter, a pris soin de s’entourer cette fois des partenaires sociaux. Elle a tiré les leçons de la cuisante défaite subie par le gouvernement en février 2014, lorsque l’UDC avait réussi à faire approuver son initiative «Contre l’immigration de masse». A l’époque, les partenaires sociaux avaient joué au poker: les syndicats avaient exigé un renforcement des mesures d’accompagnement que le patronat leur avait refusé, un bras de fer que le ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, avait échoué à arbitrer.
En 2020, ces mêmes partenaires sociaux montrent un tout autre visage. Ils se sont unis derrière la réforme de la rente-pont, soit une prestation transitoire pour les chômeurs en fin de droits de plus de 60 ans. Et la crise du coronavirus n’a fait que renforcer cette unité. Tout le monde s’est retrouvé pour étendre les aides à de nouvelles catégories de personnes, comme les indépendants et les travailleurs dotés d’un contrat à durée déterminée, notamment.
Ce n’est pas la sainte alliance. Les partenaires sociaux ne vont pas faire campagne dans un comité commun. Mais ils n’en seront que plus crédibles. Le patronat insistera sur les enjeux économiques, tandis que les syndicats souligneront les progrès de la protection des travailleuses et travailleurs: ceux-ci sont désormais 1,9 million à disposer d’une CCT, contre seulement 1,4 million avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes.
Face à un adversaire, l’UDC, qui se cherche désespérément un président et une nouvelle figure emblématique pour incarner ce combat, le Conseil fédéral est bien parti pour effacer le cauchemar de la votation de 2014, qui avait plongé sa relation avec l’UE dans une ère de glaciation. La crise a même permis de mieux distinguer ce scrutin de l’enjeu crucial de l’accord institutionnel. L’échéance, le 26 mai dernier, pour la reconnaissance mutuelle des produits de technologie médicale, a été repoussée d’un an. Mais ce n’est là qu’un répit de courte durée. Car après ce vote, la Suisse devra bien affronter son destin sous la forme d’un accord, même si certains de ses points restent à préciser.
Effacer le cauchemar de la votation de 2014
INITIATIVE DE L'UDC Pour contrer l’initiative qui veut résilier l’accord de libre circulation des personnes, la conseillère fédérale cède la vedette au patronat et aux syndicats
Ce devait être une conférence de presse du Conseil fédéral. Mais ce sont les partenaires sociaux qui en ont tenu la vedette. Pour relancer sa campagne, interrompue par la pandémie de Covid-19, face à l'initiative de l'UDC pour résilier l'accord sur la libre circulation des personnes passé avec l'UE, la ministre Karin Keller-Sutter a invité quatre représentants du patronat et des syndicats: HansUlrich Bigler (USAM) et Valentin Vogt (UPS) pour les premiers, et Pierre-Yves Maillard (USS) et Adrian Wüthrich (Travail. Suisse) pour les seconds. Tous ont souligné que l'approbation de cette initiative ne ferait qu'ajouter une crise économique structurelle à l'actuelle crise sanitaire.
Karin Keller-Sutter a rappelé que l'enjeu allait bien au-delà du texte de l'initiative. En fait, l'UDC et son bras armé qu'est l'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) s'attaquent à la voie bilatérale, celle que le Conseil fédéral a arrachée à l'UE au terme de sept ans de laborieuses négociations
«L’UDC veut une main-d’oeuvre étrangère toujours suffisante, mais moins bien payée et sans sécurité de l’emploi»
PIERRE-YVES MAILLARD, PRÉSIDENT DE L’USS
après le non du souverain à l'Espace économique européen (EEE) en 1992. Car l'accord sur la libre circulation des personnes fait partie du paquet des bilatérales I, soit sept accords liés entre eux par une clause guillotine. Si le peuple dit oui le 27 septembre prochain, c'est toute la charpente de la maison européenne suisse qui s'effondre tel un château de cartes.
Les bilatérales, la voie de la réussite
En conviant les partenaires sociaux à «sa» conférence de presse, la conseillère fédérale a voulu exorciser tous les démons ayant conduit à la cinglante défaite du Conseil fédéral sur l'initiative «Contre l'immigration de masse» du 9 février 2014. A l'époque, le patronat et les syndicats s'étaient déchirés sur la question de renforcer les mesures d'accompagnement destinées à préserver le marché du travail d'une sous-enchère salariale.
Aujourd'hui, ce sont eux qui se sont faits les plus ardents avocats de la voie bilatérale. «C'est la voie de la réussite», a résumé le président de l'Union patronale suisse (UPS), Valentin Vogt, rappelant que la valeur totale du premier paquet d'accords est estimée à 64 milliards de francs. A ses côtés, Hans-Ulrich Bigler, le directeur de la faîtière des PME, une USAM soudain claire dans son discours depuis qu'elle s'est récemment émancipée de la tutelle de l'UDC. «Il serait donc irresponsable de refuser aux PME l'accès à un important réservoir de main-d'oeuvre qualifiée», a-t-il déclaré.
Du côté syndical, Pierre-Yves Maillard étale ses qualités de bâtisseur de compromis qu'on lui connaissait au Conseil d'Etat vaudois. «Aux côtés du Conseil fédéral, les partenaires sociaux ont démontré très concrètement leur capacité à trouver des solutions communes et rapides, sans mettre leurs différends de côté, mais en tenant compte de l'urgence sociale», a noté le président de l'USS.
Le patron des syndicats a dénoncé le vrai motif de l'initiative de l'UDC, qui n'est pas forcément de faire baisser l'immigration. «En fait, ce parti veut s'attaquer au mécanisme de protection des travailleurs que le parlement a greffé sur la libre circulation des personnes. Il veut une main-d'oeuvre étrangère toujours suffisante, mais moins bien payée et sans sécurité de l'emploi.»
L’engagement des hautes écoles
Etonnamment, l'UDC n'a toujours pas fixé la date de la conférence de presse devant lancer sa campagne. En attendant, l'un de ses vice-présidents, Marco Chiesa, craint que la crise du coronavirus n'engendre une forte augmentation du chômage. «Cette crise a montré notre trop forte dépendance de l'étranger, notamment dans le secteur sanitaire. Nous devons former plus de personnel et renoncer à la libre circulation, un modèle globalisé qui exerce une pression énorme sur nos infrastructures, notre environnement et notre marché du travail.»
Difficile de dire pourquoi l'UDC partira si tard au combat. Ses adversaires ont désormais une longueur d'avance. Même les milieux académiques, eux qui avaient été les premières victimes du vote de 2014, se mobilisent. A l'époque sur la réserve, les hautes écoles ont déjà pris position pour rejeter cette initiative. Président de Swissuniversities et recteur de l'Université de Genève, Yves Flückiger l'affirme sans ambages: «Cette initiative menace notre accord sur la recherche avec l'UE et son acceptation aurait de graves répercussions sur la compétitivité et la capacité d'innovation des hautes écoles dont le succès est aussi garant de l'économie de notre pays.»
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