Covid-19, des souffrances sans fin
PANDÉMIE Plusieurs mois après les premiers signes de la maladie, certains patients souffrent toujours du Covid-19. Ces symptômes persistants font l’objet d’une attention particulière, mais leur cause demeure un mystère
CORONAVIRUS Un grand nombre de patients positifs au SARSCoV-2 en font l’amère expérience: les symptômes peuvent être persistants ou récidivants
■ Des malades ont décrit au «Temps» des histoires similaires. Une première phase, une rémission apparente, puis des douleurs qui durent parfois des mois
■ A Genève, la cellule chargée du suivi des malades estime que la moitié d’entre eux sont concernés par ce phénomène. Les maux diffèrent selon l’âge des patients
■ L’origine de ces effets persistants reste un mystère pour les scientifiques. Cette situation qui se prolonge pèse également sur la santé mentale des malades
Pour certains patients, le Covid-19 est une maladie qui semble ne pas finir. Les témoignages de personnes pour lesquelles le SARSCoV-2 n’a pas nécessité une hospitalisation se multiplient et pourtant, plusieurs mois après les premiers symptômes, elles en ressentent toujours les effets. Sur Twitter, ils sont de plus en plus nombreux à signaler des symptômes persistants et à échanger à propos de leur cas sur les #apresJ20, #apresJ90, ou #covidlong.
Laetitia, 30 ans, s’est confiée au Temps. Ses premiers symptômes sont apparus à la fin du mois de mars, se traduisant par une perte partielle du goût et de l’odorat pendant une dizaine de jours. Son état s’améliore ensuite, mais à la fin du mois d’avril elle fait une rechute. «Le dernier dimanche d’avril, je me suis levée avec une toux sèche, en étant très fatiguée et avec les membres lourds comme si je pesais une tonne, détaille-t-elle. J’ai aussi commencé à être très essoufflée et à avoir des problèmes d’attention.»
«La première semaine de la maladie, je pouvais travailler, mais le septième jour j’étais incapable de me lever et je respirais mal» MÉLODY, 33 ANS
S’y ajoutent un retour de la perte du goût et de l’odorat, des maux de tête et des étourdissements. «A ce moment-là, je me suis rendue à la consultation Covid au Flon, à Lausanne, où j’ai passé un test PCR [test de diagnostic moléculaire mettant en évidence la présence du virus chez une personne, ndlr] qui était négatif, poursuit-elle. C’est mon médecin traitant qui m’a diagnostiquée Covid il y a deux semaines, selon le tableau clinique.»
Un état de santé fluctuant
A quelques détails près, Mélody, 33 ans, a vécu le même scénario. Les premiers signes de la maladie se déclarent le 23 mars et s’interrompent un peu plus d’une semaine après, avant de revenir, plus intensément, le 19 avril. Elle se rend alors à l’hôpital pour réaliser un test PCR, négatif, et des examens complémentaires.
«J’ai passé une radio des poumons, un ECG (électrocardiogramme) et une prise de sang, dont les résultats étaient bons, il n’y avait rien à signaler, témoigne-t-elle. La première semaine de la maladie, je pouvais travailler, mais le septième jour j’étais incapable de me lever et je respirais mal. En avril, j’ai dû rester couchée pendant quatre jours.» Depuis le début du mois de mai, ses douleurs thoraciques se sont arrêtées, mais elle souffre désormais de douleurs dans les membres et d’un mal de tête persistant.
Cet aspect fluctuant des symptômes est encore évoqué dans un autre témoignage recueilli par Le Temps. Marion, 29 ans, résidente dans le canton de Vaud, a été diagnostiquée Covid un mois et demi après de premiers symptômes à la mi-mars. «J’ai eu des maux de gorge pendant trois semaines, mais au départ je ne savais pas que c’était la maladie. Je n’ai jamais eu d’atteinte respiratoire, mais des problèmes de circulation sanguine», détaille-t-elle.
Danseuse et en bonne santé avant la maladie, elle est dans l’incapacité de faire du sport depuis trois mois. «Je fais de la tachycardie et j’ai perdu 6 kilos, détaille la jeune femme. Parfois, il y a des semaines où je me sens bien, puis ça revient.» Son compagnon, qui a également été malade, se remet mieux.
Symptômes quasiment identiques
Ces quelques expériences sont loin d’être des cas isolés. Aux HUG, le dispositif CoviCare est chargé du suivi téléphonique des patients suspects et positifs au SARS-CoV-2. «Au départ, nous avions prévu de suivre les patients pendant la phase aiguë de la maladie, soit entre dix et quinze jours en fonction de sa durée, dit Olivia Braillard, médecin au service de médecine interne ambulatoire.
Mais nous nous sommes rendu compte que pour une bonne partie des patients les symptômes duraient, voire récidivaient. C’est-àdire qu’ils disparaissaient, avant de ressurgir après trois ou quatre semaines.»
Environ 500 patients non hospitalisés et entre 300 et 400 patients hospitalisés ont été ainsi rappelés par les équipes des HUG trente à quarante-cinq jours après leur diagnostic. La moitié d’entre eux ont signalé des symptômes persistants ou récidivants.
Ces derniers sont très variés et correspondent pour l’essentiel à ceux de la phase aiguë de la maladie. Il existe cependant des différences en fonction de l’âge. «En analysant nos données, on se rend compte que même les patients plus jeunes ont aussi des symptômes persistants, souligne Olivia Braillard. Ce ne sont pas forcément les mêmes que les personnes âgées, qui présentent beaucoup plus de fatigue et moins de maux de tête.»
Le dispositif CoviCare s’apprête à recontacter ces patients trois mois après le début de leur maladie pour déterminer leur évolution. «Théoriquement, on pourrait s’attendre à ce que les patients plus jeunes se remettent mieux, suppose Olivia Braillard. Mais nous en saurons plus cet été.»
La diversité des symptômes persistants n’est pas une surprise pour les médecins. «C’est une maladie qui a des présentations beaucoup plus polymorphes que ce que l’on pensait au départ, rappelle Benoît Guery, médecin-chef au Service des maladies infectieuses du CHUV. On s’est rendu compte qu’il y avait des formes neurologiques, des formes cardiaques, une activation très importante de la coagulation, une modification de la réponse immunologique… Dans la mesure où chacun de ces systèmes peut avoir des effets à long terme, un suivi des patients dans le temps se justifie parfaitement.» Pour assurer ce suivi, le CHUV a soumis un projet de recherche sur les complications postCovid-19 au Fonds national suisse.
Inflammation persistante
A l’heure actuelle, l’origine de ces effets persistants reste un mystère pour les scientifiques, mais l’hypothèse d’une réinfection est a priori écartée. «Quand nous avons constaté que ces symptômes persistaient ou récidivaient, nous avons eu peur que ce soit un manque de réponse immunitaire du corps ou une réinfection, précise Olivia Braillard. Des examens complémentaires réalisés sur les premiers patients chez qui nous les avons observés ont montré qu’il n’y avait pas de deuxième infection et que les patients créaient des anticorps. Aujourd’hui, on privilégie la piste d’une réponse immunologique persistante qui entretient une inflammation dans le corps alors que le virus a disparu.»
En retenant cette hypothèse, plusieurs questions restent encore en suspens. Combien de temps cette inflammation peut-elle perdurer? Risque-t-elle de générer des séquelles neurologiques ou pulmonaires à plus long terme? D’autres infections virales connues provoquent des effets à long terme. La rougeole peut entraîner des complications neurologiques des années après le début de la maladie. Autre exemple bien connu, la mononucléose, causée par le virus d’Epstein-Barr, provoque des symptômes sur plusieurs mois.
«Dans le cas de la mononucléose, une fois que l’on a été infecté et que les anticorps ont été produits, on est protégé à vie», souligne Olivia Braillard. La durée de l’immunité dans le cas du Covid-19 reste à déterminer. Dans l’attente de nouvelles connaissances scientifiques sur ces questions, qui devrait encore durer plusieurs mois, le corps médical est démuni, reconnaît Olivia Braillard: «Nous pouvons rassurer les patients en leur indiquant qu’il ne s’agit pas d’une réinfection, mais nous n’avons pas de solution à leur proposer.»
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«Nous nous sommes rendu compte que pour une bonne partie des patients les symptômes duraient, voire récidivaient»
OLIVIA BRAILLARD, MÉDECIN AU SERVICE DE MÉDECINE INTERNE AMBULATOIRE AUX HUG