Vers une annexion par étapes de la Cisjordanie?
Le président Trump va arbitrer cette semaine la querelle qui divise son ambassadeur en Israël, David Friedman, et son gendre, Jared Kushner, à propos du plan pour le MoyenOrient. L’ambassadeur Friedman est partisan de l’annexion de la vallée du Jourdain, la plus large possible et le plus rapidement possible, qui placerait les colonies israéliennes et la plupart des sites bibliques sous la souveraineté israélienne. Si telle était la perspective initiale du plan proposé par la Maison-Blanche, elle était néanmoins conditionnée à la création d’un Etat palestinien sur le reste – morcelé – du territoire. Plus modéré, Jared Kushner est sensible à la nécessité pour les Etats-Unis de maintenir de bonnes relations avec les Etats du Golfe et notamment son ami Mohammed ben Salman, prince héritier et vice-premier ministre d’Arabie saoudite, mais aussi avec la Jordanie. Tous ont fait valoir à des degrés divers leur opposition à l’annexion. En particulier, le roi Abdallah II de Jordanie a mené une campagne personnelle efficace auprès de membres républicains du Congrès: le plan Trump est dangereux pour le trône et pourrait déstabiliser la Jordanie s’il provoquait un afflux massif de nouveaux réfugiés palestiniens. Paradoxalement, Kushner est donc partisan d’une réalisation «équilibrée» du programme d’annexion, y compris des clauses qui laissent la porte ouverte à une négociation avec l’Autorité palestinienne.
Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, de son côté, a poussé le projet d’extension de la souveraineté d’Israël à de nouvelles portions de la Cisjordanie pour des raisons essentiellement politiques liées à son inculpation par la justice et aux manoeuvres parlementaires destinées à le protéger.
Le projet d’annexion provoque l’hostilité à la fois de ce qui reste de la gauche israélienne et, à l’autre extrémité idéologique, d’une partie des colons qui refusent toute notion d’Etat palestinien. Et entre deux, selon le professeur Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, c’est l’indifférence de la population qui domine. Le projet du gouvernement israélien ne répond à aucune exigence stratégique ou de sécurité. Il aurait un coût économique et un prix politique trop élevés s’il entraînait la rupture avec la Jordanie.
On pouvait penser que la présence du général Benny Gantz au sein du gouvernement d’union nationale dirigé par Netanyahou pour faire face à l’épidémie de Covid-19 allait freiner les velléités annexionnistes du premier ministre. Dans le pacte de coalition, il ne manifeste aucune opposition de principe à l’annexion – qu’il avait défendue lors de la campagne électorale. Mais il pose la condition que le plan d’annexion se réalise en plein accord avec les Etats-Unis et sans remettre en cause les traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie. Ses amis en attendaient davantage, mais Gantz ne veut rien faire qui puisse remettre en cause l’engagement de Netanyahou de lui céder la place de premier ministre le 21 novembre 2021 (pourtant, les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui y croient…). Netanyahou doit maintenant préciser ce qu’il entend par l’annexion au 1er juillet, date butoir qu’il s’est lui-même fixée. Une annexion «par étapes» semble l’hypothèse la plus réaliste: dans un premier temps, les colonies de Gush Etzion, de Maale Adoumim, à proximité de Jérusalem et que tous les projets de plans de paix attribuent à l’état juif moyennant compensation, seraient formellement rattachées au territoire israélien. La situation générale – tension accrue avec l’Iran, dégradation de la santé publique et de l’économie, perspectives de rupture ou de refroidissement diplomatiques avec les Etats voisins et avec les Etats du Golfe, sans parler des Européens, relance d’actions terroristes, enfin, affaiblissement politique de l’allié américain (où sera Trump dans six mois?): tous ces facteurs conduisent à renoncer à l’option maximale. En procédant à une «mini-annexion», les Israéliens croient pouvoir contenir les protestations locales et internationales. Dans le contexte actuel, rien n’est moins sûr. ■