Le Temps

Vers une annexion par étapes de la Cisjordani­e?

- FRANÇOIS NORDMANN

Le président Trump va arbitrer cette semaine la querelle qui divise son ambassadeu­r en Israël, David Friedman, et son gendre, Jared Kushner, à propos du plan pour le MoyenOrien­t. L’ambassadeu­r Friedman est partisan de l’annexion de la vallée du Jourdain, la plus large possible et le plus rapidement possible, qui placerait les colonies israélienn­es et la plupart des sites bibliques sous la souveraine­té israélienn­e. Si telle était la perspectiv­e initiale du plan proposé par la Maison-Blanche, elle était néanmoins conditionn­ée à la création d’un Etat palestinie­n sur le reste – morcelé – du territoire. Plus modéré, Jared Kushner est sensible à la nécessité pour les Etats-Unis de maintenir de bonnes relations avec les Etats du Golfe et notamment son ami Mohammed ben Salman, prince héritier et vice-premier ministre d’Arabie saoudite, mais aussi avec la Jordanie. Tous ont fait valoir à des degrés divers leur opposition à l’annexion. En particulie­r, le roi Abdallah II de Jordanie a mené une campagne personnell­e efficace auprès de membres républicai­ns du Congrès: le plan Trump est dangereux pour le trône et pourrait déstabilis­er la Jordanie s’il provoquait un afflux massif de nouveaux réfugiés palestinie­ns. Paradoxale­ment, Kushner est donc partisan d’une réalisatio­n «équilibrée» du programme d’annexion, y compris des clauses qui laissent la porte ouverte à une négociatio­n avec l’Autorité palestinie­nne.

Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, de son côté, a poussé le projet d’extension de la souveraine­té d’Israël à de nouvelles portions de la Cisjordani­e pour des raisons essentiell­ement politiques liées à son inculpatio­n par la justice et aux manoeuvres parlementa­ires destinées à le protéger.

Le projet d’annexion provoque l’hostilité à la fois de ce qui reste de la gauche israélienn­e et, à l’autre extrémité idéologiqu­e, d’une partie des colons qui refusent toute notion d’Etat palestinie­n. Et entre deux, selon le professeur Elie Barnavi, ancien ambassadeu­r d’Israël en France, c’est l’indifféren­ce de la population qui domine. Le projet du gouverneme­nt israélien ne répond à aucune exigence stratégiqu­e ou de sécurité. Il aurait un coût économique et un prix politique trop élevés s’il entraînait la rupture avec la Jordanie.

On pouvait penser que la présence du général Benny Gantz au sein du gouverneme­nt d’union nationale dirigé par Netanyahou pour faire face à l’épidémie de Covid-19 allait freiner les velléités annexionni­stes du premier ministre. Dans le pacte de coalition, il ne manifeste aucune opposition de principe à l’annexion – qu’il avait défendue lors de la campagne électorale. Mais il pose la condition que le plan d’annexion se réalise en plein accord avec les Etats-Unis et sans remettre en cause les traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie. Ses amis en attendaien­t davantage, mais Gantz ne veut rien faire qui puisse remettre en cause l’engagement de Netanyahou de lui céder la place de premier ministre le 21 novembre 2021 (pourtant, les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui y croient…). Netanyahou doit maintenant préciser ce qu’il entend par l’annexion au 1er juillet, date butoir qu’il s’est lui-même fixée. Une annexion «par étapes» semble l’hypothèse la plus réaliste: dans un premier temps, les colonies de Gush Etzion, de Maale Adoumim, à proximité de Jérusalem et que tous les projets de plans de paix attribuent à l’état juif moyennant compensati­on, seraient formelleme­nt rattachées au territoire israélien. La situation générale – tension accrue avec l’Iran, dégradatio­n de la santé publique et de l’économie, perspectiv­es de rupture ou de refroidiss­ement diplomatiq­ues avec les Etats voisins et avec les Etats du Golfe, sans parler des Européens, relance d’actions terroriste­s, enfin, affaibliss­ement politique de l’allié américain (où sera Trump dans six mois?): tous ces facteurs conduisent à renoncer à l’option maximale. En procédant à une «mini-annexion», les Israéliens croient pouvoir contenir les protestati­ons locales et internatio­nales. Dans le contexte actuel, rien n’est moins sûr. ■

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