Les musées suisses à la croisée des chemins
Au cours de la dernière décennie, le monde muséal s’est emballé. Des musées toujours plus nombreux ont vu le jour, la Chine en ouvre un par jour. Les expositions sont toujours plus chères et dévoratrices d’énergie sans que les fondamentaux qui régissent leur bon usage fassent l’objet d’une nécessaire remise en perspective. Signe avant-coureur, la définition universelle du musée jusqu’alors amplement acceptée par les professionnels est actuellement contestée. Une controverse devenue en un tour de main virulente atteste que le concept même de musée ne fait plus consensus.
Nul n’ignore que la crise sanitaire présente aura des conséquences durables sur les moyens humains et financiers. Le modèle muséal actuel, usé, coûteux et peu compatible avec les exigences environnementales, est de plus en plus décrié, y compris parmi les conservateurs. Il devient nécessaire de repenser la programmation et de produire collectivement en utilisant au mieux les collections nationales.
En Suisse, pays qui compte plus de 1200 musées, soit la plus forte densité par habitant au monde, l’institution se porte bien. Les rénovations et agrandissements se succèdent et sont d’excellente qualité (Kunstmuseum de Bâle ou le Bündner Kunstmuseum de Coire). Légitimement, on peut escompter que ce mouvement se poursuive dans les années à venir, en particulier à Genève. Les musées suisses situés au coeur d’une offre culturelle très fournie ont une carte à jouer, en fonction de leur aptitude à se renouveler et à répondre aux attentes de visiteurs autrement plus exigeants.
Le concept fondateur du musée se définit par la présence d’une collection d’objets d’histoire et d’oeuvres d’art. Son identité repose sur ce temps long, la transmission générationnelle, l’éthique des collections. De la nature de sa réception par le public, le musée témoigne de son engagement au service de la cité. Deux siècles ont été nécessaires pour forger cet exceptionnel outil éducatif et culturel, qui évolue maintenant dans l’imminence. Des réseaux sociaux à la mise en ligne des collections, les ressources numériques démultiplient l’offre du musée et amorcent avec les nouvelles générations une relation culturelle originale.
En dépit d’une fréquentation honorable, le musée cède du terrain aux industries de divertissement. Les reconstitutions historiques, les spectacles numériques semblent plus abordables à un public pressé. De fait, le musée suisse, comme ses congénères européens, marche sur un chemin de crête pour préserver ses valeurs tout en partageant son savoir. Rien n’est acquis. Ainsi la tenue d’expositions d’un autre temps, proposant par exemple un étage de peinture suivi d’un autre de mobilier historique, menace de détourner à jamais le jeune public pourtant curieux.
A contrario, l’art contemporain a conquis sa place au coeur des collections patrimoniales, lorsque le dialogue s’établit avec l’artiste s’ensuivent de belles réussites. Bien des expérimentations interactives sont menées chaque jour dans les musées helvétiques, pilotées par des médiateurs qui constituent une véritable pépinière de talents. Elles offrent un nouveau regard sur les oeuvres.
Face aux tenants d’un patrimoine arc-bouté sur la préservation primaire au nom de la défense d’un passé fantasmé, le musée se rêve en organisme vivant. L’action de l’Association des musées suisses (AMS) est, de ce point de vue, exemplaire. Solidement implanté en Suisse romande, le concept de culture inclusive mettant en place des mesures durables en direction des personnes en situation de handicap en est l’illustration la plus aboutie.
La Suisse est un pays d’accueil où les nouveaux arrivants peuvent trouver les sources de connaissances accessibles pour parfaire leur intégration. C’est un acquis précieux qui demande une introspection permanente pour en maintenir la cohérence. Le Musée national suisse (Zurich) est à la pointe de cette action. On ne vient que trop rarement en Suisse, pour visiter les musées et leurs expositions. Le monde du tourisme doit participer plus activement à la valorisation de ce trésor national, porteur de diversité culturelle et d’authenticité.
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La tenue d’expositions d’un autre temps, proposant par exemple un étage de peinture suivi d’un autre de mobilier historique, menace de détourner à jamais le jeune public pourtant curieux