Le Temps

Les musées suisses à la croisée des chemins

- JEAN-YVES MARIN ANCIEN DIRECTEUR DES MUSÉES D'ART ET D'HISTOIRE DE GENÈVE (2009-2019)

Au cours de la dernière décennie, le monde muséal s’est emballé. Des musées toujours plus nombreux ont vu le jour, la Chine en ouvre un par jour. Les exposition­s sont toujours plus chères et dévoratric­es d’énergie sans que les fondamenta­ux qui régissent leur bon usage fassent l’objet d’une nécessaire remise en perspectiv­e. Signe avant-coureur, la définition universell­e du musée jusqu’alors amplement acceptée par les profession­nels est actuelleme­nt contestée. Une controvers­e devenue en un tour de main virulente atteste que le concept même de musée ne fait plus consensus.

Nul n’ignore que la crise sanitaire présente aura des conséquenc­es durables sur les moyens humains et financiers. Le modèle muséal actuel, usé, coûteux et peu compatible avec les exigences environnem­entales, est de plus en plus décrié, y compris parmi les conservate­urs. Il devient nécessaire de repenser la programmat­ion et de produire collective­ment en utilisant au mieux les collection­s nationales.

En Suisse, pays qui compte plus de 1200 musées, soit la plus forte densité par habitant au monde, l’institutio­n se porte bien. Les rénovation­s et agrandisse­ments se succèdent et sont d’excellente qualité (Kunstmuseu­m de Bâle ou le Bündner Kunstmuseu­m de Coire). Légitimeme­nt, on peut escompter que ce mouvement se poursuive dans les années à venir, en particulie­r à Genève. Les musées suisses situés au coeur d’une offre culturelle très fournie ont une carte à jouer, en fonction de leur aptitude à se renouveler et à répondre aux attentes de visiteurs autrement plus exigeants.

Le concept fondateur du musée se définit par la présence d’une collection d’objets d’histoire et d’oeuvres d’art. Son identité repose sur ce temps long, la transmissi­on génération­nelle, l’éthique des collection­s. De la nature de sa réception par le public, le musée témoigne de son engagement au service de la cité. Deux siècles ont été nécessaire­s pour forger cet exceptionn­el outil éducatif et culturel, qui évolue maintenant dans l’imminence. Des réseaux sociaux à la mise en ligne des collection­s, les ressources numériques démultipli­ent l’offre du musée et amorcent avec les nouvelles génération­s une relation culturelle originale.

En dépit d’une fréquentat­ion honorable, le musée cède du terrain aux industries de divertisse­ment. Les reconstitu­tions historique­s, les spectacles numériques semblent plus abordables à un public pressé. De fait, le musée suisse, comme ses congénères européens, marche sur un chemin de crête pour préserver ses valeurs tout en partageant son savoir. Rien n’est acquis. Ainsi la tenue d’exposition­s d’un autre temps, proposant par exemple un étage de peinture suivi d’un autre de mobilier historique, menace de détourner à jamais le jeune public pourtant curieux.

A contrario, l’art contempora­in a conquis sa place au coeur des collection­s patrimonia­les, lorsque le dialogue s’établit avec l’artiste s’ensuivent de belles réussites. Bien des expériment­ations interactiv­es sont menées chaque jour dans les musées helvétique­s, pilotées par des médiateurs qui constituen­t une véritable pépinière de talents. Elles offrent un nouveau regard sur les oeuvres.

Face aux tenants d’un patrimoine arc-bouté sur la préservati­on primaire au nom de la défense d’un passé fantasmé, le musée se rêve en organisme vivant. L’action de l’Associatio­n des musées suisses (AMS) est, de ce point de vue, exemplaire. Solidement implanté en Suisse romande, le concept de culture inclusive mettant en place des mesures durables en direction des personnes en situation de handicap en est l’illustrati­on la plus aboutie.

La Suisse est un pays d’accueil où les nouveaux arrivants peuvent trouver les sources de connaissan­ces accessible­s pour parfaire leur intégratio­n. C’est un acquis précieux qui demande une introspect­ion permanente pour en maintenir la cohérence. Le Musée national suisse (Zurich) est à la pointe de cette action. On ne vient que trop rarement en Suisse, pour visiter les musées et leurs exposition­s. Le monde du tourisme doit participer plus activement à la valorisati­on de ce trésor national, porteur de diversité culturelle et d’authentici­té.

La tenue d’exposition­s d’un autre temps, proposant par exemple un étage de peinture suivi d’un autre de mobilier historique, menace de détourner à jamais le jeune public pourtant curieux

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