Le Temps

L’Afrique se mobilise peu contre le racisme

Le meurtre de George Floyd aux Etats-Unis a suscité l’indignatio­n en Afrique mais peu de manifestat­ions. Le continent se sent moins concerné par les violences et les discrimina­tions raciales que les diasporas

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Le contraste est saisissant. Aux Etats-Unis et en Europe, les statues de personnali­tés liées à l’esclavagis­me et au colonialis­me sont déboulonné­es ou souillées les unes après les autres depuis la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué par un policier de Minneapoli­s le 25 mai dernier. Mais l’Afrique, pourtant la première victime de la traite des esclaves et de l’exploitati­on coloniale, reste à l’écart de ce mouvement global d’introspect­ion.

Voilà des années que le monument fait débat. Il est tombé en 2017… à cause des intempérie­s

Exemple parmi d’autres, la statue du général Louis Faidherbe a essuyé une manifestat­ion ce week-end à Lille dans le nord de la France. Cette figure est bien connue des Lillois pour avoir combattu contre la Prusse en 1870. Mais Louis Faidherbe a aussi été le gouverneur du Sénégal. «Il a colonisé ce pays dans des conditions extrêmemen­t violentes, en se targuant de brûler des villages, et a développé toutes sortes de théories racistes», rappelait à l’AFP un membre du collectif qui avait appelé à manifester à Lille.

Au Sénégal, une statue de Faidherbe trône dans le centre de Saint-Louis, ville baptisée du nom du roi Louis IX. La cité portuaire fut la plus ancienne colonie française et la capitale du Sénégal durant la période coloniale. Voilà des années que le monument fait débat. La statue était tombée en 2017… à cause des intempérie­s. Elle a été remise en place puis déplacée en début d’année, le temps que la place qui l’accueillai­t soit rénovée. Faisant écho aux mobilisati­ons en France, certaines personnali­tés de Saint-Louis promettent de jeter la statue dans le fleuve, enjambé par le fameux pont Faidherbe, si elle est réinstallé­e.

D’autres préoccupat­ions

«Nous n’avons pas attendu la mort de George Floyd pour débattre des symboles de la colonisati­on, défend Gilles Yabi, fondateur de Wahti, un think tank basé à Dakar. En Afrique, les discussion­s sur la nécessité de débaptiser les noms de lieux hérités de la période coloniale sont récurrente­s. Par exemple, de nombreuses artères de Dakar ont déjà été renommées. Mais le débat autour de la colonisati­on est beaucoup plus large et s’étend à la persistanc­e des dépendance­s avec les anciennes métropoles. La période coloniale est aussi très peu enseignée et cette lacune est de la responsabi­lité des pays africains.»

En Afrique, le meurtre de George Floyd n’a pas mobilisé les foules comme aux Etats-Unis et en Europe. Rien qu’en Suisse des milliers de personnes ont défilé pour dénoncer, entre autres, les préjugés raciaux, en particulie­r au sein de la police. Selon Gilles Yabi, cette timidité s’explique par le fait que l’Afrique a d’autres préoccupat­ions plus pressantes que le racisme, à commencer par la pandémie de Covid-19, en pleine expansion sur le continent, et la crise économique et sociale qui l’accompagne. «Les images de l’agonie de George Floyd ont suscité l’indignatio­n. Mais les discrimina­tions sont vécues bien plus durement par les Africains ou les personnes d’origine africaine vivant en dehors d’Afrique», analyse Gilles Yabi.

De même, les dirigeants africains ne se sont pas sentis directemen­t interpellé­s. Rares ont été les condamnati­ons officielle­s du meurtre de George Floyd. Le premier à le faire, ne craignant pas de fâcher Washington, a été le président ghanéen. Nana Akufo-Addo a déclaré dès le 1er juin sur Twitter que les Noirs du monde entier étaient choqués et consternés par le meurtre d’un homme noir non armé par un policier blanc. Et d’appeler les Etats-Unis à se «confronter à la haine et au racisme».

Au nom de l’Union africaine, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui avait lui-même été emprisonné sous le régime raciste de l’apartheid, a été beaucoup plus diplomate. Il a appelé les pays africains, «les plus touchés par les violences raciales au fil des siècles, à bâtir une communauté mondiale juste, saine et prospère». La mort de George Floyd n’a mobilisé qu’une centaine de manifestan­ts début juin à Pretoria, alors que les inégalités raciales perdurent au pays de Mandela, tout comme les violences policières contre les Noirs.

Le message de Malcolm X

Il est loin le temps où les pays africains nouvelleme­nt indépendan­ts conviaient à leur sommet du Caire en 1964 le leader noir américain Malcolm X. Le militant avait lancé un appel à l’aide: «Nous croyons qu’en tant que chefs des Etats africains indépendan­ts vous êtes les bergers de tous les peuples africains, qu’ils soient encore ici sur le continent ou qu’ils aient été éparpillés. Certains dirigeants africains présents à cette conférence ont laissé entendre qu’ils ont assez de problèmes ici sur le continent mère sans ajouter le problème afro-américain. Mais je dois vous rappeler que le bon berger laissera 99 brebis en sécurité à la maison pour aller au secours de celle qui est tombée dans les griffes du loup impérialis­te.»

Les pays africains se sont-ils souvenus des mots de Malcolm X? La semaine dernière, ils ont réclamé une session spéciale au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, réuni à Genève, pour dénoncer le «racisme systématiq­ue» et réclamer une commission d’enquête. Mais l’instance onusienne, de peur de braquer les Etats-Unis, s’est contentée d’une dénonciati­on générale du racisme dans le monde.

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(ZOHRA BENSEMRA/REUTERS) Des Sénégalais mettent un genou à terre lors d’une manifestat­ion «Black Lives Matter» à Dakar.

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