Le Temps

Le référendum écologique, signe d’un élan démocratiq­ue français

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

INSTITUTIO­NS Emmanuel Macron recevra le 29 juin les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat qui s’est achevée dimanche. Leur propositio­n d’un référendum «écologique» est prise très au sérieux à l’Elysée

La France institutio­nnelle et politique est encore loin d’être convertie à la démocratie directe, version helvétique. Mais les Français, eux, votent pour le référendum. Après la revendicat­ion d’un «référendum d’initiative citoyenne» (le fameux RIC) par les «gilets jaunes» en 2018-2019, voici venu le temps du référendum «écologique» proposé par les 150 délégués de la convention citoyenne pour le climat qui s’est achevée dimanche à Paris.

Ledit référendum, que les membres de cette assemblée présentero­nt à Emmanuel Macron à l’Elysée le 29 juin, viserait à introduire la lutte contre le changement climatique dans la Constituti­on de la République, et à créer un crime «d’écocide». La convention a en revanche rejeté l’idée d’un référendum pour soumettre au vote d’autres mesures spécifique­s comme la rénovation thermique obligatoir­e des bâtiments, la limitation de la publicité, la réduction de la place de la voiture individuel­le.

Un dirigeant «hors sol»

Pour la convention citoyenne, qui avait été ouverte en avril 2019 et a tenu six sessions de trois jours à Paris, dans les locaux du Conseil environnem­ental et social, cette demande de référendum est logique. Tirés au sort, ses membres sont supposés incarner les prémices d’une alternativ­e ou d’un complément «participat­if» à la démocratie représenta­tive, suite aux demandes exprimées par les «gilets jaunes» lors des manifestat­ions de 2018-2019, et lors du «grand débat national» organisé à travers le pays au printemps 2019.

Emmanuel Macron a par ailleurs entrouvert la porte à un élargissem­ent des conditions de tenue d’un référendum en France, avec le projet de réforme constituti­onnelle présenté en août 2019 et aujourd’hui à l’arrêt. Le chef de l’Etat français s’était alors prononcé pour un référendum élargi aux questions de société et pour un assoupliss­ement des conditions d’organisati­on du «référendum d’initiative partagée» (RIP) introduit en 2008 lors de la réforme de la Constituti­on sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce RIP exige, pour soumettre une propositio­n au vote des Français, de réunir un cinquième des membres du parlement (185) et un dixième des électeurs (environ 4,7 millions). L’actuel projet, mis en route par Emmanuel Macron, propose d’abaisser ce seuil à un dixième des membres du parlement et un million d’électeurs.

Autre avantage de ce référendum «écologique», s’il voit le jour: permettre au président français de rejeter cette accusation de dirigeant «hors sol», éloigné des enjeux qui préoccupen­t la population.

Depuis la crise des «gilets jaunes», qui a considérab­lement ébranlé son mandat, Emmanuel Macron réfléchit à une consultati­on à questions multiples, autour de l’idée d’une «transforma­tion» de la France qu’il juge toujours indispensa­ble. La transition écologique et le «verdisseme­nt» de l’économie, rendus encore plus d’actualité par l’épidémie de Covid-19 et par les plans de relocalisa­tion industriel­le en Europe (avec d’inévitable­s conséquenc­es pour l’environnem­ent), sont donc un excellent terrain de chasse politique, même si le locataire de l’Elysée paie toujours cher, sur ce sujet, le départ de Nicolas Hulot de son gouverneme­nt.

L’ancien animateur de télévision, «sherpa» de la COP21 et de l’Accord de Paris sur le climat signé en novembre 2015 sous la présidence de François Hollande, avait démissionn­é par surprise fin août 2018 de son poste de ministre de l’Ecologie. Son remplaçant, François de Rugy, a ensuite dû partir en raison d’accusation­s sur son train de vie comme président de l’Assemblée nationale (2017-2018). L’actuelle ministre Elisabeth Borne, qui s’est dite favorable à un tel référendum, a la plus grande peine à incarner ce combat «vert».

Le calendrier, enfin, est propice à la remise sur la table de cette démocratie directe «à la suisse» dont veulent les Français, mais qui n’est guère compatible avec les institutio­ns de la Ve République. Selon le très sérieux «baromètre de la confiance politique» du Cevipof, le centre d’études de la vie politique française, deux Français sur trois pensent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. Une étude de l’institut Viavoice de 2016 estimait, elle, que 75% des personnes interrogée­s souhaitaie­nt un recours plus fréquent aux «référendum­s d’initiative populaire». Or une échéance électorale devrait démontrer l’importance des préoccupat­ions écologique­s: le second tour des élections municipale­s le 28 juin, à l’issue de laquelle plusieurs grandes villes françaises pourraient être gagnées par des candidats verts. Grenoble avait été la seule métropole remportée par les écologiste­s lors du précédent scrutin de 2014, et son maire sortant, Eric Piolle, est bien parti pour être réélu dimanche.

Les rancoeurs des Verts

Que va dire Emmanuel Macron, dès le lendemain de ce rendez-vous avec les urnes, aux délégués de la Convention citoyenne sur le climat? Son soutien à l’idée d’un référendum écologique est envisageab­le. Cela permettrai­t aussi d’effacer les rancoeurs suscitées par deux sujets portés par les Verts.

Le premier est le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, finalement abandonné comme le voulaient les écologiste­s, malgré l’organisati­on le 26 juin 2016 d’un référendum départemen­tal favorable dans le départemen­t de Loire-Atlantique (55% des voix pour l’aéroport).

Le second est l’opposition au projet de privatisat­ion de la société Aéroports de Paris qui exploite les plateforme­s de Roissy et d’Orly. Lancée en juin 2019, la procédure de référendum d’initiative partagée a échoué faute d’atteindre le nombre fatidique des 4,7 millions de signatures actuelleme­nt prévues. Un peu plus d’un million seulement ont été recueillie­s. Un chiffre qui aurait été suffisant pour faire voter les Français si la réforme de la Constituti­on préconisée par Emmanuel Macron était aujourd’hui en vigueur…

Deux Français sur trois estiment que la démocratie fonctionne mal dans leur pays

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(DENIS ALLARD/LEEXTRA) Lors d’un atelier de la convention citoyenne pour le climat, en janvier à Paris.

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