«Le Prix Elysée représente toutes les photographies»
La directrice du musée lausannois évoque la quatrième édition d’un concours destiné aux photographes en milieu de carrière. Et évoque la crise sanitaire, qui heureusement n’a pas ralenti le chantier de Plateforme 10
Le Musée de l’Elysée entame son dernier été dans ses murs. Le 27 septembre prochain, à l’issue d’un week-end de festivités, l’institution quittera en effet la vénérable bâtisse qu’elle occupe depuis 1985 dans le sud-est lausannois pour rejoindre une année plus tard, sur le site de Plateforme 10, le Musée cantonal des beaux-arts et le Mudac (Musée de design et d’arts appliqués contemporains).
En guise d’ultime accrochage, la villa de l’Elysée proposera dès juillet reGeneration4, quatrième volet d’un focus dédié tous les cinq ans à la relève. Dans l’attente ont été dévoilés ce lundi les huit nominés du 4e Prix Elysée, parmi lesquels figurent les Suisses Magali Koenig et Yann Gross.
Comme l’explique la directrice du musée, Tatyana Franck, il était primordial de maintenir, malgré la crise sanitaire, la quatrième édition de ce prix destiné aux photographes en milieu de carrière. «Au vu de l’arrêt brutal de toutes les activités culturelles, nous nous devions de montrer notre engagement envers les artistes, explique-t-elle. Car le Prix Elysée n’est pas que financier, c’est un véritable accompagnement. D’abord pour la publication d’un ouvrage réunissant les nominées et les nominés; ensuite, pour le projet lauréat, avec l’aide d’un commissaire du musée, pour la production d’un livre.»
Qu’incarnent les nominés de cette édition 2020-2022?
Cette année, les candidatures nous sont venues de plus de 50 pays. On en a eu beaucoup en provenance d’Amérique latine, et je pense que le coronavirus n’y est pas étranger. La vague étant arrivée plus tard chez eux, ils ont eu plus de temps pour travailler. Je suis très heureuse du choix final, car même si je regrette le fait qu’il n’y avait pas assez de femmes parmi les candidatures, le Prix Elysée représente toutes les photographies.
Par rapport aux autres musées de photo dans le monde, nous avons comme but d’être à la fois patrimonial et contemporain, tout en soutenant tous les genres. Les nominées et les nominés représentent ainsi toute la diversité du spectre. Il y a des projets très forts, très engagés, et avec en même temps parfois beaucoup d’humour. Les huit projets témoignent de réflexions très actuelles, que cela soit en termes de société, d’environnement, de guerre ou de technique photographique.
Et en parallèle, vous publiez «My Father’s Garden», un livre de Luis Carlos Tovar, le lauréat de la 3e édition du Prix Elysée…Nous
sommes contents, car il s’agit de quelqu’un qui n’était pas dans les radars du petit monde de la photographie. Il est Colombien, et le point de départ de son projet est une image de son père lorsqu’il avait été kidnappé par les FARC à la place de son oncle, un activiste politique. Quand les ravisseurs sont arrivés chez sa famille, il s’était désigné à la place de son frère afin de le sauver. Pour ce travail, qui traite de la mémoire individuelle et collective, Luis Carlos Tovar est allé dans la jungle afin d’imaginer poétiquement ce que son père a vécu.
Comment avez-vous géré la fermeture brutale des musées prononcée le 13 mars et les semaines qui ont suivi?
Ce fameux vendredi,
TATYANA FRANCK DIRECTRICE DU MUSÉE DE L'ÉLYSÉE nous devions inaugurer les arcades de Plateforme 10, un des éléments importants du nouveau quartier des arts de Lausanne. C’est là, notamment, que Caran d’Ache va lancer en première mondiale un concept store qui proposera des résidences d’artistes. De notre côté, nous avions avec le Mudac un projet de préfiguration qui consistait à présenter nos collections à travers un système de colorimétrie. Bref, on attendait beaucoup de monde, et voilà qu’à midi, suite à une réunion de crise du Conseil d’Etat, décision a été prise de fermer dès le lundi 16 mars.
De manière très pratique, comme nous sommes un musée étatique et que notre système informatique est géré par le canton de Vaud, nous faisions partie des quelque 35000 collaboratrices et collaborateurs qui ont dû être mis en télétravail, ce qui a pris passablement de temps.
En ce qui concerne le musée, nous avons dû mettre en place un programme de rotation afin de pouvoir assurer la sécurité des collections et des oeuvres de René Burri, qui étaient accrochées. Heureusement, nous avons finalement pu prolonger cette exposition de trois semaines, et malgré la fermeture, nous avons eu 15000 visiteuses et visiteurs. On aurait pu, sans la crise, établir un record de fréquentation.
Le chantier du bâtiment de Plateforme 10 a-t-il pris du retard?Je
dois dire que dans cette situation de crise, nous avons eu beaucoup de chance. Dans un an, cela aurait été très problématique. Tandis que nous travaillions à imaginer différents scénarios, notamment au niveau des expositions et de la médiation culturelle, le chantier ne s’est finalement arrêté que cinq jours. Il a repris très vite, avec les distances et mesures nécessaires; on est donc dans les temps, ce qui est extraordinaire. La remise des clés du bâtiment vide est toujours prévue pour l’automne 2021 et l’inauguration pour juin 2022, avec une exposition thématique commune aux trois musées de Plateforme 10.
A titre personnel, comment avez-vous vécu le semi-confinememt?
Les trois premières semaines, nous avons eu énormément de travail afin de tout réorganiser; ça a été la folie. Il a aussi fallu accompagner les équipes, car il y avait beaucoup de peur, voire de la panique. Toute cette angoisse, avec tout ce qu’on lisait dans les journaux, a ensuite amené une grande fatigue. Mais le grand changement, pour moi, n’a pas été le rythme de travail hebdomadaire, toujours aussi intense, mais l’annulation de tous les événements culturels et de représentation: plus de spectacles, plus de vernissages, plus de dîners, plus de rendez-vous avec des artistes… Pour une directrice ou un directeur de musée, il y a toute une vie qui continue le soir, et là, soudainement, plus rien. J’ai dès lors pu prendre du temps pour ma famille et moi.
«Il y a des projets très forts, très engagés, et avec en même temps parfois beaucoup d’humour»