Aux Etats-Unis, la jeunesse poing levé
Racisme, armes, écologie: les jeunes de la génération Z sont toujours plus nombreux à descendre dans la rue. Au point de transformer leur activisme en votes?
Nupol Kiazolu a 19 ans. Née à Atlanta, élevée à New York, l’étudiante en sciences politiques a été élue Miss Liberia USA l’an dernier. Elle est surtout la présidente de la section Black Lives Matter (BLM) de la région de New York et la fondatrice d’une organisation qui veut inciter les jeunes Noirs à aller voter. Elle rêve de devenir présidente en 2036. Révoltée par la mort de l’Afro-Américain George Floyd sous le genou d’un policier blanc le 25 mai, elle s’est rendue à Minneapolis pour manifester. «En fin de compte, que je sois assise à la maison ou que je sois au front, je pourrais être tuée juste pour la couleur de ma peau. Si quelque chose devait m’arriver, je voudrais que ce soit pour une juste cause», a-t-elle confié ce mois à Teen Vogue.
Nupol Kiazolu incarne cette nouvelle génération de militants aux Etats-Unis. Armes, écologie, féminisme ou racisme: les jeunes sont toujours plus nombreux à descendre dans la rue pour exprimer leur colère. Après la fusillade dans une école de Parkland (Floride) qui a fait 17 morts le 14 février 2018, plusieurs adolescents s’étaient organisés pour protester jusque devant la Maison-Blanche. Une figure iconique a émergé: Emma Gonzalez, 20 ans. Sur le front de l’écologie aussi, les Etats-Unis ont leur Greta Thunberg: Alexandria Villaseñor, 15 ans. Les récentes manifestations contre le racisme et les brutalités policières n’ont pas fait émerger une figure en particulier, mais un éventail de militants motivés, dont beaucoup de femmes. Tous jeunes, alors que la victime, George Floyd, avait 46 ans.
Assiste-t-on à un nouvel éveil politique, capable de se concrétiser dans les urnes pour l’élection présidentielle le 3 novembre prochain? Jusqu’ici, les jeunes Américains se démarquaient surtout par leur faible participation aux élections. Or cette année, a calculé le Pew Research Center, la génération Z (les 18-23 ans en 2020) représente un électeur sur dix, contre 4% en 2016. Avec les millennials (24-39 ans), ils constituent même plus d’un tiers des votants (37%). Et ils ont tendance à voter plutôt à gauche.
Les mouvements estudiantins ont souvent été déclencheurs de changements sociétaux, notamment dans les années 60. Avec la guerre du Vietnam et les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, 1968 a été l’année de la révolte de la jeunesse par excellence. Mais «le militantisme croissant de groupes tels que les Black Panthers, la culture de la drogue et même les meurtres commis par le gang de Charles Manson, tout cela a contribué à exacerber la désaffection du public à l’égard des «révolutionnaires», précise Mark Edelman Boren, dans son livre consacré à la résistance estudiantine (Student Resistance: A History of the Unruly Subject).
Ce militantisme connaît cependant un nouvel âge d’or avec des mouvements comme Black Lives Matter, fondé en 2013 en réaction à l’acquittement de l’homme qui avait tué Trayvon Martin, un jeune Noir. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène. Surtout, avec l’affaire Floyd, le combat de BLM est désormais perçu de manière plus favorable. Son image a considérablement changé en quelques semaines. Selon une récente enquête Yahoo News-YouGov, 57% des Américains déclarent désormais avoir une image positive du mouvement, alors qu’ils n’étaient que 27% en 2016.
Pour Meira Levinson, professeure de philosophie à Harvard spécialisée dans les questions d’éducation civique et de justice raciale, ce qui se passe actuellement est bien «une extension et un approfondissement du réveil politique des jeunes, qui a commencé il y a cinq-sept ans avec BLM». «Ce réveil s’est renforcé avec la rhétorique et le programme de Donald Trump, il a été dynamisé par les manifestations liées au massacre de Parkland, et s’est encore amplifié avec le mouvement #MeToo et les manifestations mondiales sur le climat, en particulier celle de septembre 2019 lorsque Greta Thunberg s’est adressée aux Nations unies», analyse-t-elle.
Elle constate un éventail plus diversifié parmi les jeunes que lors des manifestations de ces dernières décennies, «ce qui est vraiment passionnant». «Ils sont également capables de partager entre eux des informations, tactiques et stratégies grâce à des utilisations innovantes des médias sociaux et de la production culturelle. Cela permet aux jeunes de se concentrer sur des campagnes locales spécifiques tout en contribuant à des mouvements plus larges et en apprenant de ces derniers.» Egalement professeure à Harvard, Julie Reuben, historienne intéressée par le rôle de l’éducation dans la société et la culture américaines, relève que, dans les années 60, les manifestations se répartissaient de manière égale entre politique nationale et politique étrangère, «alors qu’aujourd’hui, l’accent est presque exclusivement mis sur les injustices aux Etats-Unis».
En pleine pandémie du coronavirus, le récent meeting de Donald Trump à Tulsa (Oklahoma) a connu une faible audience en partie à cause de jeunes, parfois même pas en âge de voter, qui se sont précipités pour s’y inscrire, mais avec la ferme intention de ne pas s’y rendre. Ils diffusaient leurs appels sur TikTok ou Twitter, notamment grâce aux réseaux de fans de pop coréenne. Une nouvelle force de frappe, qui risque encore de se manifester d’ici au 3 novembre.
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«Le réveil politique des jeunes s’est renforcé avec la rhétorique et le programme de Donald Trump» MEIRA LEVINSON, PROFESSEURE DE PHILOSOPHIE À HARVARD