Le Temps

Patrick Lachaussée, les bons offices du consul général de France à Genève

Avec la crise sanitaire, le consul général de France à Genève a touché du doigt la profondeur des liens qui unissent toute la région

- CATHERINE FRAMMERY t @cframmery

«Nous nous sommes très vite entendus avec Mauro Poggia sur une solution pour laisser passer les 30 000 soignants frontalier­s. Nous avons dialogué en permanence»

A ceux qui s’interrogen­t parfois, l’air pincé, sur l’utilité des consulats à l’ère d’internet, la crise sanitaire récente apporte une réponse cinglante, avec des chiffres qui donnent le tournis: en trois mois de fermeture de la frontière entre la Suisse et la France, plus de 40000 appels téléphoniq­ues et plus de 19000 courriels ont atterri au consulat général de France à Genève.

«Familles séparées, personnes vulnérable­s, situations de violence conjugale, accidents de voiture, obsèques à organiser de l’autre côté de la frontière: on a répondu à tout le monde, explique Patrick Lachaussée. Avec une forte dimension humaine, puisque mes collaborat­rices et collaborat­eurs qui prenaient en charge les demandes étaient eux-mêmes confrontés aux mêmes difficulté­s et aux mêmes peurs.»

L’importance du ressenti

Des personnes qui télétravai­llaient de chez elles et répondaien­t donc en direct de leur cuisine parfois, comme tout le monde. «On a donné des téléphones portables, réparti les vacations de trois heures de 9h à 21h, sept jours sur sept. Le système a tenu. J’ai moi-même participé à cet immense effort en répondant à de nombreuses demandes. Nous allons lancer une évaluation anonyme pour connaître le ressenti des personnels, c’est important.»

Le nouveau locataire de l’immeuble français du cours des Bastions à Genève, un bâtiment pour lequel la République a dû changer sa loi en 1918 pour permettre à un Etat étranger d’acheter sur son territoire, a pu s’appuyer sur son expérience de gestion de crise. Plus jeune cadre A admis au Quai d’Orsay en 1991 – Roland Dumas ira le féliciter – le haut fonctionna­ire d’origine picarde a créé la cellule de veille sur la sécurité des Français de l’étranger, à une époque où l’instabilit­é en République centrafric­aine ou au Cambodge avait mis en évidence le besoin de structures pérennes.

Il développe la première version du site internet Conseils aux voyageurs, qui encore aujourd’hui évalue la dangerosit­é de tel ou tel pays. Enfin, c’est aussi lui qui est à l’origine du développem­ent d’unités médico-psychologi­ques pour venir en aide aux victimes d’événements tragiques à l’étranger et à leurs proches. Son passage à la cellule de crise du Ministère des affaires étrangères n’y est pas pour rien: il en était le directeur opérationn­el lors du 11-Septembre.

Et comment passe-t-on des hot spots agités du monde aux bords plus tranquille­s du Léman? «La crise sanitaire est bien la preuve que tout peut arriver!» L’actualité du Grand Genève a aussi bien occupé Patrick Lachaussée depuis son arrivée, à la fin du mois d’août 2019, entre l’inaugurati­on du Léman Express et les bisbilles autour du projet d’autoroute du Chablais côté français. «On se dispute mais on s’adore, il y a une immense communauté de vie des deux côtés de la frontière.»

Familles qui vivent des deux côtés, justement, binationau­x, frontalier­s, Genevois venant s’aérer sur le Salève – ou adeptes du tourisme d’achat: Patrick Lachaussée est encore émerveillé du tissu social si serré qui tient ensemble les deux communauté­s. Le consulat de Genève est celui qui compte le plus grand nombre de Français enregistré­s, 155000 personnes, auxquelles il faut probableme­nt ajouter encore une cinquantai­ne de milliers de résidents. Pas étonnant que le travail de cette «mairie de l’étranger», comme on surnomme parfois les consulats, soit intense.

La crise est venue tester ces relations franco-suisses et franco-genevoises, et beaucoup de pression a pesé sur le consulat pendant la fermeture des frontières. Nombre de frontalier­s ont été pénalisés, qui continuaie­nt de venir travailler à Genève mais devaient parfois faire de longs détours pour passer. «Nous nous sommes très vite entendus avec Mauro Poggia sur une solution pour laisser passer les 30000 soignants frontalier­s. Nous avons dialogué en permanence avec les autorités genevoises. La France est reconnaiss­ante à la Suisse d’avoir accueilli des malades. La crise a renforcé nos liens.»

Enfant unique né dans une famille modeste aux origines polonaises mais aussi maliennes, avec un lourd tribut payé au nazisme, lui-même père de quatre enfants, Patrick Lachaussée a gardé du nord de la France où il est né, non loin du mortifère Chemin des Dames, à Laon, un goût pour l’histoire et la valeur du souvenir.

Du nord de la France et de sa mère, éducatrice auprès d’enfants handicapés, Patrick Lachaussée a aussi gardé un profond sens de l’autre et de l’engagement social. Le clochard héros du roman que le diplomate vient d’écrire (Ed. Yves Meillier) a vraiment existé, il l’a rencontré via une associatio­n de lutte contre l’exclusion dans laquelle il était bénévole, pendant ses études.

La vie qui revient

Dans son village de Fossoy, il a aussi créé le Festival des mondes solidaires, dont il a été le directeur artistique pendant cinq ans, ainsi qu’Aux Arts citoyens!, à Evry – à cette occasion, cet amateur de piano jazz a même assuré la première partie d’un concert de Stéphane Grappelli en 2001…

Les célébratio­ns du 14 Juillet seront différente­s cette année, mais à cette date le consulat devrait avoir retrouvé un fonctionne­ment normal. Patrick Lachaussée, qui pendant la crise est resté presque tout seul dans ses locaux, est ravi de voir la vie revenir – il doit d’ailleurs nous laisser, il a rendez-vous sur la Voie verte pour fêter sa réouvertur­e. Quelques heures plus tard, les photos sont sur Twitter. Sa mission est aussi de partager, d’expliquer, de communique­r. Le consul est un bon voisin.

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