Jacqueline Jencquel, pour la vie «dans sa qualité» plutôt que sa longévité
Militante du droit de mourir dans la dignité, Jacqueline Jencquel présente dans un ouvrage sa conception de la vie «qui doit être défendue dans sa qualité, pas à tout prix dans sa longévité»
La pandémie l’a clouée dans son appartement parisien du VIIe arrondissement. Elle s’est confinée, a été prudente. Sa crainte était de se retrouver dans un hôpital, mourant étouffée «puisque c’est ainsi qu’on décède du coronavirus». Elle a été épargnée, aime à dire qu’elle possède encore «la clé des champs», à savoir la liberté totale de partir le jour voulu.
Jacqueline Jencquel, 77 ans, va mourir cette année mais de sa propre volonté. Après la pression exercée par les opposants les plus radicaux au suicide assisté, ce n’est pas un virus qui allait déjouer ses plans. Jacqueline Jencquel vient de publier aux Editions Favre Terminer en beauté. Le pitch: réussir sa mort aussi bien que l’on a réussi sa vie. Son credo: les personnes du troisième âge ne devraient pas avoir besoin d’un diagnostic, ni même de prescription médicale, pour exercer leur libre arbitre, à savoir mourir quand bon leur semble, dignement, entourées ou seules, sans heurt ni douleur.
Aucune maladie incurable
Jacqueline Jencquel a décidé de «partir» avec le soutien de l’association Lifecircle fondée par Erika Preisig. La doctoresse bâloise a échappé en 2019 à une condamnation pour homicide involontaire, à la suite d’un accompagnement au suicide jugé irrégulier. Elle a cependant écopé d’une peine de prison avec sursis et d’une amende, pour ne pas avoir eu recours à l’avis d’un psychiatre afin de s’assurer de la capacité de discernement de la patiente. La doctoresse est autorisée à continuer à pratiquer l’aide au suicide, mais elle a l’interdiction de prescrire du pentobarbital de sodium à des patients atteints de troubles psychiques.
Jacqueline Jencquel accuse: «Des procureurs intégristes veulent sa peau tout comme celle de Pierre Beck.» Vice-président d’Exit Suisse romande, ce médecin a, lui, été condamné en octobre dernier à une peine de 120 jours-amendes avec sursis pour avoir prescrit une substance létale à une octogénaire en bonne santé qui avait fait le pacte de mourir avec son mari en fin de vie. Jacqueline Jencquel se retrouve dans le même cas de figure. Elle ne souffre d’aucune maladie incurable ou dégénérative. Mais elle veut partir en pleine conscience, en forme, avant d’être abîmée. «Je ne veux pas sentir le vieux, puer, être ennuyeuse, avoir une bouche de grenouille, inspirer la compassion au lieu du désir», dit-elle.
Elle aime provoquer. Illustration avec cette interview en août 2018 accordée au site Konbini, vue 1,5 million de fois. Ses propos à caractère sexuel sur le bon temps qu’elle pourrait passer «jusqu’à la fin de l’éternité avec de beaux mecs» ont amusé mais aussi choqué, voire indigné. «J’ai toujours été trash et directe, on ne se refait pas, mais ça fait bouger les lignes», assume-t-elle. Ses détracteurs (des fous de Dieu, dit-elle) parlent d’orchestration médiatique, rappellent qu’elle est avant tout une militante active
«La crise sanitaire a démontré combien les personnes âgées sont infantilisées, maltraitées»
au sein de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité, présidée par Jean-Luc Romero) qui réclame une légalisation de l’euthanasie en France ainsi qu’un accès universel aux soins palliatifs.
Elle prend son temps
Jacqueline Jencquel parle dans son livre de tous les gens qu’elle a accompagnés. Comme Philippe, 91 ans, qui souffre d’un début de démence. Elle s’est rendue avec lui et sa famille à Bâle «parce que la loi suisse permet une assistance médicalisée à mourir en début d’une maladie neurodégénérative». Elle poursuit: «Le patient doit être lucide et en mesure d’avaler la potion létale ou de tourner le robinet d’une perfusion intraveineuse.»
Elle s’en ira avant les Fêtes de fin d’année, avec l’aide, espèret-elle, de son amie Erika Preisig. Pour le reste, elle requiert de la solitude. Elle a trois fils, des petits-enfants, un ex-mari. Avant son départ, elle les visitera ou ils viendront à Paris ou en Suisse, où elle séjourne souvent. En attendant, elle prend son temps. Un nouveau bébé va naître chez son fils qui vit à Bali et elle veut l’embrasser, elle donne des cours de français sur Facetime à sa petite-fille de Berlin… Jouir de cela, apprécier chaque seconde. C’est ainsi qu’elle a vécu et achèvera son passage sur terre.
Le spectre de sa grand-mère
L’ouvrage qu’elle a commencé à rédiger en octobre 2018 est étonnamment mesuré, aux antipodes de ses harangues et formules chocs. Elle parle de sa grandmère Nadia, oncologue à Moscou, morte à 38 ans d’un cancer du sein. Elle a supplié son mari de la tuer tant elle souffrait faute d’antalgiques. Il n’a pas pu. Galia, la maman de Jacqueline, a vu sa mère s’en aller dans de terribles souffrances. «Cela a marqué mon histoire», avoue Jacqueline.
Aléa de l’histoire, elle naît à Tien-Tsin, en Chine, puis ses parents rallient l’Indochine et ensuite la France. Elle étudie les langues, en parle sept, enseigne en Allemagne, y rencontre son futur époux. Il l’emmène au Venezuela où la famille vit vingt-cinq années. Belle vie, les vacances à Saint-Tropez, le ski à Gstaad, la plongée sous-marine dans les Caraïbes. Flamber avant de cramer, voilà son leitmotiv. Une vie éclatante.
Un Ministère des vieux
Les jours heureux seraient derrière elle. Ses mains tremblent un peu, des douleurs abdominales la saisissent. Arrêt donc sur image: celle de Paris sous la pluie, qui à ses yeux est l’une des plus belles choses à voir. Retour en ce mois de juin post-Covid-19. La colère monte et gronde. On ne refait pas Jacqueline Jencquel. Elle réclame un Ministère des vieux: «La crise sanitaire a démontré combien les personnes âgées sont infantilisées, maltraitées. Les Ehpad ou les EMS se sont mués en prisons. Interdit d’embrasser les vieux parents. Mieux vaut mourir sur un baiser que de solitude.»
Jacqueline Jencquel anime le blog «La vieillesse est une maladie incurable», hébergé par Le Temps. On y lit ceci: «Quand j’étais petite, on ne parlait pas de sexe, il a fallu passer par Mai 68 pour accéder peu à peu à la liberté sexuelle pour les filles grâce au droit à la contraception et à l’IVG. Et puis il y a eu, dans les années 1980, le sida qui a mis une fin brutale à ce climat d’insouciance et de liberté. Aujourd’hui, avec ce nouveau virus meurtrier, nous ne pouvons plus faire semblant d’être immortels. Nous pouvons et devons pouvoir choisir comment nous allons mourir.»
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