«Ça restera l’une des très grandes tables du Valais»
La bombe lâchée par le chef valaisan doublement étoilé étourdit ses confrères. Au lendemain de l’annonce de la fermeture, dès la fin de l’année, de son restaurant gastronomique, la surprise et la tristesse sont de mise. L’empathie aussi
Sa décision a fait l’effet d’une bombe. Au lendemain de l’annonce de la fermeture, dès la fin de l’année, de son restaurant gastronomique, les confrères du chef valaisan doublement étoilé Didier de Courten disent leur tristesse mais aussi leur compréhension. Dans ce milieu très exigeant, l’envie de ralentir, d’avoir plus de temps pour soi, moins de pression et davantage de créativité en cuisine trouve écho chez beaucoup de restaurateurs. Surtout après la pause imposée par la pandémie. Témoignages.
De Satigny à Nendaz, en passant par Crissier, Bex ou encore Vufflens-le-Château, aucun chef ne demeure indifférent. Les éloges pleuvent même. De celles que l’on pourrait entendre lors du décès d’une personnalité. Pourtant Didier de Courten n’est pas mort, au contraire! Le chef valaisan a décidé de renaître, de penser un peu plus à lui, en renonçant à la course aux étoiles.
La décision du chef valaisan, annoncée ce mercredi dans Le Temps, de fermer son restaurant doublement étoilé à la fin de l’année, pour se concentrer uniquement sur sa brasserie, est un véritable tremblement de terre dans le monde de la gastronomie. Et les réactions le prouvent. Au bout du fil, le service de midi à peine terminé, Marie Robert, la cheffe du Café Suisse à Bex (une étoile au Guide Michelin et 16 sur 20 au Gault & Millau), titrée cuisinière de l’année 2019 par le Gault & Millau, respecte la décision de Didier de Courten autant qu’elle la regrette. «On perd un grand chef étoilé dans la région, c’est triste. Pour les gens qui l’admirent, comme moi, c’est la fin d’une époque», glisse-t-elle.
Douceur de vivre
A la tête du domaine de Châteauvieux à Satigny, auréolé de deux étoiles au Guide Michelin et d’un 19 sur 20 au Gault & Millau, Philippe Chevrier partage cette amertume. «Je suis triste parce que c’est un homme que j’apprécie», avoue-t-il, regrettant la perte d’un «immense restaurant gastronomique», mais se réjouissant, d’un autre côté, car «on gagne un immense bistrot». «Ça va être d’une très grande qualité. Ça restera une des très grandes tables du Valais», en est-il persuadé.
Si le séisme déclenché par Didier de Courten peut surprendre, il n’étonne pourtant pas entièrement. «Il était au sommet de la gastronomie suisse, pas loin du niveau mondial. Toujours perfectionniste, il est allé au bout de lui-même. Si certaines personnes ne comprendront peut-être pas sa décision, ce n’est pas mon cas. Je conçois qu’il ait envie d’une qualité de vie plus douce, avec moins de pression», insiste Grégoire Antonin, le chef du Nouvo Bourg à Saillon (15 sur 20 au Gault & Millau), qui a travaillé durant douze ans aux côtés de Didier de Courten, notamment à la place de second de cuisine.
Franck Giovannini, le chef triplement étoilé du restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier (également 19 sur 20 au Gault & Millau), confesse qu’après «vingt-cinq ans de cuisine à ce niveau-là, avec cette rigueur et cette exigence, cela me semble normal de vouloir vivre son métier différemment».
Un univers «impitoyable»
«La haute gastronomie est impitoyable et je peux imaginer dans quel état de fatigue on peut arriver», renchérit Loris Lathion. Le chef du Mont-Rouge à Nendaz (15 sur 20 au Gault & Millau) a travaillé sous les ordres de Didier de Courten à la fin des années 1990, lorsque ce dernier tenait le restaurant La Côte à Corin. «J’ai pu voir à quel rythme il travaillait. S’il a continué sur la même lancée, cela ne m’étonne pas qu’il ait décidé de changer», détaille-t-il.
«Il a eu l’intelligence de savoir s’écouter», analyse Guy Ravet, qui, avec son père Bernard – sous les ordres duquel un certain Didier de Courten a évolué lors de sa formation –, dirige la cuisine de l’Ermitage des Ravet à Vufflens-le-Château (une étoile au guide Michelin et 19 sur 20 au Gault & Millau). «Cela faisait plusieurs années que ça le démangeait. Grâce à la crise du Covid-19, il a eu le temps de la réflexion et il a pris sa décision. Les restaurants gastronomiques sont des entreprises, qui doivent vivre. S’il peut se faire plaisir et être rentable, il a bien raison de le faire. L’important c’est qu’il soit heureux.»
Guy Ravet reconnaît que Didier de Courten n’est pas le seul à se questionner sur son avenir. «Durant cette pause forcée due au Covid-19, on s’est tous questionnés. Nous faisons un métier où l’on vit à 120 à l’heure tout le temps. Nous n’avons jamais le temps de nous poser de grandes questions.» Pour l’heure, un changement aussi radical que celui opéré par Didier de Courten n’est pas à l’ordre du jour chez les
Ravet. «Mais, si tout à coup l’envie d’aller toujours plus haut disparaissait et que l’on pouvait ressentir moins de pression tout en étant viable, voire plus viable, économiquement, pourquoi pas…», confie Guy Ravet.
A l’ère du post-Covid
Les interrogations qui ont fleuri chez nombre de cuisiniers pourraient engendrer une évolution plus rapide chez certains d’entre eux, si l’on en croit Loris Lathion, qui a sondé plusieurs de ses confrères. «Avant cet arrêt imposé, ils avaient la tête dans le guidon. Cette période les a fait réfléchir. Ils se sont beaucoup questionnés sur leur manière de travailler», souligne-t-il. Luimême a d’ailleurs diminué le nombre de places dans son restaurant et réduit sa brigade au moment de la réouverture post-Covid. «Je suis heureux de travailler ainsi et je ne reviendrai pas en arrière», assure-t-il.
«Durant cette pause forcée due au Covid-19, on s’est tous questionnés. Nous faisons un métier où l’on vit à 120 à l’heure tout le temps»
GUY RAVET, L’ERMITAGE DES RAVET À VUFFLENS-LE-CHÂTEAU
Si cette évolution n’est pas aussi importante que celle de Didier de Courten, il sait que d’ici à quelques années il pourrait emboîter le pas à son ancien mentor: «J’y ai déjà pensé plusieurs fois. Actuellement je suis peutêtre un peu jeune [Loris Lathion a 43 ans], mais je sais déjà que je ne ferai pas de la gastronomie jusqu’à l’AVS.»
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