Le Temps

Banque nationale suisse: arme de constructi­on massive

- LAURENT HORVATH

Le parlement suisse vient d’accepter la consensuel­le loi sur le CO2. La timidité de l’exercice n’a d’égale que la faiblesse des moyens financiers engagés. Le processus le rend tant indolore qu’invisible, tout en permettant d’arborer la satisfacti­on politique d’une mission accomplie. Cependant, dans cet écosystème, un acteur climatique incontourn­able manque à l’appel. Il est sur toutes les lèvres mais personne n’ose prononcer son nom: la Banque nationale suisse.

Dans le monde climatique et énergétiqu­e, l’institutio­n s’est taillé une réputation sulfureuse avec plus de 10 milliards de dollars investis dans les extraction­s les plus polluantes d’énergies fossiles aux Etats-Unis. Obnubilée par un besoin de marquer son indépendan­ce entre économie et politique, la BNS s’est emmurée dans les concepts d’avant la crise de 2008 au point de devenir l’une des dernières banques centrales à porter une stratégie rendue obsolète dans un monde traversé par le coronaviru­s. Qu’importe le soutien aux entreprise­s suisses, elle préfère investir dans les concurrent­s étrangers. BestMile, fleuron technologi­que vaudois dans la gestion des navettes électrique­s autonomes, voit ses concurrent­s américains abreuvés de dizaines de millions de dollars. Du côté des retraités, ils ont tous vu leurs pensions et pouvoir d’achat fondre à cause des taux négatifs. Même si sa propre charte lui interdit d’investir dans les banques, dans les énergies dangereuse­s pour le climat ou dans l’armement, les transgress­ions sont quotidienn­es. Elle brandit son indépendan­ce comme une immunité absolue de ses actions alors que sans la Confédérat­ion, elle n’existerait tout simplement pas. En vingt ans, l’entité est passée du rôle de protecteur à celui de prédateur.

Du Japon à la Chine, en passant par l’Europe, l’Angleterre et les Etats-Unis, la crise du coronaviru­s modifie le rôle des banques centrales. Jadis occupées à maîtriser l’inflation, elles ont vu leurs outils financiers incorporés aux actions politiques afin de sortir de la déflation. Ainsi, elles n’hésitent plus à injecter directemen­t des liquidités dans les entreprise­s locales ou dans les ménages. Afin de maintenir les emplois, la banque américaine rachète les dettes des entreprise­s privées. Une hérésie? Comme le soulignait Darwin, celui qui ne s’adapte pas aux nouvelles règles du jeu meurt. Pendant que les préoccupat­ions climatique­s balbutient, l’Helvétie fait face à des préoccupat­ions immédiates, dont le maintien des emplois, le soutien à ses industries ou l’accès à l’énergie. La quasi-totalité de l’énergie consommée en Suisse est importée et le choc structurel pétrolier actuel questionne. Rystad Energy a avancé de deux ans ses prévisions du maximum d’extraction­s pétrolière­s mondiales qui pourraient être atteintes dès 2027 à 2028 avec une forte poussée des prix dès 2023. L’agence norvégienn­e est pourtant une fervente défenseure de l’or noir.

Dans sa stratégie énergétiqu­e, climatique et de l’emploi, la Confédérat­ion aura de plus en plus de peine à se contenter de pas microscopi­ques. Elle va avoir besoin de toute la puissance de la banque pour effectuer cette transition qui a déjà débuté dans de nombreux pays. Pour ce faire, nos autorités politiques vont devoir travailler avec elle sur certains axes: coordinati­on, transparen­ce et souveraine­té.

Ainsi, le Conseil fédéral pourrait rapatrier à Berne les centres de décision de la BNS actuelleme­nt dispersés à New York et à Bruxelles. Comme l’a fait le fonds souverain norvégien, la transparen­ce et l’éthique sont essentiell­es pour l’adhésion de l’opinion publique. L’inclusion de citoyens dans les groupes de travail et de décision de la BNS pourrait redonner une certaine confiance au peuple envers son institutio­n. Les énergies renouvelab­les gourmandes en capital humain et le support aux entreprise­s permettron­t de maintenir des emplois. Finalement, des actions politiques et économique­s coordonnée­s permettron­t de démultipli­er les résultats. Et si pour la Suisse, la Banque nationale redevenait une arme de constructi­on massive?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland