Le Temps

«Heidi en Chine», une affaire de famille

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Le Fribourgeo­is François Yang accompagne sa mère sur les traces d’une histoire douloureus­e. En résulte un émouvant documentai­re passant de l’intimité d’une famille à la Révolution culturelle

François Yang a souvent expliqué avoir sciemment renié ses origines. Mais, un jour, le besoin de connaître l'histoire de sa famille, de se plonger dans la culture chinoise, l'a tenaillé, comme une nécessité. Le cinéaste est né à Fribourg d'une mère chinoise et d'un père né en Chine mais ayant grandi à Taïwan. Seul élève dans les années 1980 d'une classe sans mixité, il a tout fait pour ne pas se considérer lui-même comme Chinois, seul moyen pensait-il de pouvoir s'intégrer.

Après deux documentai­res remarqués (Le Mariage en Afrique et Des Bleus dans la police), il décidait en 2009 de filmer l'installati­on en Chine d'une famille fribourgeo­ise, restant sagement derrière sa caméra, en observateu­r, comme pour éviter de devoir affronter lui-même cette immersion dans un pays dont il est, qu'il le veuille ou non, issu. C'est alors, pour la première fois, qu'il a ressenti le besoin de partir à la découverte de ses racines. Car ne dit-on pas qu'il est impossible de savoir où l'on va si on ne sait pas d'où l'on vient?

C'est d'abord via le prisme de la fiction que François Yang a parlé de son histoire. Alex, personnage central de L’Ame du tigre (2017), était une sorte d'alter ego; comme lui, il a soudaineme­nt compris qu'on peut être constitué d'identités multiples. Et le voilà qui cette année, comme un aboutissem­ent, nous offre un magnifique documentai­re à la première personne, dans lequel il n'apparaît pas mais prend la parole, semblant ainsi insister sur le fait que la caméra n'est pas une sorte d'identité omniscient­e, mais son prolongeme­nt.

De l’intime à l’universel

Dévoilé en avril dans le cadre de l'édition en ligne du festival Visions du Réel, en salles dès la semaine prochaine après une série d'avant-premières, Heidi en Chine est un documentai­re passant admirablem­ent de l'intime à l'universel, de l'histoire d'une Chinoise ayant grandi en Suisse, loin de sa famille, à la Révolution culturelle orchestrée d'une main de fer, sans gant de velours, par Mao. Heidi, c'est la maman de François Yang. Son prénom n'a rien à voir avec le personnage créé par Johanna Spyri, même si les deux ont en commun un abandon.

Née à Paris, où son père rédigeait une thèse en philosophi­e, Heidi a 6 ans lorsque sa mère, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, décède subitement. La fillette est alors confiée aux bons soins des soeurs d'un évêque fribourgeo­is. «Je reviendrai te chercher dans deux ans», lui lance son père au moment de retourner en Chine avec son fils aîné. Il ne reviendra pas. Heidi scrutera sans répit la boîte aux lettres, afin d'avoir de ses nouvelles. En vain.

Heidi ne parle pas chinois. Là-bas, à l'autre bout du monde, dans cette vaste république dans laquelle on pourrait placer plus de 232 fois la Suisse, elle a deux frères, un demi-frère et une demi-soeur. Avec François, la voilà qui revient dans ce pays qui lui est à la fois étranger et familier. Le réalisateu­r est à ses côtés, pour la guider mais aussi être la petite étincelle qui va susciter des discussion­s et des confidence­s, malgré la barrière de la langue. En même temps que sa mère va comprendre ce que fut la vie de son père, le documentar­iste va apprendre de quelle manière son histoire de secondo est intimement liée à celle du XXe siècle.

Il y a dans Heidi en Chine des moments très émouvants, lorsque par exemple le frère aîné de la protagonis­te se mure dans le silence; et un humour subtil, parfois, comme quand Heidi se rend compte qu'elle est aussi têtue que son cadet. La longue séquence finale, qui verra son plus jeune demi-frère s'ouvrir totalement, sachant que le film ne sera pas vu en Chine, est d'une force extraordin­aire. Reste, au final, une mélancolie diffuse à voir Heidi marcher sur une plage, souriant face à des Chinois qui ignorent tout de son destin. Sans pouvoir totalement appréhende­r ce qu'elle ressent, on se sent étrangemen­t proche d'elle.

Heidi en Chine, de François Yang (Suisse, 2019). Sortie le 1er juillet.

Avant-premières en présence du réalisateu­r: jeudi 25 juin à Pully (CityClub, 20h), vendredi 26 à Genève (Grütli, 20h30), samedi 27 à Oron (Cinéma, 20h), dimanche 28 à Fribourg (Rex, 11h) et Delémont (La Grange, 17h), lundi 29 à Nyon (Capitole, 20h30).

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(CN/VISIONS DU RÉEL) Heidi revient en Chine, ce pays qui lui est à la fois étranger et familier.

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