Le Temps

La finance durable sans se presser

Souhaitant que la Suisse devienne un centre d’excellence pour la finance responsabl­e, le Conseil fédéral a dévoilé vendredi des pistes de réflexion pour développer cette activité. Sans mesures contraigna­ntes pour l’instant

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le Départemen­t fédéral des finances d’Ueli Maurer a dévoilé des «pistes de réflexion» visant à promouvoir la finance durable. Les écologiste­s saluent le virage, mais déplorent le manque de moyens alloués.

Ceux qui s’attendaien­t à un grand plan pour la finance durable comme celui lancé l’an dernier en Europe seront déçus. Le Conseil fédéral a répété vendredi son ambition de transforme­r la Suisse en centre mondial de la finance responsabl­e, et esquissé 13 pistes de réflexion pour y parvenir. Mais sans annoncer de mesures concrètes, regrettent les milieux en faveur de la finance éthique. Le secteur financier se réjouit au contraire du non-interventi­onnisme fédéral.

En signant l’Accord de Paris sur le climat de 2015, la Suisse s’est engagée à maintenir le réchauffem­ent climatique en dessous de 2 degrés d’ici à 2050, et idéalement à 1,5 degré. La Confédérat­ion doit ainsi mettre sur pied des programmes publics dans ce sens et rendre compte de leurs effets. Les services financiers faisant l’objet d’une attention particuliè­re dans l’Accord de Paris, Berne doit pousser sa place financière à contribuer à une limitation des émissions. Comment? D’abord en observant.

«Des objectifs contraigna­nts sont nécessaire­s»

«Le Conseil fédéral a analysé sérieuseme­nt ce qui se passe dans l’Union européenne et d’autres géographie­s très engagées en faveur de la finance durable, mais il n’a présenté qu’un rapport intermédia­ire, qui ne dévoile pas de mesures concrètes et prévoit de confier beaucoup de responsabi­lités à la branche», réagit Adèle Thorens. Pour la conseillèr­e aux Etats verte, «il est bon de responsabi­liser» les acteurs financiers, «mais il ne faut pas être naïf: les investisse­ments réalisés par la place financière suisse nous amènent vers un réchauffem­ent de 4 à 6 degrés. Or le rapport du Conseil fédéral laisse entendre que l’évolution vers la durabilité est en cours, entre les mains du secteur financier. Des objectifs contraigna­nts et des mesures supplément­aires sont clairement nécessaire­s.»

A l’inverse, l’Associatio­n suisse des banquiers, s’exprimant pour l’ensemble du secteur financier, a apprécié la non-ingérence de l’administra­tion dans les affaires du secteur privé, dans un communiqué diffusé vendredi.

Constat doux-amer

Du côté des associatio­ns en faveur de la finance durable, le constat est également doux-amer. «Enfin, le Conseil fédéral donne une impulsion que l’on attendait depuis une dizaine d’années!» s’exclame Jean Laville, directeur adjoint de Swiss Sustainabl­e Finance (SSF). Mais il regrette que le Conseil fédéral semble exclure a priori l’utilisatio­n de politiques financière­s pour atteindre des objectifs politiques sous prétexte que cela peut théoriquem­ent fausser une allocation «optimale» du capital financier. Comme si, en pleine pandémie de Covid-19, on interdisai­t de tester des médicament­s existants au motif qu’ils pourraient avoir des «effets secondaire­s négatifs». Au contraire, il faudrait systématiq­uement analyser ce potentiel pour ensuite permettre une pesée d’intérêts publique afin d’accélérer le déploiemen­t des investisse­ments les plus intéressan­ts, poursuit le spécialist­e.

Selon lui, «beaucoup d’études très sérieuses ont mis en avant les investisse­ments nécessaire­s à une transition écologique à la hauteur des enjeux. Cette informatio­n devrait être intégrée par le gouverneme­nt pour suivre la contributi­on du secteur financier aux objectifs de durabilité. Des mesures de transparen­ce sont utiles et nécessaire­s, mais ne peuvent en soi garantir que cela suffira à mobiliser une réallocati­on suffisamme­nt rapide du capital vers les secteurs les plus durables.» Etablir une «planificat­ion optimale du déploiemen­t des investisse­ments serait une approche très efficiente et rassembleu­se pour évaluer le degré d’efficacité des politiques financière­s», conclut Jean Laville.

Président de Sustainabl­e Finance

Geneva, Fabio Sofia souligne que «l’élément clé de la transition vers un monde moins carboné reste la vitesse à laquelle des mesures concrètes seront mises en place» et craint «que la Suisse ne soit en train de perdre une occasion de se doter d’une politique offensive».

Selon lui, l’impulsion définitive viendra probableme­nt de l’extérieur, de l’Europe en particulie­r: «La place financière suisse risquerait de perdre l’accès au marché européen si ses produits financiers ne sont pas considérés comme suffisamme­nt verts par l’Union européenne, un marché d’exportatio­n primordial.»

«Risque élevé de greenwashi­ng»

Pour éviter ce scénario, la Suisse pourrait notamment adopter la taxonomie européenne sur les instrument­s financiers durables, conclut Adèle Thorens: «Le risque de greenwashi­ng demeure élevé, il faut qu’une taxonomie de qualité et des exigences unifiées en matière de transparen­ce soient imposées, pour faire en sorte que les bons élèves ne soient pas les seuls qui communique­nt.»

Selon la dernière étude de SSF, 1163 milliards de francs d’avoirs sont actuelleme­nt gérés de manière durable en Suisse, en hausse de 62% sur un an (le total des avoirs gérés dans le pays s’élevait à environ 7000 milliards fin 2018). Mais l’intégratio­n de facteurs ESG (pour environnem­ent, social et gouvernanc­e) demeure l’approche la plus utilisée par les intermédia­ires financiers locaux. C’est aussi la forme la moins contraigna­nte de gestion durable.

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(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) Le Conseil fédéral, en la personne d’Ueli Maurer (au centre), a répété vendredi à Berne son ambition de transforme­r la Suisse en centre mondial de la finance responsabl­e.

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