La finance durable sans se presser
Souhaitant que la Suisse devienne un centre d’excellence pour la finance responsable, le Conseil fédéral a dévoilé vendredi des pistes de réflexion pour développer cette activité. Sans mesures contraignantes pour l’instant
Le Département fédéral des finances d’Ueli Maurer a dévoilé des «pistes de réflexion» visant à promouvoir la finance durable. Les écologistes saluent le virage, mais déplorent le manque de moyens alloués.
Ceux qui s’attendaient à un grand plan pour la finance durable comme celui lancé l’an dernier en Europe seront déçus. Le Conseil fédéral a répété vendredi son ambition de transformer la Suisse en centre mondial de la finance responsable, et esquissé 13 pistes de réflexion pour y parvenir. Mais sans annoncer de mesures concrètes, regrettent les milieux en faveur de la finance éthique. Le secteur financier se réjouit au contraire du non-interventionnisme fédéral.
En signant l’Accord de Paris sur le climat de 2015, la Suisse s’est engagée à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés d’ici à 2050, et idéalement à 1,5 degré. La Confédération doit ainsi mettre sur pied des programmes publics dans ce sens et rendre compte de leurs effets. Les services financiers faisant l’objet d’une attention particulière dans l’Accord de Paris, Berne doit pousser sa place financière à contribuer à une limitation des émissions. Comment? D’abord en observant.
«Des objectifs contraignants sont nécessaires»
«Le Conseil fédéral a analysé sérieusement ce qui se passe dans l’Union européenne et d’autres géographies très engagées en faveur de la finance durable, mais il n’a présenté qu’un rapport intermédiaire, qui ne dévoile pas de mesures concrètes et prévoit de confier beaucoup de responsabilités à la branche», réagit Adèle Thorens. Pour la conseillère aux Etats verte, «il est bon de responsabiliser» les acteurs financiers, «mais il ne faut pas être naïf: les investissements réalisés par la place financière suisse nous amènent vers un réchauffement de 4 à 6 degrés. Or le rapport du Conseil fédéral laisse entendre que l’évolution vers la durabilité est en cours, entre les mains du secteur financier. Des objectifs contraignants et des mesures supplémentaires sont clairement nécessaires.»
A l’inverse, l’Association suisse des banquiers, s’exprimant pour l’ensemble du secteur financier, a apprécié la non-ingérence de l’administration dans les affaires du secteur privé, dans un communiqué diffusé vendredi.
Constat doux-amer
Du côté des associations en faveur de la finance durable, le constat est également doux-amer. «Enfin, le Conseil fédéral donne une impulsion que l’on attendait depuis une dizaine d’années!» s’exclame Jean Laville, directeur adjoint de Swiss Sustainable Finance (SSF). Mais il regrette que le Conseil fédéral semble exclure a priori l’utilisation de politiques financières pour atteindre des objectifs politiques sous prétexte que cela peut théoriquement fausser une allocation «optimale» du capital financier. Comme si, en pleine pandémie de Covid-19, on interdisait de tester des médicaments existants au motif qu’ils pourraient avoir des «effets secondaires négatifs». Au contraire, il faudrait systématiquement analyser ce potentiel pour ensuite permettre une pesée d’intérêts publique afin d’accélérer le déploiement des investissements les plus intéressants, poursuit le spécialiste.
Selon lui, «beaucoup d’études très sérieuses ont mis en avant les investissements nécessaires à une transition écologique à la hauteur des enjeux. Cette information devrait être intégrée par le gouvernement pour suivre la contribution du secteur financier aux objectifs de durabilité. Des mesures de transparence sont utiles et nécessaires, mais ne peuvent en soi garantir que cela suffira à mobiliser une réallocation suffisamment rapide du capital vers les secteurs les plus durables.» Etablir une «planification optimale du déploiement des investissements serait une approche très efficiente et rassembleuse pour évaluer le degré d’efficacité des politiques financières», conclut Jean Laville.
Président de Sustainable Finance
Geneva, Fabio Sofia souligne que «l’élément clé de la transition vers un monde moins carboné reste la vitesse à laquelle des mesures concrètes seront mises en place» et craint «que la Suisse ne soit en train de perdre une occasion de se doter d’une politique offensive».
Selon lui, l’impulsion définitive viendra probablement de l’extérieur, de l’Europe en particulier: «La place financière suisse risquerait de perdre l’accès au marché européen si ses produits financiers ne sont pas considérés comme suffisamment verts par l’Union européenne, un marché d’exportation primordial.»
«Risque élevé de greenwashing»
Pour éviter ce scénario, la Suisse pourrait notamment adopter la taxonomie européenne sur les instruments financiers durables, conclut Adèle Thorens: «Le risque de greenwashing demeure élevé, il faut qu’une taxonomie de qualité et des exigences unifiées en matière de transparence soient imposées, pour faire en sorte que les bons élèves ne soient pas les seuls qui communiquent.»
Selon la dernière étude de SSF, 1163 milliards de francs d’avoirs sont actuellement gérés de manière durable en Suisse, en hausse de 62% sur un an (le total des avoirs gérés dans le pays s’élevait à environ 7000 milliards fin 2018). Mais l’intégration de facteurs ESG (pour environnement, social et gouvernance) demeure l’approche la plus utilisée par les intermédiaires financiers locaux. C’est aussi la forme la moins contraignante de gestion durable.
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