Le jour où Hongkong a été «harmonisée»
Il y a quelques jours, les Hongkongais ont assisté à la dernière représentation de Headliner, l’émission satirique de leur chaîne de télévision publique. En février, un sketch qui tournait en dérision la police hongkongaise a été la provocation de trop. Accusée par les conservateurs et Pékin de faire le jeu des démocrates par sa couverture trop assidue des manifestations, la direction de la chaîne n’avait plus le choix: trente et un ans après son lancement, l’émission était supprimée. En Chine, il y a un terme pour cela: «se faire harmoniser». «Etre harmonisé» veut dire qu’on est réduit au silence, que l’on rentre dans le rang, qu’on applique la ligne du parti unique dont l’un des slogans favoris est «Promouvoir l’harmonie au sein du peuple».
Mardi prochain, c’est Hongkong dans son ensemble qui sera harmonisée. Ce jour-là, le Comité permanent du parlement chinois (à Pékin) – une chambre d’enregistrement des décisions du Parti communiste – promulguera une «loi sur la sécurité nationale à Hongkong», sans consultation des Hongkongais, en court-circuitant leurs institutions, en ignorant leur parlement local. La Région administrative spéciale (RAS) de Hongkong sera dès lors soumise aux mêmes règles que le continent en matière de sécurité avec un texte qui permettra de réprimer le «séparatisme», le «terrorisme», la «subversion» et la «collusion avec des forces étrangères». Un nouvel organe de sécurité répondant directement à Pékin sera institué, selon les fuites relayées par la presse hongkongaise, avec un pouvoir de poursuite et d’extradition. En clair, c’est la fin de la séparation des deux pouvoirs judiciaires. Sur le papier, les défenseurs de cette loi prétendront qu’elle respecte le principe «un pays, deux systèmes» appliqué à l’ex-colonie britannique pour assurer son autonomie durant cinquante ans. Dans les faits, l’esprit de cet accord est violé. Ce 30 juin, c’est un peu comme si la barrière entre les deux systèmes qui séparent la Chine et la RAS tombait, avec vingt-sept ans d’avance sur le calendrier.
Alors bien sûr, Hongkong restera une ville à part, la vie de ses habitants ne va pas basculer du jour au lendemain. Le 1er juillet, anniversaire de la rétrocession, se déroulera comme chaque année, avec juste un peu plus de présence policière pour éviter les mouvements d’humeur. Cette nouvelle loi sera utilisée avec parcimonie, comme promis par Pékin. Il suffira de «tuer un poulet pour effrayer les singes», c’est-à-dire de faire un exemple – une arrestation – pour faire passer le message que l’«harmonie» décrétée par le parti ne se discute plus. Les figures démocrates ayant participé à des manifestations contre le gouvernement – c’est-à-dire toutes – pourront être écartées des prochaines élections législatives puisque les manifestants ont déjà été qualifiés de «terroristes» et accusés d’actes de «subversion», des termes vagues. Cela suffira à distiller un climat de peur propice à l’autocensure ou à la démission. En cas de désaccord sur l’interprétation du texte, Carrie Lam, la cheffe du gouvernement hongkongais, a été menaçante en qualifiant ses éventuels opposants d’«ennemis du peuple». Le discours de la gouverneure s’est lui «harmonisé» avec l’ancienne rhétorique de la Révolution culturelle – cette guerre civile que beaucoup de Hongkongais avaient fuie.
A partir de mercredi prochain, qui osera encore défier l’ordre de Pékin? Les protestataires savent à quoi s’en tenir: ils pourront désormais finir dans une geôle chinoise. Grâce à cette loi, le pouvoir mise sur un essoufflement de la rue.
L’étape suivante sera l’«harmonisation» de l’éducation avec des purges chez les enseignants et des cours patriotiques afin de neutraliser cette jeunesse «rebelle». Les élections de l’automne prochain seront le dernier défi à relever. En décembre dernier, les démocrates avaient remporté une victoire massive dans un scrutin local. Pékin possède à présent l’instrument légal pour s’assurer qu’ils échouent à prendre l’ascendant au parlement. Car, pour le pouvoir chinois, tout espoir démocratique doit être supprimé sur son territoire. Il en va de l’avenir du régime.
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