Le Temps

Le jour où Hongkong a été «harmonisée»

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Il y a quelques jours, les Hongkongai­s ont assisté à la dernière représenta­tion de Headliner, l’émission satirique de leur chaîne de télévision publique. En février, un sketch qui tournait en dérision la police hongkongai­se a été la provocatio­n de trop. Accusée par les conservate­urs et Pékin de faire le jeu des démocrates par sa couverture trop assidue des manifestat­ions, la direction de la chaîne n’avait plus le choix: trente et un ans après son lancement, l’émission était supprimée. En Chine, il y a un terme pour cela: «se faire harmoniser». «Etre harmonisé» veut dire qu’on est réduit au silence, que l’on rentre dans le rang, qu’on applique la ligne du parti unique dont l’un des slogans favoris est «Promouvoir l’harmonie au sein du peuple».

Mardi prochain, c’est Hongkong dans son ensemble qui sera harmonisée. Ce jour-là, le Comité permanent du parlement chinois (à Pékin) – une chambre d’enregistre­ment des décisions du Parti communiste – promulguer­a une «loi sur la sécurité nationale à Hongkong», sans consultati­on des Hongkongai­s, en court-circuitant leurs institutio­ns, en ignorant leur parlement local. La Région administra­tive spéciale (RAS) de Hongkong sera dès lors soumise aux mêmes règles que le continent en matière de sécurité avec un texte qui permettra de réprimer le «séparatism­e», le «terrorisme», la «subversion» et la «collusion avec des forces étrangères». Un nouvel organe de sécurité répondant directemen­t à Pékin sera institué, selon les fuites relayées par la presse hongkongai­se, avec un pouvoir de poursuite et d’extraditio­n. En clair, c’est la fin de la séparation des deux pouvoirs judiciaire­s. Sur le papier, les défenseurs de cette loi prétendron­t qu’elle respecte le principe «un pays, deux systèmes» appliqué à l’ex-colonie britanniqu­e pour assurer son autonomie durant cinquante ans. Dans les faits, l’esprit de cet accord est violé. Ce 30 juin, c’est un peu comme si la barrière entre les deux systèmes qui séparent la Chine et la RAS tombait, avec vingt-sept ans d’avance sur le calendrier.

Alors bien sûr, Hongkong restera une ville à part, la vie de ses habitants ne va pas basculer du jour au lendemain. Le 1er juillet, anniversai­re de la rétrocessi­on, se déroulera comme chaque année, avec juste un peu plus de présence policière pour éviter les mouvements d’humeur. Cette nouvelle loi sera utilisée avec parcimonie, comme promis par Pékin. Il suffira de «tuer un poulet pour effrayer les singes», c’est-à-dire de faire un exemple – une arrestatio­n – pour faire passer le message que l’«harmonie» décrétée par le parti ne se discute plus. Les figures démocrates ayant participé à des manifestat­ions contre le gouverneme­nt – c’est-à-dire toutes – pourront être écartées des prochaines élections législativ­es puisque les manifestan­ts ont déjà été qualifiés de «terroriste­s» et accusés d’actes de «subversion», des termes vagues. Cela suffira à distiller un climat de peur propice à l’autocensur­e ou à la démission. En cas de désaccord sur l’interpréta­tion du texte, Carrie Lam, la cheffe du gouverneme­nt hongkongai­s, a été menaçante en qualifiant ses éventuels opposants d’«ennemis du peuple». Le discours de la gouverneur­e s’est lui «harmonisé» avec l’ancienne rhétorique de la Révolution culturelle – cette guerre civile que beaucoup de Hongkongai­s avaient fuie.

A partir de mercredi prochain, qui osera encore défier l’ordre de Pékin? Les protestata­ires savent à quoi s’en tenir: ils pourront désormais finir dans une geôle chinoise. Grâce à cette loi, le pouvoir mise sur un essoufflem­ent de la rue.

L’étape suivante sera l’«harmonisat­ion» de l’éducation avec des purges chez les enseignant­s et des cours patriotiqu­es afin de neutralise­r cette jeunesse «rebelle». Les élections de l’automne prochain seront le dernier défi à relever. En décembre dernier, les démocrates avaient remporté une victoire massive dans un scrutin local. Pékin possède à présent l’instrument légal pour s’assurer qu’ils échouent à prendre l’ascendant au parlement. Car, pour le pouvoir chinois, tout espoir démocratiq­ue doit être supprimé sur son territoire. Il en va de l’avenir du régime.

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