Le Temps

Les pistes cyclables jouent les prolongati­ons

Le canton et la ville de Genève reconduise­nt pour une période de 60 jours les infrastruc­tures cyclistes mises en place durant le confinemen­t. Premier bilan chiffré

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

D’abord un peu de politique politicien­ne. Dans l’élan de sa victoire pré-Covid, la gauche municipale genevoise a récemment bâillonné l’opposition de droite, en y mettant les formes démocratiq­ues, pour imposer ses vues: demander au canton d’interdire la circulatio­n motorisée autour de la Rade durant les week-ends d’été. Une lettre du conseil administra­tif va atterrir sur le bureau de Serge Dal Busco, maître cantonal des horloges sur les questions de mobilité. Freinons les élans des Guevara à bicyclette: la réponse du gouverneme­nt sera négative. Interrogé, le ministre PDC classe en effet cette demande dans la catégorie de celles qui sont «de nature à faire perdurer les querelles». Il ajoute que «les réactions très exagérées et les propos outrancier­s» éructés à droite au lendemain du fameux élargissem­ent des pistes cyclables relèvent du même critère. Les belliqueux sont renvoyés dos à dos.

Nous y voilà: on est dans le sprint final pour les mesures lancées en faveur des déplacemen­ts à vélo, présentées fin avril comme provisoire­s pour une durée de 60 jours. Rappelons que la crainte des autorités était que le déconfinem­ent amène une baisse de la fréquentat­ion des transports publics et une hausse du trafic automobile. Afin que le plus grand nombre troque son auto pour un vélo, l’idée était de créer des axes larges, donc rassurants, et continus sur 7 kilomètres. Des pistes sont apparues nuitamment, sans concertati­on autre qu’entre administra­tions municipale et cantonale. La chaussée n’étant pas extensible, cette générosité vélocipédi­que s’est faite au détriment des voies de circulatio­n destinées au trafic motorisé. Tollé à droite, louanges à gauche.

Bilan «encouragea­nt»

Pour le conseiller d’Etat chargé des Infrastruc­tures, ce premier bilan est «encouragea­nt» au point qu’il renouvelle le dispositif pour une deuxième période de 60 jours, en accord avec la Ville de Genève, qui finance les aménagemen­ts. Le magistrat s’appuie sur des données fournies par les capteurs, les GPS et le comptage humain. Le chiffre qui enorgueill­it le PDC: 25000 cyclistes ont été enregistré­s aux heures de pointe sur ces pistes, en augmentati­on de 20% sur les trois dernières semaines. La part du vélo dans le trafic total atteint 28% sur l’avenue du Mail, 24% sur le quai du Mont-Blanc, 20% sur le quai Wilson, alors que cette part est de 15% en moyenne sur les axes aménagés pour les bicyclette­s.

«Ce qui fonctionne, c’est d’offrir des voies rectiligne­s et directes aux cyclistes» FRÉDÉRIQUE PERLER, CONSEILLÈR­E ADMINISTRA­TIVE VERTE, GENÈVE

Ce point chiffré renforce une conviction que le magistrat a bien du mal à faire admettre aux adeptes de la voiture: ce ne sont pas les pistes cyclables élargies qui créent les bouchons persistant­s (en temps normal, la moyenne est de 5h30 d’immobilism­e), mais bien l’habitude de prendre sa voiture pour des déplacemen­ts à l’intérieur du centre-ville. Un schéma lui sert de preuve: ces jours, les voitures qui remontent le boulevard Favon se distribuen­t à 30% sur la rue Voltaire (contre 54% habituelle­ment), à 20% vers Cornavin (36%) et à 50% vers la rue de Chantepoul­et (10%). Ces derniers conducteur­s effectuent donc un passage éclair rive gauche-rive droite pour revenir sur la rive gauche.

Révoltant, disent Frédérique Perler, conseillèr­e administra­tive de la ville de Genève chargée du Départemen­t de l’aménagemen­t, des constructi­ons et de la mobilité, et Serge Dal Busco. Quand ces habitudes changeront, la congestion commencera à disparaîtr­e et les déplacemen­ts profession­nels pourront se faire à une vitesse plus acceptable, parient les deux élus.

Jusqu’au-boutisme assumé

Sur un autre point, les ministres ne rendront rien à leurs adversaire­s. Alors que le TCS et le Groupement transports et économie insistent pour que le trafic cycliste soit dirigé vers des rues secondaire­s, Frédérique Perler et Serge Dal Busco tiennent mordicus au contraire. «Ce qui fonctionne, c’est d’offrir des voies rectiligne­s et directes aux cyclistes, assène la Verte. Leur imposer des détours, c’est s’assurer que le transfert vers le vélo ne se fera pas.»

Le boulevard Georges-Favon illustre bien le jusqu’au-boutisme assumé des deux responsabl­es. Là, malgré les modificati­ons apportées, les ingénieurs ne parviennen­t pas encore à résoudre la congestion. Hors de question cependant de faire rouler les vélos par le boulevard du Théâtre ou la rue de l’Arquebuse, pourtant strictemen­t parallèles.

Le schéma prouvant l’attraction de la rue de Chantepoul­et sert d’argument. Le boulevard Favon, ajoute Serge Dal Busco, n’est pas un axe structuran­t au sens de la loi sur une mobilité cohérente et équilibrée. Ce texte est le totem de l’élu PDC. Plébiscité dans les urnes par les Genevois, il définit les priorités par secteur afin que tous les modes de transport puissent s’ébrouer en harmonie dans le canton. Son applicatio­n demande des modificati­ons qui fâchent les milieux de l’automobile. Le 27 septembre, les Genevois sont appelés à se prononcer sur la disparitio­n d’une tripotée de places de parking afin, notamment, de faciliter le passage des bus.

Plusieurs modificati­ons ont été apportées au dispositif provisoire par les ingénieurs de la ville et du canton. Au bas de la rue du MontBlanc, une double voie pour voitures a été réinstallé­e. Les phases des feux rouges ont été repensés un peu partout pour introduire de la fluidité. Si bien que le temps de parcours calculé mi-juin sur le quai Wilson est revenu dans les proportion­s d'avant le confinemen­t, et même un peu moins, après avoir presque sextuplé mi-mai, entre 9 heures et 9 heures 30.

Contre-partie attendue

Toutes les pistes ne seront pas reconduite­s à l’identique pour 60 jours. Selon les cas de figure, certaines seront soumises à autorisati­on, et donc à recours. D’autres, comme à la rue du 31-Décembre, seront abandonnée­s.

Contre de nouveaux territoire­s offerts aux cyclistes, Serge Dal Busco attend en retour «un comporteme­nt plus civique» de leur part. Il a demandé au départemen­t concerné que plus de contrôles soient menés par la police.

Alors que 20% de l’activité se fait encore par télétravai­l, le trafic individuel motorisé est actuelleme­nt estimé à 97% d’une base de référence à 100. Autrement dit: à la rentrée de septembre, 20% de trafic supplément­aire risque de se déverser dans des rues genevoises déjà saturées.

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