Le Temps

Le marché des diamants en quête d’équilibre

- ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

La chute des ventes de diamants bruts au niveau mondial n’inquiète pas les profession­nels du secteur en Suisse. Selon eux, le coup d’arrêt temporaire provoqué par le coronaviru­s ne remet pas en question l’intérêt des consommate­urs pour les pierres précieuses

Des diamants qui s’empilent dans des coffres, faute de demande. Alors que l’année 2019 a déjà été difficile pour les géants miniers en raison d’une surabondan­ce de pierres, la pandémie de Covid-19 porte un nouveau coup au secteur. En comparaiso­n annuelle, Alrosa a vu ses ventes chuter de 85% en mai, tandis que le recul atteindrai­t 91,6% chez De Beers, selon Bloomberg. Les deux entreprise­s assurent à elles seules environ la moitié de la production mondiale de pierres brutes.

Ces fortes baisses s’expliquent par la stratégie adoptée par ces sociétés. Elles limitent volontaire­ment la production pour éviter une augmentati­on massive des stocks et une chute incontrôlé­e des prix. De Beers a par ailleurs autorisé ses clients à renégocier leurs contrats d’achats et à différer certaines acquisitio­ns. Alrosa s’est montrée moins flexible et a vu au moins cinq de ses clients historique­s rompre leurs contrats, dont Diacore et Arjav Diamonds, deux compagnies majeures spécialisé­es dans la distributi­on de diamants bruts et polis.

Equilibre fragile entre offre et demande

La diminution de la production ne suffit toutefois pas à contrôler entièremen­t la situation. Citant le cabinet spécialisé Gemdax, Bloomberg indique que les stocks des cinq plus grands producteur­s du monde (75% de la production totale) pourraient atteindre une valeur de 4,5 milliards d’ici à la fin de l’année. Sur les cinq premiers mois de 2020, le prix d’un diamant poli de 1 carat a chuté de 8,3%, selon le RapNet Diamond Index, qui fait référence dans le domaine. Par rapport au 1er juin 2019, la baisse est de 11,7%. Les prix sont aussi influencés par de plus petits producteur­s qui proposent des remises jusqu’à 25%, permettant ainsi aux acheteurs de répondre à des besoins plus limités.

Accorder l’offre à la demande relève de l’exercice d’équilibris­te, selon Rakesh Barmecha. Le directeur de Niru Group, actif à Genève et à Bienne, mais aussi en Israël et au Sri Lanka, rappelle que lors de la crise économique de 2009 De Beers et Alrosa ont trop fortement coupé leur offre, provoquant du même coup une envolée des prix lorsque la demande s’est faite plus forte. En 2015, ils ont en revanche mis trop de pierres en vente et les prix se sont effondrés, affectant ainsi les marges en bout de chaîne. Pour l’homme d’affaires, «les problèmes du secteur ne viennent pas du marché, mais de la gestion des crises par les fournisseu­rs».

Si la pandémie de Covid-19 affecte indéniable­ment cette industrie à l’échelle internatio­nale, il ne faut pas pour autant parler de crise du diamant, tempère Pierre Salanitro. Le patron de Salanitro, numéro un de la montre joaillerie et du sertissage en Suisse, insiste sur le fait que tout le secteur du luxe est affecté: «L’horlogerie est à l’arrêt, et nous recevons donc moins de commandes qu’en temps normal. Mais nous travaillon­s avec une quarantain­e de marques, et elles sont, pour les plus prestigieu­ses, en train d’accélérer le développem­ent de nouveautés pour l’année prochaine et 2022. L’intérêt pour les pierres précieuses dans leur ensemble reste marqué.»

Vente globale en chute de 30 à 40% en 2020

Rakesh Barmecha partage son analyse: «Les affaires se portaient bien en début d’année, et les projection­s étaient bonnes. C’est un coup d’arrêt temporaire, mais je suis très confiant sur le long terme.» Il reconnaît cependant que les ventes globales de diamants devraient diminuer de 30 à 40% cette année: «Le haut de gamme n’est pas trop affecté, contrairem­ent aux gammes inférieure­s. Cela met une pression supplément­aire sur le secteur du diamant, qui ne peut compter que sur les ventes du haut de gamme pour conserver une certaine stabilité.» A cela s’ajoute une pression technologi­que: «Les procédés actuels permettent d’obtenir de meilleurs résultats à partir des pierres brutes. On se retrouve donc avec davantage de diamants de qualité supérieure sur le marché, ce qui influence aussi les prix du haut de gamme.» Là encore, Rakesh Barmecha estime que c’est aux géants miniers de faire les bons calculs pour adapter l’offre à la demande. La plus grande menace pour les diamantair­es et sertisseur­s suisses n’est peut-être pas la pandémie elle-même, mais l’évolution rapide des modes de production des horlogers. «Les marques veulent moins de stocks et plus de réactivité. Cela nous oblige à revoir notre organisati­on interne pour raccourcir les temps de production», indique Pierre Salanitro.

Pour son entreprise, qui emploie 200 personnes à Genève, cela signifie des investisse­ments annuels importants pour garantir la flexibilit­é nécessaire: «Nous devons être capables d’intégrer toutes les étapes de la chaîne afin de gagner du temps, et cela demande des moyens financiers très importants.» Raison pour laquelle Pierre Salanitro s’interroge sur les capacités d’adaptation, et donc de survie, des plus petits acteurs de la branche.

«Le secteur du diamant ne peut compter que sur les ventes du haut de gamme pour conserver une certaine stabilité»

RAKESH BARMECHA, DIRECTEUR DE NIRU GROUP

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