Le marché des diamants en quête d’équilibre
La chute des ventes de diamants bruts au niveau mondial n’inquiète pas les professionnels du secteur en Suisse. Selon eux, le coup d’arrêt temporaire provoqué par le coronavirus ne remet pas en question l’intérêt des consommateurs pour les pierres précieuses
Des diamants qui s’empilent dans des coffres, faute de demande. Alors que l’année 2019 a déjà été difficile pour les géants miniers en raison d’une surabondance de pierres, la pandémie de Covid-19 porte un nouveau coup au secteur. En comparaison annuelle, Alrosa a vu ses ventes chuter de 85% en mai, tandis que le recul atteindrait 91,6% chez De Beers, selon Bloomberg. Les deux entreprises assurent à elles seules environ la moitié de la production mondiale de pierres brutes.
Ces fortes baisses s’expliquent par la stratégie adoptée par ces sociétés. Elles limitent volontairement la production pour éviter une augmentation massive des stocks et une chute incontrôlée des prix. De Beers a par ailleurs autorisé ses clients à renégocier leurs contrats d’achats et à différer certaines acquisitions. Alrosa s’est montrée moins flexible et a vu au moins cinq de ses clients historiques rompre leurs contrats, dont Diacore et Arjav Diamonds, deux compagnies majeures spécialisées dans la distribution de diamants bruts et polis.
Equilibre fragile entre offre et demande
La diminution de la production ne suffit toutefois pas à contrôler entièrement la situation. Citant le cabinet spécialisé Gemdax, Bloomberg indique que les stocks des cinq plus grands producteurs du monde (75% de la production totale) pourraient atteindre une valeur de 4,5 milliards d’ici à la fin de l’année. Sur les cinq premiers mois de 2020, le prix d’un diamant poli de 1 carat a chuté de 8,3%, selon le RapNet Diamond Index, qui fait référence dans le domaine. Par rapport au 1er juin 2019, la baisse est de 11,7%. Les prix sont aussi influencés par de plus petits producteurs qui proposent des remises jusqu’à 25%, permettant ainsi aux acheteurs de répondre à des besoins plus limités.
Accorder l’offre à la demande relève de l’exercice d’équilibriste, selon Rakesh Barmecha. Le directeur de Niru Group, actif à Genève et à Bienne, mais aussi en Israël et au Sri Lanka, rappelle que lors de la crise économique de 2009 De Beers et Alrosa ont trop fortement coupé leur offre, provoquant du même coup une envolée des prix lorsque la demande s’est faite plus forte. En 2015, ils ont en revanche mis trop de pierres en vente et les prix se sont effondrés, affectant ainsi les marges en bout de chaîne. Pour l’homme d’affaires, «les problèmes du secteur ne viennent pas du marché, mais de la gestion des crises par les fournisseurs».
Si la pandémie de Covid-19 affecte indéniablement cette industrie à l’échelle internationale, il ne faut pas pour autant parler de crise du diamant, tempère Pierre Salanitro. Le patron de Salanitro, numéro un de la montre joaillerie et du sertissage en Suisse, insiste sur le fait que tout le secteur du luxe est affecté: «L’horlogerie est à l’arrêt, et nous recevons donc moins de commandes qu’en temps normal. Mais nous travaillons avec une quarantaine de marques, et elles sont, pour les plus prestigieuses, en train d’accélérer le développement de nouveautés pour l’année prochaine et 2022. L’intérêt pour les pierres précieuses dans leur ensemble reste marqué.»
Vente globale en chute de 30 à 40% en 2020
Rakesh Barmecha partage son analyse: «Les affaires se portaient bien en début d’année, et les projections étaient bonnes. C’est un coup d’arrêt temporaire, mais je suis très confiant sur le long terme.» Il reconnaît cependant que les ventes globales de diamants devraient diminuer de 30 à 40% cette année: «Le haut de gamme n’est pas trop affecté, contrairement aux gammes inférieures. Cela met une pression supplémentaire sur le secteur du diamant, qui ne peut compter que sur les ventes du haut de gamme pour conserver une certaine stabilité.» A cela s’ajoute une pression technologique: «Les procédés actuels permettent d’obtenir de meilleurs résultats à partir des pierres brutes. On se retrouve donc avec davantage de diamants de qualité supérieure sur le marché, ce qui influence aussi les prix du haut de gamme.» Là encore, Rakesh Barmecha estime que c’est aux géants miniers de faire les bons calculs pour adapter l’offre à la demande. La plus grande menace pour les diamantaires et sertisseurs suisses n’est peut-être pas la pandémie elle-même, mais l’évolution rapide des modes de production des horlogers. «Les marques veulent moins de stocks et plus de réactivité. Cela nous oblige à revoir notre organisation interne pour raccourcir les temps de production», indique Pierre Salanitro.
Pour son entreprise, qui emploie 200 personnes à Genève, cela signifie des investissements annuels importants pour garantir la flexibilité nécessaire: «Nous devons être capables d’intégrer toutes les étapes de la chaîne afin de gagner du temps, et cela demande des moyens financiers très importants.» Raison pour laquelle Pierre Salanitro s’interroge sur les capacités d’adaptation, et donc de survie, des plus petits acteurs de la branche.
«Le secteur du diamant ne peut compter que sur les ventes du haut de gamme pour conserver une certaine stabilité»
RAKESH BARMECHA, DIRECTEUR DE NIRU GROUP