«Lost», toujours la matrice
Il y a dix ans, les amateurs s’écharpaient toujours. Le 19 juin 2010, la RTS diffusait, peu avant TF1, l’ultime épisode de Lost, au terme de six années de polémiques déchaînées. Si les plus impatients avaient lâché en cours de route, l’accumulation de mystères avait chauffé à blanc les fidèles.
Cette issue signalant que les personnages centraux étaient, en réalité, tous morts a glacé le plus grand nombre. Sur le moment, on a omis de relever le fait que dire «ils sont tous morts» ne résout rien: encore faut-il savoir, ou décider, quand ils ont disparu. Et c’est là que le vertige provoqué par la série est le plus grand, car alors, en entrant dans sa chronologie tortueuse, on va au coeur du temple. Le fait que le final – une quinzaine de minutes, en réalité – se déroule dans une église a irrité les laïcards, tandis que les dévots ricanaient de tant de pseudo-syncrétisme religieux.
C’est un fait, la fin de Lost est une des plus controversées du genre. Il a fallu neuf ans et Game of Thrones pour retrouver pareilles disputes. Le regret vient du fait que les débats, et souvent les frustrations, ont occulté l’extraordinaire apport de Lost aux séries, à l’art télévisuel lui-même, s’il en est un.
Revoir Lost dix ans plus tard, cette fois sans les pauses d’une année, fait jaillir la spectaculaire densité du voyage proposé et de son écriture. Jugé foutraque ou déloyal, l’éclatement du récit en temporalités diverses, même en réalités parallèles, représente une des plus ambitieuses expériences narratives dans ce cadre – n’oublions pas que le feuilleton était diffusé sur ABC (Disney), une chaîne grand public aux contraintes bien plus grandes qu’une HBO ou, aujourd’hui, Netflix.
Il est faux, ou mesquin, ou paresseux, de dire qu’aucune des énigmes de Lost n’a été résolue. En revoyant le tout, et même s’il reste bien sûr des failles que les auteurs ont revendiquées, on mesure la complexité de l’entreprise et, on peut oser, sa cohérence. Les débats ne finiront jamais, c’est pour cela aussi qu’on peut adorer cette série. Mais c’est surtout parce qu’elle a ouvert d’innombrables fenêtres. Comme l’île qui se déplace dans le temps et l’espace, elle a propulsé le genre bien plus loin qu’elle ne l’avait trouvé.