«PASSION» VIRALE
Le chef baroque Stephan MacLeod a enregistré une «Saint Matthieu» qui a fait un tabac, en pleine période de pandémie. Petite histoire d’un beau succès
Elle est sortie en mars pour annoncer la période de Pâques. Le virus ayant aussi terrassé le monde discographique, la Passion selon saint Matthieu de Bach interprétée par l'ensemble Gli Angeli de Stephan MacLeod a malheureusement été condamnée à vivre virtuellement, en attendant des jours meilleurs. Ces jours bénis arrivent enfin pour la distribution en magasin alors que le premier concert public vient de reprendre au Studio Ansermet. Depuis plus de deux mois, la parution estampillée Claves a fait le buzz.
Alors que les bacs étaient encore inaccessibles, c'est sur le web que le succès a grandi. Il est même devenu assez fulgurant en un temps record. Quatre semaines ont en effet suffi pour que cette nouvelle Passion épurée devienne elle aussi virale. Plus de 450 000 streamings sur le site du label suisse: la direction de la maison de disques n'avait jamais vu ça. L'épidémie musicale a dépassé de quatre fois ce que les meilleurs pronostics pouvaient laisser espérer.
On se doute que la nouvelle réjouit artistes et producteurs, à une époque où le pessimisme règne. Preuve que la musique est comme le vent et le temps. On ne peut ni l'arrêter ni la contenir. Les notes circulent passionnément, de bouches et d'instruments à oreilles.
VISION CLAIRE ET INTIME
On comprend l'engouement à l'écoute de ce petit bijou de délicatesse, de vitalité et d'originalité, qui coule et respire comme une source de vie. Avec, devant les instrumentistes et le choeur rayonnant des Angeli, une brochette d'artistes de haut vol.
Werner Güra en évangéliste et Benoît Arnould en Jésus éclairent le chemin de croix d'un Christ hautement humain. Et les sopranos Dorothee Mields, Aleksandra Lewandowska et Sarah Van Mol, les altos Alex Potter et Marine Fribourg, les ténors Thomas Hobbs et Valerio Contaldo avec les basses Matthew Brook et le fondateur de l'ensemble Gli Angeli enluminent la partition.
L'équipe soudée offre une vision à la fois claire et intime de la grande partition à deux choeurs du Cantor de Leipzig. Une énième version? Evidemment pas pour Stephan MacLeod, qui y revient sans relâche depuis des années et en approfondit chaque fois la vision. Le «sentiment de sécurité» qui l'anime s'appuie sur sa longue expérience du chef-d'oeuvre. «C'est la partition que j'ai le plus chantée et dirigée de ma vie.»
Il en connaît donc tous les enjeux, les écueils et les secrets. En fixer une trace s'est peu à peu imposé, alors que le musicien avait résisté jusque-là à l'appel des sirènes discographiques. «J'ai toujours refusé la course à l'enregistrement, avoue-t-il. Nous nous sommes fait notre place sans disques. Mais la reconnaissance internationale de l'ensemble passe aussi par là.»
Le niveau et la qualité atteints aujourd'hui méritent ce coup de projecteur. «Il s'agit d'un acte important de communication. C'est une déclaration d'intention marquante sur notre existence. La Saint Matthieu est l'Himalaya du répertoire choral, même si par rapport à l'intégrale des cantates que nous arpentons depuis des années, elle est moins volumineuse et d'une certaine façon plus accessible.»
«EXPÉRIENCE D’ENSEMBLE TRÈS FORTE»
Comment aborder ce monument sacré? Avec ambition, certainement, mais humilité aussi. La longueur de l'oratorio, qui dépasse les deux heures et demie, et ses dimensions imposantes, avec double choeur et deux orchestres, atteignent des sommets de grandeur.
Avec ce nouveau disque, on est loin du débordement d'effectif. Huit chanteurs solistes composent les bases vocales sur lesquelles s'appuient les maîtrises du Conservatoire populaire de Genève et du Conservatoire de Lausanne, ainsi que les petits chanteurs de la Schola de Sion. Du côté des instruments, 16 solistes se répartissent à égalité sur les deux ensembles orchestraux.
Cette formation ramassée, tant sur le plan musical que du temps d'enregistrement, représente une «expérience d'ensemble très forte». Une de ces aventures qu'affectionne Stephan MacLeod, toujours occupé à se plonger en immersion artistique et humaine avec ses «Anges». Le travail a été concentré sur seulement trois jours et demi d'enregistrement, avec juste ce qu'il faut de prises directes pour rendre l'unité nécessaire à l'ensemble.
La spécificité de cette Passion? «L'action, le drame et le théâtre doivent être clairement énoncés par le texte qui soutient tout. Chaque mot, chaque parole orientent la façon d'interpréter et de comprendre la partition. La musique, de son côté, soulève les affects et l'empathie en mettant en lumière les souffrances, le deuil et l'espoir. La Saint Matthieu est une immense embrassade de l'humanité, qu'elle englobe avec générosité.»
Tour cela s'entend à chaque page, dans une limpidité aussi éclairante qu'affectueuse.