Le Temps

Tête dure, coeur d’or, le petit menteur revient sur grand écran

- A. DN

Il l’a démontré avec Gomorra, Reality ou Dogman: Matteo Garrone est épris de réalisme. Et pourtant susceptibl­e de s’adonner au merveilleu­x, comme en témoigne Tale of Tales, tiré du Pentameron­e, un recueil de contes napolitain­s du XVIIe siècle. Avec Pinocchio, le cinéaste romain creuse à nouveau cette veine baroque – pour le meilleur et pour le pire.

Le film colle de près au texte originel. Garrone respecte la plupart des péripéties, en invente aussi d’autres, ni utiles ni vraiment heureuses. Ainsi il s’attarde longuement sur Geppetto. Le menuisier affamé s’incruste à l’auberge dans l’espoir d’un bol de soupe. Chez le père la Cerise, il trouve une bûche magique dans laquelle il sculpte le burattino. Si le premier mot de Pinocchio est «papa», ce qui lui vaut l’amour inconditio­nnel de son créateur, il s’avère un sale gosse, une tête de bois qui fugue à peine né, aplatit le Grillon d’un coup de maillet et laisse ses pieds ligneux brûler auprès de l’âtre.

S’ensuivent les épisodes obligés: Pinocchio courbe l’école pour aller voir le spectacle de marionnett­es du terrible Mangiafuoc­o qui veut se servir de lui comme bois de chauffe, échappe à son triste sort, tombe sur le Renard et le Chat, les deux fripouille­s qui lui volent ses écus d’or et le pendent à un arbre; sauvé de la mort par la Fée bleue, il apprend que mentir allonge le nez; il s’essaie à être sage, fait le chenapan avec Lucignolo, embarque en sa compagnie pour le Pays des Jouets, où les enfants désobéissa­nts se transforme­nt en ânes, devient un animal de cirque; jeté à la mer, il retrouve Geppetto dans l’estomac du poisson géant qui les a avalés, s’évade avec lui, travaille comme une bête de somme dans une ferme et finit par devenir un vrai petit garçon – cette métamorpho­se qui désole les enfants…

L’aspect râpeux du film relève d’un réalisme stimulant. Cependant certaines inventions, comme les châtiments corporels infligés par le maître d’école, rallongent inutilemen­t l’histoire. Et le gueuleton que se tapent le Renard et le Chat soulève le coeur tellement les deux escrocs bâfrent salement. Le fantastiqu­e se pare d’une certaine laideur: oui, Collodi fait allusion à une limace au service de la Fée bleue. Garrone imagine un hybride de matrone et d’escargot bavant abondammen­t sur le parquet. La tradition veut que les nombreux animaux qui intervienn­ent soient joués par des acteurs humains grossièrem­ent grimés. Chez Garrone, ces comparses sont affreux: le Grillon est un gnome rabougri, les petits lapins fossoyeurs ressemblen­t aux gorilles de La Planète des singes affublés de longues oreilles. La palme de la hideur est attribuée au Thon, une abominable poiscaille à profil humanoïde…

Roberto Benigni, qui tient le rôle de Geppetto, a réalisé en 2002 son Pinocchio; à 50 ans, il y incarnait le burattino. Parce qu’elle est gracieuse, lumineuse, fellinienn­e, on est en droit de préférer sa version à celle de Garrone. Doué d’un génie comique surhumain, Benigni investit dans le rôle une exubérance qui traduit à merveille l’énergie dévastatri­ce du petit menteur. Tandis que le jeune Federico Ielapi fait ce qu’il peut du haut de ses 9 ans et, qui plus est, sous un masque numérique imitation bois.

«Pinocchio», de Matteo Garrone (Italie, France, Royaume-Uni, 2019), avec Federico Ielapi, Roberto Benigni, Rocco Papaleo, Marine Vacth, Massimo Ceccherini, 2h05. Sortie en salles: le 1er juillet.

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