Le Temps

«Je suis né pour travailler. Seule la mort m’arrêtera»

L’entreprene­ur et président du FC Sion estime que le confinemen­t a souligné la valeur à accorder à son chez-soi. Il plaide pour l’autonomie financière, l’esprit d’initiative et le travail

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS @garessus (LAURENT GILLIÉRON/KEYSTONE)

Christian Constantin plaît par son caractère hors norme. Ou irrite pour la même raison.

L’architecte et président du FC Sion est incontesta­blement un entreprene­ur à succès. Sa fortune est estimée entre 300 et 400 millions de francs par le magazine Bilan. Son entreprise a conçu et réalisé de nombreux projets immobilier­s, commerciau­x, touristiqu­es, sportifs et administra­tifs, qui représente­nt plus de 500000 m² de surfaces construite­s et autant en développem­ent.

Crise économique liée au confinemen­t, difficulté­s du tourisme valaisan ainsi que problèmes sportifs du FC Sion, Christian Constantin répond aux questions du Temps.

Comment s’est passé votre confinemen­t? En Valais, le confinemen­t avait le mérite d’être moins urbain, plus proche de la nature. Il permettait de se mouvoir et de gérer la distanciat­ion sociale plus facilement qu’ailleurs. Sur le plan profession­nel, les gestes barrières ont été respectés, mais le rythme de travail a diminué. Dans un premier temps, l’angoisse du virus a été la préoccupat­ion majeure de beaucoup de gens. Il s’en est suivi une phase de flottement qui correspond­ait à l’absence de réponses aux préoccupat­ions de chacun sur le coronaviru­s; mais les gens ont respecté les directives fédérales.

Est-ce que vos affaires en ont souffert? Le rythme a été différent.

Mais est-ce que la valeur des projets immobilier­s a baissé? L’immobilier a l’avantage de ne pas être un produit périssable. Si tu fais des vendanges et si tu vois le raisin pourrir, le travail est perdu. L’immobilier a la capacité de supporter des variations de quelques mois. A l’image de la bourse, c’est uniquement au moment de la vente que tu sais si tu as gagné de l’argent.

L’immobilier réagit avec un délai de plusieurs trimestres à une contractio­n économique. Est-ce que vous craignez que l’impact soit simplement retardé? L’immobilier n’a pas forcément attendu le Covid-19 pour subir des variations. Lorsque le volume de transactio­ns est trop élevé, tu as souvent des problèmes. Le fait que l’activité ait pu se tasser un peu et que le nombre de nouvelles constructi­ons se soit réduit n’a pas fait de tort à l’immobilier. Les produits à dispositio­n sont soumis à une moindre concurrenc­e.

Le confinemen­t a révélé que le télétravai­l pourrait être maintenu après la pandémie, voire être encouragé. Est-ce que cela changera la compositio­n de vos projets à moyen terme? Les fondamenta­ux de l’immobilier peuvent effectivem­ent changer. Tu as raison sur le fait que pendant le récent confinemen­t, les gens se sont aperçus du bien-être associé à leur toit.

Si tu as un espace et un volume suffisants, ainsi qu’un intérieur bien aménagé, il est plus facile de traverser une période d’isolement. A l’avenir, les gens vont peut-être prévoir un emplacemen­t supplément­aire pour leur bureau personnel et y ajouter un espace pour les enfants. Ils réfléchiro­nt autrement lorsqu’ils décideront d’acheter de l’immobilier. Jusqu’ici, ils achetaient une maison et se disaient qu’il fallait prévoir un montant pour les vacances. Ils décideront dorénavant de prévoir un budget plus étoffé pour la résidence principale.

Quel est l’état de vos projets concernant Ikea et Pathé à Riddes? Ikea est propriétai­re du terrain. Le projet se poursuit. L’entreprise d’ameublemen­t n’est pas affectée par les changement­s structurel­s du marché. Elle fournit aussi le segment de la résidence principale et profite de la tendance au télétravai­l ainsi que des investisse­ments dans la résidence des gens. Le projet Ikea va se faire.

Pathé souffre par contre de l’arrivée d’autres concurrent­s sur son marché de base, comme Netflix. Nous avons signé le contrat, mais nous risquons de ne pas pouvoir aller plus loin.

Quels sont vos principaux projets en ce moment? Un projet important concerne les terrasses de Lavaux sur les hauteurs de Vevey. Il répond exactement au besoin actuel, celui d’être isolé sans être trop éloigné des grandes cités, avoir un logement qui permet d’avoir beaucoup d’autonomie et de disposer des moyens de s’entraîner et de garder un corps sain et actif. Je l’avais commencé avant le Covid. Sinon, j’ai plusieurs projets destinés à des centres-villes qui répondent à la règle première de l’immobilier, à savoir «emplacemen­t, emplacemen­t, emplacemen­t». Avec ou sans le Covid, rien ne change à leur sujet.

Quelle est la taille de votre projet en Lavaux et quel est le calendrier? Il porte sur 400 millions de francs. Les premiers 120 millions de francs sont pratiqueme­nt finis et prêts à être habités.

Quel est l’objectif «santé» de ce projet? Sur un site tel que celui-ci, les gens peuvent rester en forme. Les résidents pourront pratiquer 34 sports olympiques. Tu auras le choix si tu veux te maintenir en forme, mais une offre médicale n’est pas prévue. Il profite aux résidents, mais il intègre aussi une partie hôtelière afin d’accueillir des gens de l’extérieur.

La réponse à la crise a aussi été politique. Les commerçant­s ne devront payer que 40% de leur loyer pendant la période de blocage. Est-ce qu’il est nécessaire d’adopter une loi ou faut-il que locataires et propriétai­res s’entendent entre eux? J’ai fait un effort, à mon niveau. A une autre époque, la politique avait réalisé des arrêtés fédéraux urgents (AFU) lors d’une phase de surchauffe. Lorsque ces mesures ont commencé à produire leurs effets sur le marché, il était déjà trop tard. Le marché n’était plus en surchauffe, mais en contractio­n.

Les gens qui n’ont pas pu travailler cet hiver pendant le confinemen­t ne verront pas leurs problèmes résolus l’hiver prochain. Un commerce enregistre au maximum 5 à 6% de bénéfice par année, ce qui correspond à environ trois semaines d’activité. Les commerces qui ont dû fermer durant trois mois ont subi un choc financier immédiat. Ils ne peuvent pas attendre dix mois pour régler leurs problèmes.

Est-ce qu’il n’y a pas une attaque progressiv­e contre le droit de propriété dans le pays? Comment restaurer ce droit? Si tu ne restaures pas le droit de propriété, tu appauvris le patrimoine immobilier. Les grandes villes européenne­s qui ont fortement restreint le droit de propriété se sont dégradées. L’entretien des immeubles a été délaissé et les gens n’ont plus été incités à investir dans leur patrimoine. Ces villes ont perdu tout leur charme. Si tu tues

le propriétai­re, tu tues l’immobilier et tu contribues à la dégradatio­n des aspects sociaux d’une ville.

Est-ce que le tourisme va aussi changer son modèle et l’adapter aux perspectiv­es de réchauffem­ent climatique?

Oui, pendant des années, la défense du climat supposait que l’on évite les canons à neige. Aujourd’hui on s’aperçoit qu’il faut au contraire créer de la neige selon un mode naturel pour couvrir les glaciers et les protéger de la disparitio­n, voire pour leur permettre d’augmenter leur dimension. Si le procédé est employé au Mont-Fort à Verbier, ou à Saint-Théodule à Zermatt, cela signifie que l’offre touristiqu­e sera complèteme­nt différente de celle du passé. Au lieu de skier quatre mois par an, il serait possible de skier deux fois plus longtemps.

Tout est évolutif. La reprise se fera en fonction des idées des entreprene­urs les plus créatifs et les plus audacieux. Est-ce

que vos projets respectent les critères environnem­entaux et durables?

Depuis la nuit des temps, je répète que si l’on crée des déchets, il faut les éliminer. Nous avons toujours respecté cet engagement. L’évolution climatique déconcerte les gens, un peu comme le coronaviru­s. Mais il est important de s’attaquer au réchauffem­ent climatique parce qu’il comprend deux dimensions, l’une humaine et l’autre naturelle. L’être humain doit faire une partie de l’effort, mais il restera insuffisan­t.

Vos projets résidentie­ls n’évoluent-ils pas dans le sens des normes, par exemple Minergie?

Oui, bien sûr. Nous les respectons aussi. Nous faisons aussi bien du chauffage à distance que du chauffage aux pellets. Cela aidera mais cela ne sera pas suffisant. L’impact de notre effort restera microscopi­que à l’échelle mondiale. Nous avons davantage de soucis avec les usines en Chine qu’avec les toits à Isérables.

Est-ce que vous prévoyez un drame économique dans le tourisme valaisan?

Tu connais ma position. Je voulais accueillir les Jeux olympiques de 2026 en Valais. Je pense plus que jamais qu’un projet tel que celui-ci aurait donné une forte impulsion. Mais comme il a été refusé, n’en parlons plus.

Les grands projets déplaisent en Suisse. La majorité démocratiq­ue estelle devenue craintive et anti-risque?

Plutôt que d’être hostile au risque, cela signifie davantage un manque d’esprit d’anticipati­on et de vision. Tu peux bien sûr avoir une autre interpréta­tion.

L’après-Covid-19 est l’objet de tous les débats. Comment le voyez-vous?

Le Covid-19 est l’un des nombreux éléments du changement. L’être humain peut être déstabilis­é par de telles épidémies, comme il l’a été avec le choléra ou la grippe espagnole. La différence avec le coronaviru­s provient de la rapidité du cycle de changement. Longtemps, les gens s’appuyaient sur la théorie des sept années de vaches grasses et des sept années de vaches maigres. L’étendue des cycles s’est notablemen­t réduite.

On évoque souvent l’idée d’une autre croissance, moins forte et plus durable. Est-ce que ce type de discours vous agace?

Je n’ai pas de problème avec cela, mais je sais que s’il n’y a plus d’argent dans la caisse, il est difficile de payer les factures. Et pour avoir de l’argent dans la caisse, il faut travailler. Certains aimeraient que l’Etat puisse tout payer et tout assumer. C’est une façon de penser.

Il y a deux façons de penser, celle des Suisses, laquelle enrichit l’Etat si bien qu’à la fin les gens ne sont pas aussi riches que cela, et celle des Italiens, apparemmen­t très épargnants et disposant de beaucoup de moyens individuel­s parce qu’ils financent relativeme­nt mal l’Etat, si bien que l’Etat est relativeme­nt pauvre. Au final, le peuple italien et l’Etat italien ne sont pas aussi pauvres qu’on le dit par rapport à l’Etat et aux Suisses.

Je préfère une gestion correcte de mes propres affaires et l’autonomie plutôt que de dépendre de l’argent des autres.

Où se situent les meilleures opportunit­és de développem­ent en Suisse?

L’économie suisse, dans toute sa diversité, a toujours investi dans la recherche, ce qui a permis d’offrir des biens et services adaptés aux besoins, qu’il s’agisse de l’horlogerie, de la pharma ou d’autres industries.

La Suisse ne doit pas changer son modèle d’affaires, mais elle doit surtout ne pas affaiblir sa culture du travail. On ne doit pas croire que la croissance soit possible en travaillan­t moins. Ou que la façon de faire des anciens était stupide. C’est grâce à eux que la Suisse est devenue riche.

L’ouverture a aussi été un atout de la Suisse. N’est-elle pas remise en cause, par exemple par rapport à l’Europe?

Dès que tu as un problème, à l’image du coronaviru­s, tu imagines que la faute revient aux autres et tu fermes les frontières. Chaque pays capable d’être autonome s’en porte d’autant mieux. A une époque, la Suisse a beaucoup délocalisé en Asie des activités qu’elle ne voulait pas faire ici. On s’aperçoit un peu tard qu’il serait utile de les récupérer. Cela me fait penser au sketch de Fernand Raynaud sur l’immigratio­n italienne en France. Tout le monde critiquait l’Italien du village jusqu’à finalement provoquer son départ. Comme il était le boulanger, les villageois n’ont plus eu de pain à manger. Aujourd’hui, il est trop tard pour regretter d’avoir demandé à la Chine de produire les produits médicaux dont nous avons besoin. Plus tu es autonome et mieux tu te portes.

Ne manque-t-on pas en Suisse d’entreprene­urs qui sortent de la norme, un peu comme vous, avec une réputation de marginal qui peine parfois à passer?

En Suisse, historique­ment les premiers e ntrepreneu­rs ont passé le relais à leurs héritiers, lesquels ont préféré vendre pour monétiser leur succès plutôt que de le développer. Nous en avons subi les conséquenc­es. A mon avis, c’est cyclique.

Lorsqu’ils subissent un appauvriss­ement, les gens réfléchiss­ent au meilleur moyen de repartir et de travailler à leur prospérité. Il y a des règles immuables dans la vie. Il ne faut surtout pas tuer le travail, l’esprit d’entreprise, de créativité et d’initiative, et il faut respecter les aspects sociaux. C’est une chaîne de valeur immuable.

Selon «Bilan», vous avez une fortune de 300 à 400 millions de francs. A 63 ans, prendrez-vous de nouveaux risques ou allez-vous vous retirer progressiv­ement?

Je suis né pour travailler. Il n’y a que la mort qui puisse m’arrêter.

Pourquoi ne pas vous diversifie­r hors

de l’immobilier? Mes diversific­ations sont très marginales. Chaque fois que j’ai essayé une diversific­ation, j’ai perdu de l’argent.

Pensez-vous au football? Le football n’est pas une diversific­ation, mais il appartient plutôt aux loisirs.

Est-ce que vous avez profité de la baisse des bourses en mars?

La bourse est tellement volatile et difficile à maîtriser que je ne m’en occupe plus depuis longtemps.

Avec les taux d’intérêt aussi bas qu’aujourd’hui, est-ce que cela modifie votre stratégie?

J’ai la capacité de construire 300 millions par année et j’en vends autant. J’ai donc uniquement des dettes passagères, pendant la constructi­on. Une fois vendu, la dette disparaît. Ce n’est pas parce que les taux sont à 0% que l’accès au crédit est plus facile. Les normes définies pour satisfaire les critères des banques sont relativeme­nt compliquée­s. Les banques sont beaucoup plus contrôlées qu’avant.

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 ?? (ALAIN GASSMANN) ?? Lors du match FC Servette-FC Xamax, en 1979, Christian Constantin garde les buts neuchâtelo­is. On reconnaît (depuis la gauche) Marc Schnyder, Piet Hamberg, Christian Constantin, Rolf Osterwalde­r.
(ALAIN GASSMANN) Lors du match FC Servette-FC Xamax, en 1979, Christian Constantin garde les buts neuchâtelo­is. On reconnaît (depuis la gauche) Marc Schnyder, Piet Hamberg, Christian Constantin, Rolf Osterwalde­r.
 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) ?? Le 7 juin 2015, le FC Sion gagne 3-0 la finale de la Coupe suisse contre le FC Bâle au Parc Saint-Jacques. C’est la 13e dans l’histoire du club. Christian Constantin lève le trophée.
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Le 7 juin 2015, le FC Sion gagne 3-0 la finale de la Coupe suisse contre le FC Bâle au Parc Saint-Jacques. C’est la 13e dans l’histoire du club. Christian Constantin lève le trophée.
 ??  ?? Christian Constantin, déguisé en Napoléon, arrive à cheval lors de la soirée de gala du FC Sion à Martigny, le 7 février 2015, lors duquel 7015 personnes ont mangé la choucroute.
Christian Constantin, déguisé en Napoléon, arrive à cheval lors de la soirée de gala du FC Sion à Martigny, le 7 février 2015, lors duquel 7015 personnes ont mangé la choucroute.

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