LE SENS DERRIÈRE LES MOTS
ISABELLE RÜF Tour à tour drôle, savant ou tragique, Paul Oberson propose un exercice sur le langage
Comment maîtriser le chaos après qu’on l’a laissé envahir ce qu’on appelle un espace de vie? C’est un des trois fils que tresse Paul Oberson dans La Génétique du sens. Le narrateur, qui semble traverser une phase délicate de son existence, s’emploie à réduire les nuisances de son capharnaüm. Le résultat de ses différentes méthodes, systématiques et burlesques, aboutit-il à un progrès? Trop d’ordre ne nuit-il pas à la créativité? Voilà qui entraîne dans des réflexions vertigineuses ce roi de la procrastination, pourtant pressé de retourner à son jeu vidéo ou à sa sieste. La lecture de Wittgenstein s’interrogeant sur les mots et les choses pourrait l’éclairer.
Mais c’est le héros du deuxième volet de ce triptyque en fragments qui étudie les Recherches philosophiques du philosophe viennois. Cet homme, qui s’occupe d’ergonomie cognitive, s’est retiré pour deux semaines dans son alpage. Pendant que tombe la neige, il scrute la géographie du langage, les constellations que forment les mots, et l’intuition d’une «génétique du sens» le foudroie. Quel sens, quelles images sont tapis derrière les paroles que nous échangeons? Au matin, c’est le palimpseste des traces nocturnes laissées par les animaux et les chasseurs qu’il déchiffre.
Le troisième fil, le plus développé, raconte, en la tutoyant, le destin d’une petite Thaïlandaise de la campagne vendue par son père contre l’argent de la réparation du toit. A la ville, dans l’exercice de son travail de «danseuse» de cabaret, la fille va de désillusion en désillusion jusqu’à une fin d’horreur, pendant qu’un navire «de belle allure» emmène au loin trois marins qui n’ont pas encore dessaoulé.
LECTEUR DANS LA NEIGE
On comprend que ce récit est issu d’un carnet de notes, rescapé d’un voyage ancien. A-t-il été retrouvé dans le rangement de l’appartement, appartient-il au lecteur dans la neige ou à l’auteur lui-même? Qui tient les fils qui tissent la trame de ce triptyque? «Je vis. Il pense. Tu es l’autre», est-il écrit en conclusion.
Bref et attachant exercice sur le langage et les genres littéraires, oeuvre d’un fonctionnaire genevois,
La Génétique du sens est publié par les Editions Moins de cent. Cette nouvelle structure fonctionne selon un modèle militant, qui relève de l’utopie: les fichiers qui permettent de lire ses publications sur téléphone, ordinateur, liseuse ou autre support numérique sont mis gratuitement à disposition. Le livre imprimé s’achète, à prix modique, selon la devise: «Nous donnons ce que nous vendons. Nous vendons ce que nous donnons.» Une initiative à suivre.