Le Temps

FRANCHIR LES ALPES POUR S’AFFRANCHIR

- JEAN-BERNARD VUILLÈME

«Transalpin» est un bref et puissant roman de l’émigration impliquant quatre génération­s de Piémontais

Si vous n’aimez que les phrases brèves, sèches et sonnantes, n’y allez pas. Vous succomberi­ez d’impatience, noyé dans les très longues phrases de Vincent Jolit. Si, au contraire, vous appréciez d’embarquer dans des «phrases univers» s’abîmant en d’innombrabl­es détails, s’égarant en mille détours avant de revenir au sujet principal, alors ce livre devrait vous plaire.Roman assez bref, mais ambitieux, Transalpin commence par un saisissant galop retraçant le parcours de trois génération­s. Tout débute avec l’arrière-grand-père, un paysan du Piémont. Mû par «une brûlante impatience accompagné­e d’un dégoût pour sa condition», il largue les amarres, avec femme et enfant, franchit les Alpes et se dirige vers la France. Sa longue marche s’achève à Hyères, où il trouve de l’embauche aux salins.

JAMAIS UNE PLAINTE

L’ancêtre accomplit sans rechigner des journées de labeur de dix heures et demie, brisant la croûte, formant des tas, poussant sa brouette jusqu’à la montagne de sel. Le roman décrit aussi le racisme latent, et parfois virulent, des autochtone­s pour ces Ritals venus leur chiper du travail. L’arrière-grandpère accepte pleinement sa destinée d’exilé de la misère. Jamais une plainte sur ses rudes conditions de vie. La fierté de nourrir sa famille se double du «fantasme d’un rang social», d’une sorte de promotion pour les suivants de sa lignée, dont il serait l’ancêtre et le pilier.

Pour son fils, devenu Français, et presque aussitôt happé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, le sort sera cruel. Un obus lui tombe dessus, le coupant en deux, «avalé par la terre ou vaporisé dans l’air». Le corps du caporal (dérisoire promotion) reste introuvabl­e. Il a eu le temps cependant d’avoir à son tour un fils, lequel devient un boucher respecté, «une sorte de transfert entre le sel et la viande». Non pas respecté pour son opulence, mais pour sa formidable dextérité à la découpe, qui lui fait gagner des concours et le remplit de fierté.

ÉTERNEL RETOUR

Fin du galop, page 30, avec l’arrivée de la quatrième génération, le fils du boucher, un gosse doué pour le dessin et la peinture. Son père se distinguai­t aux concours de découpe, lui empoche le premier prix de l’école d’art au nez et à la barbe des biens nés et des nantis. Le fils du boucher devient vite le personnage central du roman. Encore attaché par toutes ses fibres au travail des salins, pelleter, pousser la brouette, activité qu’il choisit pour gagner sa vie, dans un premier temps, on imagine qu’il va bientôt incarner «la ridicule ascension à laquelle l’ancêtre croit». Mais une vie d’artiste, c’est rarement très simple, et le jeune peintre talentueux semble encore empêtré dans la glaise de l’histoire familiale. Il vit un amour heureux, bientôt contrarié par la maladie.

Au-delà de la fin poignante de ce roman, au goût de métaphore et d’éternel retour, l’auteur parvient, par son écriture aux phrases entêtées et tournoyant­es, à entrer vraiment dans le vif des êtres et des choses.

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Jolit
Titre | Transalpin Editeur | Fayard Pages | 157
Genre | Roman Auteur | Vincent Jolit Titre | Transalpin Editeur | Fayard Pages | 157

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