Un «monde nouveau», plus égalitaire?
George Orwell reprochait au milieu des intellectuels de vouloir effacer le réel pour ne s’intéresser qu’à l’idée. Cette faiblesse, qui fonde les plus décevantes illusions, est aussi celle des penseurs médiocres, des utopistes et des opportunistes de toutes sortes. Les multiples appels à l’avènement d’un monde nouveau, «d’après-Covid», illustrent bien le phénomène mis en évidence il y a près d’un siècle par l’écrivain et chroniqueur anglais.
La mouvance rose-verte, les ONG et certains intellectuels sont les plus audibles et les plus visibles dans la promotion du «grand reset ou grande réinitialisation» qui devrait, au titre de «l’après-Covid», rendre les entreprises plus raisonnables dans leur recherche incessante de la croissance au détriment de la planète, les particuliers moins bêtement consuméristes et les sociétés humaines moins inégalitaires. De grandes organisations internationales ont rejoint ces pionniers. Notamment le World Economic Forum (vraisemblablement parce que le patron du WEF y trouve le sujet qui donnera du grain à moudre à ses invités en janvier prochain) et le Fonds monétaire international (ce qui est assez stupéfiant quand on songe aux programmes d’austérité qu’il a, pendant des décennies, imposés aux pays financièrement à l’agonie).
Toute cette agitation n’est pas raisonnable. Elle n’est guère crédible dès lors qu’aucun des acteurs n’a encore expliqué sérieusement ce qu’à ses yeux, s’élevant au-dessus de l’utopie, il conviendrait de faire pour développer «la croissance plus verte, plus intelligente et plus juste» qu’il vante.
Prenons l’exemple des inégalités. Desquelles les défenseurs d’un monde plus juste parlentils? Sont-ce les inégalités de revenus et de patrimoines au sein de l’UE et aux Etats-Unis? S’agit-il de l’écart des salaires au sein des sociétés occidentales? Ou plutôt des différences de niveau de vie entre les pays du Sud et ceux du Nord? Des retards de développement économique et des injustices sociales au sein des peuples d’Afrique?
Ce silence sur les moyens ne serait-il pas dû à l’inconfort intellectuel dans lequel se trouvent sans doute ces hérauts d’un monde meilleur pour demain? Car, le plus souvent, les réponses à ces problèmes appellent la mise en oeuvre de ressources, d’instruments et de forces inconciliables?
L’humanité lutte depuis des siècles déjà, avec un succès que nul ne saurait nier, contre la pauvreté, pour la santé des habitants de la planète et pour réduire les différences de moyens d’existence et de développement entre les peuples et les individus. Par quel miracle cette lutte compliquée pourrait-elle prendre un cours et un rythme nouveaux parce que le virus a sévi?
S’agissant par exemple du fossé économique Nord-Sud, l’histoire de ces 50 dernières années a montré que le seul moyen de favoriser le développement des populations des pays pauvres n’est pas le subventionnement mais les investissements par les entrepreneurs occidentaux (et chinois désormais) dans les infrastructures et les industries exportatrices de ces derniers, ainsi que l’ouverture des marchés occidentaux à leurs exportations agricoles. Ce qui pose moult problèmes sociaux et économiques chez nous et génère bien des réactions du côté des milieux tiers-mondistes outrés parce qu’ils y voient une forme de néocolonialisme et d’exploitation par l’Occident d’une main-d’oeuvre locale sous-payée.
A l’évidence, en dépit des grands discours et des gesticulations, le monde d’après-Covid ne sera pas différent de celui que nous connaissons. Les deux vrais défis, gigantesques, qui partout conduiront, eux, immanquablement au bouleversement de nos modes de vie et à des soubresauts sociaux prévisibles, soit la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement, n’ont rien à voir avec le virus. Alors cessons de nous faire frissonner avec le mirage d’un monde nouveau plus beau, plus intelligent et plus juste issu d’une pandémie.
A l’évidence, en dépit des grands discours et des gesticulations, le monde d’après-Covid ne sera pas différent de celui que nous connaissons