Le Temps

Economie et droits humains: coup d’accélérate­ur européen

- CONSULTANT­E, MEMBRE DU COMITÉ CONSULTATI­F AU «EU RESPONSIBL­E BUSINESS CONDUCT WORKING GROUP» PROFESSEUR­E ET DIRECTRICE DU GENEVA CENTER FOR BUSINESS AND HUMAN RIGHTS DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE SARAH DEKKICHE DOROTHÉE BAUMANN-PAULY

Si, en Suisse, le peuple sera appelé à se prononcer sur l’initiative des multinatio­nales responsabl­es, les règles contraigna­ntes en matière de droits de l’homme en entreprise se multiplien­t à l’étranger. Autant s’y préparer. Sur la question des droits de l’homme en entreprise, les agendas politiques suisse et européen se chevaucher­ont le 1er juillet prochain. Ce jour-là, le Conseil fédéral devrait se prononcer sur la date de la votation sur l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es. Le même jour, l’Allemagne prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne, en ayant annoncé soutenir la mise en place d’un cadre réglementa­ire européen en matière de droits de l’homme en entreprise tel que le veut la Commission européenne. Les entreprise­s suisses qui sauront rapidement s’adapter à ces exigences seront plus à même d’assurer leur pérennité sur les marchés mondiaux, tout en répondant aux revendicat­ions de renouveau que la crise du coronaviru­s a mises en lumière.

L’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es veut rendre les entreprise­s légalement responsabl­es des incidences négatives sur les droits de l’homme et l’environnem­ent. Cette revendicat­ion n’est pas un cas isolé. Au contraire, les législatio­ns dans ce sens se multiplien­t à l’étranger: loi sur le devoir de vigilance en France, Modern Slavery Act au Royaume-Uni et en Australie, pour n’en citer que quelques-unes. D’autres sont en cours d’élaboratio­n. Par ailleurs, Didier Reynders, commissair­e européen à la Justice, a récemment annoncé travailler à un projet de loi européen sur la diligence raisonnabl­e en matière de droits de l’homme et de l’environnem­ent dès 2021, qui engage notamment la responsabi­lité civile de l’entreprise. Selon lui, «la conduite responsabl­e et les chaînes d’approvisio­nnements durables doivent être la norme, une orientatio­n stratégiqu­e pour les entreprise­s». L’Allemagne, qui s’apprête à prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne pour les prochains six mois, a bien l’intention de donner un coup d’accélérate­ur à sa mise en oeuvre.

Pour une entreprise, mettre en place une procédure dite de diligence raisonnabl­e en matière de droits humains telle que définie par les Nations unies et l’OCDE, c’est inscrire les droits de l’homme dans les politiques et les systèmes de gestion de l’entreprise, mettre en oeuvre des processus pour identifier et évaluer les risques, cesser les activités qui en sont à l’origine ou réparer les dommages causés, faire un suivi et communique­r sur les mesures mises en place. De la gestion de risque, donc, qui s’exerce de manière progressiv­e et continue selon les moyens et la taille de l’entreprise et en fonction de son secteur d’activité. Les PME sont donc elles aussi concernées.

Bien que certaines entreprise­s en Suisse commencent à mettre en place de telles procédures, le véritable enjeu reste leur intégratio­n dans les pratiques commercial­es et les processus décisionne­ls. ABB, par exemple, a déployé un vaste programme de formation de ses employés afin de les sensibilis­er et de les outiller à l’identifica­tion de risques. Citons également Nestlé qui a identifié le travail des enfants, notamment dans les plantation­s de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, comme l’un de ces sujets saillants, et qui, en partenaria­t avec différente­s parties prenantes, s’assure que des standards clairement définis sont appliqués et rend compte des progrès réalisés.

Si de bonnes pratiques existent, davantage d’efforts sont nécessaire­s pour faire du respect des droits de l’homme le b.a.-ba de toute activité commercial­e. Parallèlem­ent, les voix revendiqua­nt un «non-retour en arrière» se multiplien­t. Par conséquent, au lieu de contester un cadre législatif en matière de droits de l’homme, une entreprise devrait le saisir comme opportunit­é pour maintenir sa santé économique dans un marché européen et internatio­nal de plus en plus exigeant, et ainsi se donner les moyens de relever les défis de mutations économique­s et sociales impérative­s que la crise du Covid-19 a révélés. ■

Au lieu de contester un cadre législatif en matière de droits de l’homme, une entreprise devrait le saisir comme opportunit­é

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