Le Temps

Dérives policières et racisme systémique: avis contrastés

- BARBARA BERNATH SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L'ASSOCIATIO­N POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE

Les 8 minutes et 46 secondes d’agonie de George Floyd le 25 mai à Minneapoli­s sont devenues un symbole de la nécessité de s’attaquer au racisme institutio­nnel au sein de la police. «Vous avez vu mon frère torturé et assassiné devant la caméra: c’est la manière dont les Noirs sont traités en Amérique», a déclaré son frère Philonise au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. D’autres décès dans d’autres pays témoignent aussi d’un racisme institutio­nnel: Adama Traoré en France, Mike Ben Peter en Suisse ou encore Joao Pedro Mattos Pinto au Brésil. Cela n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Les Noirs et les autres minorités sont quotidienn­ement victimes de harcèlemen­t, d’interpella­tions et de fouilles discrimina­toires.

Le racisme systémique vient s’ajouter à une véritable culture de la violence au sein de la police. Les manifestat­ions publiques qui ont eu lieu après la mort de George Floyd pour protester contre la violence policière et le racisme se sont heurtées, ironiqueme­nt, à des violences, des passages à tabac ou l’utilisatio­n de grenades ou autres méthodes violentes de dispersion des manifestat­ions. Durant la pandémie aussi, on a observé un usage excessif de la force dans de nombreux pays pour faire respecter les mesures de confinemen­t, en particulie­r dans les quartiers pauvres et marginalis­és.

Le racisme systémique et la culture de la violence sont les causes profondes des mauvais traitement­s par la police. Si nous saluons les récentes mesures prises à New York et dans d’autres Etats, telles que l’interdicti­on des étrangleme­nts, un réel changement requiert bien davantage. Il s’agit de «reconstrui­re et pas seulement de réformer», selon les termes de Michelle Bachelet, haut-commissair­e des Nations unies aux droits de l’homme.

Il faut transforme­r en profondeur la culture institutio­nnelle de la police afin de rompre avec les attitudes discrimina­toires, hostiles et coercitive­s du «nous contre eux». La communauté doit être au centre de ce changement. Une action résolue doit être menée – simultaném­ent – à quatre niveaux différents:

– Le rôle de la police doit être revu afin de protéger et servir la communauté, avec une police de proximité axée sur la recherche de solutions et de partenaria­ts, fondée sur des valeurs fortes de dignité, d’égalité et de non-discrimina­tion. Cela implique une «démilitari­sation» de la police en termes de structures, de tactiques, d’armement et surtout d’état d’esprit afin de ne plus considérer l’autre a priori comme un suspect.

– Les policiers: le profil des agents ne doit pas être celui de «guerriers» mais de «protecteur­s». La transforma­tion peut nécessiter des licencieme­nts: à Camden, dans le New Jersey (Etats-Unis), les agents ont dû repostuler à la nouvelle police de proximité. Enfin, la formation doit être axée sur le rôle de la police dans la société plutôt que sur ses tâches, et mettre l’accent sur les relations avec la communauté et la désescalad­e de la violence.

– La culture policière caractéris­ée par un «esprit de corps» doit faire place à la transparen­ce et au contrôle externe. Des visites régulières et inopinées des commissari­ats de police par des organes indépendan­ts contribuen­t à réduire les risques de racisme institutio­nnel et de culture de la violence.

– Enfin, l’impunité est un obstacle majeur au changement: Derek Chauvin, l’officier qui a tué George Floyd, avait fait l’objet de 18 plaintes préalables. Les responsabl­es de comporteme­nts racistes ou de mauvais traitement­s doivent être immédiatem­ent traduits en justice. La supervisio­n interne doit aussi s’exercer fermement sur des aspects moins visibles tels que les règles informelle­s, le langage abusif ou l’utilisatio­n d’insignes ou symboles politiques ou extrémiste­s.

Transforme­r profondéme­nt la police exige un engagement fort et peut se heurter à des résistance­s, comme l’illustre le rétropédal­age du ministre français de l’Intérieur qui a ré-autorisé les étrangleme­nts après les avoir interdits, suite aux protestati­ons des syndicats de police et des policiers. La police est le reflet de la société. Un changement ne peut advenir qu’avec l’appui de l’opinion publique et des médias. La dynamique en cours est encouragea­nte mais nous savons que nous devons unir nos forces pour mettre fin au racisme systémique et à la culture de la violence. Il est temps de prévenir la torture et les mauvais traitement­s. Ensemble. Et maintenant.

Les responsabl­es de comporteme­nts racistes ou de mauvais traitement­s doivent être immédiatem­ent traduits en justice

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