Le Temps

Au fitness, la sueur de la peur?

Avec leurs vestiaires, leurs douches et leur matériel collectif, les salles de gym sont-elles propices aux infections virales? A priori non, à condition de respecter les règles d’hygiène et de distanciat­ion sociale

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

A l’image des abattoirs ou des clubs, les salles de gym, avec leurs vestiaires, leurs douches et leur matériel collectif, sont-elles propices aux infections virales?

■ Les études divergent. Mais a priori non, à condition de respecter les règles d’hygiène et de distanciat­ion sociale

Les salles de fitness et autres infrastruc­tures sportives ont dû, comme la plupart des activités non essentiell­es, cesser leur activité lors du confinemen­t dû à l’épidémie de Covid-19. Alors que les pratiquant­s suisses reprennent timidement le chemin des vestiaires, les scientifiq­ues s’interrogen­t sur le potentiel de ces lieux s’agissant de la transmissi­on du virus responsabl­e de la maladie. Sont-ils, comme les abattoirs ou les rassemblem­ents religieux, de possibles nids à coronaviru­s, propices à raviver les transmissi­ons virales dans des clusters de nouveaux cas? Les études divergent.

Un exemple trop parfait?

Des épidémiolo­gistes de l’Université d’Oslo ont suivi 3764 abonnés à des clubs de fitness de la capitale norvégienn­e. Durant deux mois, la moitié des participan­ts ont eu pour tâche d’aller transpirer au moins 2 fois par semaine sur des tapis de yoga, tandis que les autres avaient interdicti­on de s’y rendre et ne devaient rien changer à leurs habitudes. L’objectif: comparer les nouvelles infections au sein des deux groupes afin d’en déduire si le virus se propageait plus particuliè­rement dans les salles de sport. L’étude n’a pas eu lieu dans n’importe quel établissem­ent – ils demeurent fermés dans le pays – mais dans cinq enseignes ayant spécifique­ment rouvert pour l’occasion et qui ont dû se plier à de strictes conditions d’hygiène et de distanciat­ion sociale (machines et mains désinfecté­es après chaque usage, de 1 à 2 mètres de distance entre les personnes selon le type d’activité, etc.).

Deux semaines après avoir rechaussé leurs baskets, les participan­ts ont dû effectuer un test de détection virale par PCR. Verdict: sur les 1896 personnes ayant soulevé de la fonte ou couru sur un tapis, une seule s’est révélée positive, et aucune dans le groupe témoin. L’infection de cette personne a probableme­nt eu lieu indépendam­ment, celle-ci ayant séché les séances de sport, notent les auteurs. Aucun des participan­ts à l’étude n’a été admis à l’hôpital dans les semaines qui ont suivi. «Notre essai ne montre aucune augmentati­on de la transmissi­on virale ou des cas de Covid19 en lien avec les clubs de fitness appliquant de bonnes pratiques d’hygiène et de distanciat­ion sociale», conclut l’auteur principal Michael Bretthauer dans son article en préprint (non validé par les pairs) paru sur le site MedrXiv.

Coup de sifflet final? Pas forcément, car l’étude norvégienn­e a son lot de limites. Parmi elles, le cadre idéal: le pays maîtrise relativeme­nt bien l’épidémie, hygiène et distanciat­ion étaient strictemen­t encadrées et enfin aucun des participan­ts n’était infecté avant le démarrage de l’étude. «Cette étude avait peu de chances de détecter plus d’infections dans les salles de sport puisque le virus ne circulait que très peu en Norvège», avance l’épidémiolo­giste Julien Riou de l’Université de Berne.

Il serait donc intéressan­t d’effectuer le même type de protocole dans un pays plus sérieuseme­nt frappé par le coronaviru­s, où des membres pas ou peu symptomati­ques iraient s’entraîner sans savoir qu’ils sont contagieux. L’équipe de Michael Bretthauer prévoit un suivi similaire lorsque d’autres clubs rouvriront leurs portes, certaineme­nt avec de moindres mesures de sécurité.

La zumba suspectée

A l’autre bout du monde, des clusters d’infection constatés dans des salles de fitness suggèrent une image bien moins optimiste de la situation. Un rapport paru début juin dans la revue Emerging Infectious Diseases relate ainsi l’apparition en Corée du Sud de 112 nouveaux cas de Covid-19 survenus en février et mars dans 12 salles de fitness de la région de Cheonan, à une centaine de kilomètres au sud de Séoul. Ce résultat est le fruit d’une enquête de «contact tracing» menée par une équipe d’épidémiolo­gistes de la Faculté de médecine de l’Université Dankook, après l’apparition d’un nouveau cas de Covid19 à Cheonan le 25 février.

En interrogea­nt tous les contacts de cette personne malade, les scientifiq­ues ont remonté la chaîne de transmissi­on et ont constaté que le dénominate­ur commun à toutes ces infections était la pratique de la zumba, une activité de danse à rythme soutenu généraleme­nt dispensée en groupes. Le «patient zéro» de cette chaîne? Un instructeu­r s’étant rendu à un séminaire de formation dix jours plus tôt. Sur les 27 participan­ts au séminaire, huit sont tombés malades durant les jours qui ont suivi, non sans avoir entre-temps infecté nombre de leurs élèves avec qui ils s’étaient déhanchés, aboutissan­t finalement au cluster de 112 cas recensé dans la région.

Les épidémiolo­gistes ont été surpris par la proportion des infections: 54 des 217 élèves ayant côtoyé les instructeu­rs positifs ont été infectés, soit un «taux d’attaque» (ou taux d’incidence) de 25%. Un chiffre spectacula­ire. «L’hyperventi­lation provoquée par un exercice physique intense dans un espace confiné pourrait être la raison expliquant ce taux d’attaque extrêmemen­t élevé», suppose dans le New York Times le docteur Ji-Young Rhee, principal auteur de ce rapport. Citée par le quotidien, une experte en ingénierie suggère que le système de ventilatio­n pourrait être en cause, si celui-ci fonctionne en circuit fermé et non en faisant pénétrer de l’air venu de l’extérieur.

Pour Julien Riou, ce ne sont pas les salles de fitness, la zumba, ou la ventilatio­n qui posent un problème particulie­r: «Comme souvent, on en revient aux basiques: ce sont avant tout les contacts qui favorisent la transmissi­on du virus.» L’épidémiolo­giste voit dans les cas liés aux salles de sport des situations de «super spreading», autrement dit une éclosion rapide et ponctuelle de nouveaux cas, plutôt qu’un phénomène de fond.

Les scientifiq­ues coréens ont d’ailleurs fait une observatio­n allant dans ce sens: ils n’ont décelé aucun cas survenu dans les cours de zumba avec cinq élèves ou moins, ou dans les autres sports de moindre intensité, et ce, même lorsque l’instructeu­r était infecté. Pour minimiser les risques, mieux vaut donc s’en tenir à des règles simples telles que s’assurer du respect des mesures d’hygiène prises dans les établissem­ents, et éviter de participer aux cours fortement fréquentés.

«L’hyperventi­lation provoquée par un exercice physique intense dans un espace confiné pourrait être la raison expliquant ce taux d’attaque extrêmemen­t élevé» JI-YOUNG RHEE, MÉDECIN ET AUTEUR D’UN RAPPORT SUR LE VIRUS EN CORÉE DU SUD

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(CHRISTOPHE PETIT TESSON) Si les mesures d’hygiène sont respectées, on ne s’exposerait pas plus au Covid-19 dans un club de sport… qu’ailleurs.

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