Des annexions aux portes de Jérusalem?
Benyamin Netanyahou a promis d’amorcer le processus d’annexion d’une partie de la Cisjordanie occupée ce 1er juillet. Plusieurs projets circulent, dont celui d’étendre d’abord la souveraineté israélienne aux abords de la Ville sainte
Le check-point est presque invisible, petite structure de tôle au milieu d’une vallée de pins. Le bus le franchit sans s’arrêter: dans ce sens-là, pour aller de Jérusalem en Cisjordanie occupée, les Israéliens ne contrôlent pas. Au bout d’une dizaine de minutes se dessine la silhouette de Har Gilo, des lotissements identiques accrochés à flanc de colline, annoncés par un bouquet de drapeaux israéliens. «C’est la petite Suisse: en hiver, il fait très froid, on est à plus de 100 mètres au-dessus de la Ville sainte», rit Karine Bismuth-Bitton, une Franco-Israélienne installée ici depuis treize ans.
«On a vraiment l’impression d’être un quartier de Jérusalem» KARINE BISMUTH-BITTON, FRANCOISRAÉLIENNE INSTALLÉE À HAR GILO DEPUIS TREIZE ANS
«On a vraiment l’impression d’être un quartier de Jérusalem; souvent, je dis que j’habite à Jérusalem.» Aux yeux du droit international pourtant, Har Gilo est illégale: c’est une colonie, au milieu de terres palestiniennes, dans les environs de Bethléem. «Je ne colonise personne», se défend Karine, qui dit s’être installée ici «pour le cadre et le prix, pas par idéologie».
Le premier ministre, Benyamin Netanyahou, a promis l’annexion de 30% de la Cisjordanie, s’il était reconduit à son poste. Le 17 mai dernier, son nouveau gouvernement, fruit d’une alliance avec son ancien rival, Benny Gantz, a prêté serment en entérinant cette promesse. Israël a l’aval des EtatsUnis: l’annexion fait partie du plan Trump, présenté fin janvier.
Le processus devrait être enclenché ce mercredi 1er juillet.
Sauf que depuis, aucune carte n’a fuité. Qu’est-ce qui sera annexé? Selon quel calendrier? Va-t-on donner la nationalité aux Palestiniens qui vivent sur les terres convoitées? Non, a dit Netanyahou. Il ne faut pas annexer de zones avec des Palestiniens, a répondu Gantz. L’un affirme qu’il faut commencer tout de suite, l’autre que la lutte contre le coronavirus est la priorité. Toutes les réunions avec l’émissaire des Etats-Unis se sont pour l’instant soldées par des échecs. Ces derniers jours, il se murmure que le gouvernement commencerait par une annexion a minima. La souveraineté serait d’abord étendue aux colonies situées autour de Jérusalem, au sud, le bloc du Gush Etzion, et à l’est, Maaleh Adumim.
«Si ça peut se faire sans heurts, je veux bien mais sinon, non», assure Karine. Har Gilo a été fondée juste après la guerre de 1967, qui a inauguré l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Dina, 75 ans, est arrivée ici il y a presque un demi-siècle: «Je ne sais pas ce que ça va changer. Avant, parfois, quand quelqu’un devait venir réparer mon frigo, il répondait: «Ah, non, on ne va pas au-delà de la ligne verte.»
Mais aujourd’hui, les colonies font partie du paysage. Aux pionniers qui allaient s’installer sur des monticules de l’autre côté de la ligne verte, par idéologie, se sont ajoutées les classes moyennes. Des gens qui, comme Karine, ne viennent pas habiter sur les terres palestiniennes par idéal sioniste mais par confort. En 1980, Israël a annexé la colonie juste en face, Gilo, à Jérusalem-Est. Quarante ans plus tard, l’Etat hébreu entend rajouter un «trait sur le papier», et relier les deux jumelles, Gilo et Har Gilo, sous un même ensemble.
Pourtant, rappelle Brian Reeves de l’ONG anti-occupation La Paix maintenant, passer de cette annexion de facto à une vraie inscription dans la loi non seulement rendrait la solution à deux Etats caduque mais surtout aurait des conséquences sur le terrain: «Théoriquement, avec l’annexion, il sera plus facile de construire» et de planifier les colonies.
Au pied de Har Gilo, Firas al-Atrache montre les rares terrains encore disponibles, sur les hauteurs de son village, Al-Walajeh. «S’il y a annexion, ils vont confisquer toutes les terres vacantes», craint ce membre du conseil local. Il explique que les Israéliens utilisent le fait que ces terrains, enregistrés à l’époque des Ottomans, n’ont pas été bien répertoriés, parce que les Palestiniens qui les possédaient ne déclaraient pas tout, pour échapper aux impôts.
Une épine dans le pied
«On est là, comme une épine dans le pied du projet du Grand Jérusalem», raconte le quarantenaire, son visage mangé par de grosses lunettes de soleil. «Alors, ils veulent en finir avec nous», poursuit-il, pointant du doigt des maisons détruites récemment, faute de permis de construire valide. Israël n’en délivre quasiment pas aux Palestiniens dans les zones sous son contrôle.
Sur l’un des flancs du village, le mur de séparation barre l’horizon. Derrière, Jérusalem, à moins de cinq minutes de là. Firas n’a pas le droit d’y aller: «Al-Walajeh vit désormais connectée à Bethléem, de l’autre côté. Mais s’il y a annexion, il y a de fortes chances que les Israéliens érigent une porte à l’entrée du village, qu’ils ouvriront et fermeront à leur guise. Ils contrôleront tous nos mouvements.»
Y a-t-il une alternative, maintenant que quelque 400000 Israéliens vivent en Cisjordanie? Oui, martèle Brian Reeves. «Avec de petits échanges de terre, expliquet-il, près de 80% des colons n’auraient pas à être déplacés.» Les Palestiniens auraient alors un Etat à eux. Mais c’est cette idée même qui bloque pour l’instant les plans d’annexion. Les représentants des colons israéliens sont vent debout contre l’idée. Un Etat juif, de la Méditerranée au Jourdain, voilà ce qu’ils réclament.