Les Cherpines, emblème de la ville future?
Le Conseil d’Etat genevois signe ce mercredi un partenariat public-privé qui brosse les contours du futur quartier axé sur la mobilité douce. Le grand projet, qui prévoit à terme 4000 nouveaux logements, suscite néanmoins quelques critiques
Projets d'aménagement refusés, émoi autour d'abattages d'arbres ou manifestations contre une «densification effrénée»: bâtir à Genève s'avère compliqué. Qu'à cela ne tienne, le Conseil d'Etat veut faire du futur quartier des Cherpines, à cheval sur les communes de Plan-les-Ouates et de Confignon, un modèle d'exemplarité avec des espaces coopératifs, un trafic routier limité ou encore des encouragements à la mobilité douce. Il signe ce mercredi une convention avec des promoteurs immobiliers et les autorités de Plan-les-Ouates qui donne le coup d'envoi à ce grand projet estimé à environ 500 millions de francs. Les 1000 premiers logements – sur les 4000 prévus – devraient voir le jour dès 2023 dans la zone dite du Rolliet. Ce qui ne va pas sans susciter des craintes chez les habitants des alentours.
Après les ratés de l'écoquartier d'Artamis à la Jonction, l'Etat est attendu au tournant sur ce projet ambitieux, en gestation depuis des années. A terme, quelque 10000 nouveaux habitants s'installeront sur le périmètre de 58 hectares qui promet également 2500 emplois. Pour autant que le prolongement du tram 15, condition sine qua non posée par les communes saturées par le trafic, soit effectif. Outre du logement mixte (social, locatif, coopératif et PPE), des zones vertes et des pistes cyclables, les Cherpines promettent des «aménagements inédits, jamais testés à cette échelle-là en Suisse», se félicite le conseiller d'Etat Antonio Hodgers.
Trois places de vélo par appartement
Sur le plan de la mobilité, deux chiffres résument l'orientation du Rolliet: trois places de vélo par appartement sont prévues contre seulement 0,6 place de parking, uniquement en souterrain. Une centrale mobilité gérera l'ensemble des offres proposées aux nouveaux habitants: abonnement général des transports publics genevois offert en cas de renoncement à la voiture, accès à des vélos électriques et à des locaux de coworking à prix réduit, organisation de covoiturage ou encore casiers de livraison automatisés et réfrigérés pour se faire livrer à domicile 24h/24. «Le quartier est prévu pour inciter au report modal, limiter le trafic routier et éviter aux habitants des déplacements inutiles d'un bout à l'autre de la ville», souligne Séverine Pastor, cheffe de projet au Département du territoire. Coût total des mesures: 1,2 million de francs. Ces offres n'induisent-elles pas une forme de «sélection» des futurs habitants? «Les bonnes habitudes en matière de mobilité et de consommation se prennent à l'arrivée des nouveaux habitants, estime Antonio Hodgers. C'est le rôle de l'Etat d'offrir ces infrastructures utiles et aux futurs habitants de se les approprier.»
En matière d'aménagement, quelque 5500 m² de locaux coopératifs sont prévus au rez-de-chaussée de chacun des immeubles de quatre à neuf étages. «Incluses
«C’est l’enrobage écologique que l’Etat nous vend à chaque fois pour faire passer la pilule. Le résultat est très souvent décevant» JEAN HERTZSCHUCH, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION SAUVEGARDE GENÈVE
dans les plans financiers des promoteurs, ces surfaces seront louées à prix réduit à des associations ou à des infrastructures communales», détaille Séverine Pastor. L'un des promoteurs impliqués, Charles Spierer, précise le mécanisme: «Dans un immeuble standard, le hall d'entrée et la cage d'escalier ne sont pas rentables et tout le monde en paie une partie dans son loyer, rappelle-t-il. Dans le cas des Cherpines, on s'est engagé à aménager et à agrandir ces espaces pour qu'ils bénéficient à tous, en les traitant financièrement de la même manière et en comptant sur les économies d'échelle pour ne pas trop impacter les loyers. Le tout sera géré par une coopérative.» Encore à l'étude, les premières autorisations de construire devraient être déposées à la fin de l'année pour un début de chantier fin 2021.
Eviter la cité-dortoir
Alors que le canton rêve de faire des Cherpines un laboratoire de la ville future, Plan-lesOuates subit-elle ses ambitions? Selon la conseillère administrative Fabienne Monbaron, c'est tout le contraire. «L'exigence de mobilité douce et le caractère coopératif du projet viennent de la commune», affirme-t-elle, soulignant que cette dernière financera sa part puisqu'elle détient un quart du périmètre à développer. L'enjeu: éviter que les Cherpines deviennent une cité-dortoir. «C'est pourquoi, outre les infrastructures basiques, il nous semblait indispensable d'inclure des locaux pour les activités du quartier, souligne-t-elle. Entre la centrale mobilité, les locaux de coworking, les associations, les crèches et Foyer-Handicap, la quasi-totalité des espaces a déjà trouvé preneur.» Quant aux craintes des habitants actuels, Fabienne Monbaron estime qu'elles ont été largement atténuées grâce à des séances participatives.
L'exemplarité des Cherpines, Jean Hertzschuch, président de l'association Sauvegarde Genève, n'y croit pas. Très remonté contre la politique d'aménagement du canton, il dénonce un «projet contre-nature» qui va provoquer d'«interminables nuisances». «Comme aux Vernets, l'Etat fait du gigantisme alors qu'il n'en a plus les moyens, il faut absolument revoir à la baisse un projet qui risque de défigurer un lieu extraordinaire tout en enlevant des hectares à l'agriculture», assène-t-il. Quid des aménagements de mobilité douce pourtant séduisants? «C'est l'enrobage écologique que l'Etat nous vend à chaque fois pour faire passer la pilule, dénonce-t-il. Sur le terrain, le résultat est très souvent décevant.»
Membre du comité de l'association Sauvegarde de Confignon et environs, Christiane Isler redoute elle aussi les mauvaises surprises. «Entre la taille du projet et la pauvreté architecturale propre à Genève, il y a de quoi s'inquiéter», estime cette native du lieu, regrettant que l'avis des habitants ne soit pas suffisamment écouté. De son côté, Elisabeth Gabus-Thorens, maire de la petite commune de 4000 habitants, très endettée, déclare que Confignon «soutient et accompagne le développement des Cherpines», tout en rappelant la «faible capacité financière de la commune pour faire face aux exigences liées au futur quartier».