Le Temps

«Pinocchio m’accompagne depuis 40 ans»

L’Italien Matteo Garrone propose une nouvelle adaptation du récit de Carlo Collodi en restant au plus près du texte original. Passionné depuis l’enfance par le pantin de bois, il a créé des créatures mi-humaines, mi-animales renforçant le côté sombre de l

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTONINO GALOFARO, ROME Pinocchio, de Matteo Garrone (Italie, France, Royaume-Uni, 2019), avec Federico Ielapi, Roberto Benigni, Rocco Papaleo, Marine Vacth, Massimo Ceccherini, 2h05. @ToniGalofa­ro

Régulièrem­ent sélectionn­é et primé à Cannes (Gomorra, 2008; Reality, 2012; Dogman, 2018), Matteo Garrone présentait en début d’année son dixième long métrage à la Berlinale. Pinocchio aurait dû sortir en avril et, alors que sur d’autres territoire­s il a été proposé en streaming, son distribute­ur suisse a eu l’excellente idée de privilégie­r le grand écran.

Pourquoi raconter une nouvelle fois l’histoire de «Pinocchio», le récit de Carlo Collodi ayant déjà été adapté tant de fois au cinéma? Pinocchio m’est familier. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’éléments dont je ne me souvenais pas quand je l’ai relu, une fois adulte. Et de nombreux autres qui n’avaient encore jamais été racontés à l’écran. J’ai alors compris qu’il y avait une faille; la possibilit­é, tout en restant fidèle au grand chef-d’oeuvre de Collodi, de surprendre de nouveau le spectateur. De vaincre sa méfiance, même légitime, envers une nouvelle adaptation, de lui faire oublier dès les premières minutes une histoire qu’il connaît déjà et de l’emmener dans un monde magique.

Vous avez pour cela choisi de coller fidèlement au récit original… Pinocchio est un texte labyrinthi­que, où il est facile de se perdre. Nous avons essayé de concentrer le coeur de l’histoire sur le rapport d’amour entre père et fils. Notre travail de recherche a duré plusieurs années. Il s’est basé sur le texte de Collodi, mais aussi sur les illustrati­ons dessinées par Enrico Mazzanti grâce à un dialogue direct avec l’auteur. Il m’a donc paru important de construire des images simples, essentiell­es, presque monochroma­tiques dans certains cas. Le rapport avec les animaux, comme allégories de la société, était aussi fondamenta­l. Mais contrairem­ent à la fable, mes animaux ont une forme anthropomo­rphique. Voir un animal parler, comme dans les live actions de Disney, m’est étrange, sonne faux. J’ai préféré créer des créatures à moitié humaines et à moitié animales.

Vous avez toujours affirmé que vos personnage­s doivent avoir un écho en vous. C’est le cas de Pinocchio? Pour réaliser un film, je dois toujours ressentir un lien profond avec le personnage. Je dois aussi imaginer un monde et ressentir en moi la possibilit­é de trouver une façon inédite de le raconter. Je dois voyager à l’intérieur de l’âme des personnage­s que je raconte et de leurs conflits. J’ai dessiné le premier story-board de Pinocchio quand j’avais 6 ans! Je l’ai encore aujourd’hui devant mon bureau. Je crois que c’est l’une des plus belles choses que j’aie jamais faites. Cette histoire m’accompagne depuis plus de quarante ans. C’est peut-être pour cette raison que mes films ressemblen­t toujours à des fables. Je me reconnais aussi beaucoup dans le thème central de l’oeuvre, dans le rapport entre le père et son fils. Je pense que ce film est débiteur de mon amour pour mon fils. Je suis donc né et j’ai grandi comme Pinocchio pour ensuite devenir en un certain sens Geppetto.

Après «Reality», «Tale of Tales» et «Dogman», peut-on dire que vous êtes un conteur de fables noires? Les fables parlent de nous, de nos désirs, de nos conflits. L’humain et ses contradict­ions me fascinent. Les fables sont fondamenta­les pour comprendre la réalité, car elles n’ont pas de temporalit­é. Pinocchio, même s’il est situé à la fin du XIXe siècle, est extrêmemen­t moderne.

Aujourd’hui encore, le monde est rempli de chats et de renards. Dans Tale of Tales, inspiré de fables du XVIIe siècle, il était déjà question de chirurgie esthétique, de redevenir jeune. Gomorra aussi, bien que dans un style plus documentai­re, est d’une certaine manière une fable noire. Le film raconte l’enfance violée, la violence du monde et de la façon dont ces personnes se battent quotidienn­ement pour survivre.

Vous êtes régulièrem­ent cité comme l’un des héritiers de Federico Fellini. Qui est-il pour vous? Comme Roberto Rossellini, il est une de mes plus grandes références. Notre génération tente humblement de construire un pont pour nous rapprocher de la grande tradition du cinéma italien célébrée dans le monde entier dans les années 1960, et qui nous a formés, en Italie comme ailleurs. Il arrive parfois que le marché pousse à des choix qui semblent ambigus, comme tourner en anglais, ce qui rend peut-être la distributi­on plus facile. Mais j’aurais très bien pu réaliser Tale of Tales en italien. Un film est internatio­nal s’il est bon. Il se vendra à travers le monde à cette condition. Je pense que Pinocchio est un film profondéme­nt italien. J’en suis très fier. Son authentici­té et sa force sont liées à son italianité.

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(DR) Matteo Garrone: «Il m’a paru important de construire des images simples, essentiell­es, presque monochroma­tiques dans certains cas.»
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CINÉASTE
MATTEO GARRONE CINÉASTE

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