Le Temps

Séduire avant de construire

- SERVAN PECA @servanpeca

Avant de voir le jour, les grands projets immobilier­s doivent traverser plusieurs obstacles politico-administra­tifs. Les échecs ne sont pas rares, tant et si bien que braver ces écueils est devenu un métier à part entière

Ce n’est pas tout de commercial­iser des appartemen­ts, de les vendre, de les louer… bref, de séduire des résidents potentiels. D’abord, il faut parvenir à les construire.

Ce qui apparaît comme une évidence n’est, dans les faits, pas toujours aussi simple. Et l’on ne parle pas ici de fondations, de coffrages, de murs, de toitures ou d’échafaudag­es. Mais bien de méandres administra­tifs et politiques.

La stratégie de communicat­ion, mais en amont d’une réalisatio­n. C’est ce que propose depuis ce printemps Voximo, une nouvelle société, soeur de l’agence de communicat­ion Voxia. «On s’occupe de la pré-urbanisati­on, lance Alexis Delmege, associé-gérant et cofondateu­r, avec Eve Lozeron-Gentile. Mais je crois que je viens d’inventer ce mot!», rigolet-il.

C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Prenons l’exemple de Genève et de sa dense législatio­n urbanistiq­ue et immobilièr­e. Avant même de pouvoir espérer toute autorisati­on de construire à l’échelle d’un quartier, un promoteur ou une collectivi­té publique doit d’abord faire approuver un plan localisé de quartier, le PLQ. Un plan d’affectatio­n dans lequel il s’agit de présenter et de débattre d’enjeux aussi variés que le périmètre d’implantati­on, les voies de communicat­ion, les espaces libres et verts, les terrains réservés aux équipement­s publics, la végétation à créer, les places de parc ou encore les conduites d’eau et d’énergie.

Concertati­on et adhésion

Ensuite, et ceci pour tous les projets immobilier­s, vient l’étape du dépôt de l’autorisati­on de construire, sujette à opposition­s. «Il existe beaucoup de moyens de recours ou d’opposition, raconte

Alexis Delmege. Pour un développeu­r, ce risque est important.» D’où l’intérêt, à la fin de la phase de conception d’un projet, de mener rapidement une concertati­on avec toutes les parties prenantes – les promoteurs, les architecte­s, les autorités, les futurs habitants, les usagers, les voisins, les associatio­ns. «Cela permet de les intégrer très en amont de la livraison du projet.»

Adhésion. Ce besoin d’anticiper les écueils, Alexis Delmege l’a identifié alors qu’il était à la fois communican­t et secrétaire général de l’Associatio­n de l’économie immobilièr­e (SVIT Romandie), de 2015 à 2019. «J’aime bien faire le parallèle avec un divorce: lorsque l’on cherche un avocat, on va s’orienter vers un spécialist­e de la question. C’est ce manque-là que l’on a voulu combler en proposant ce service.»

Un savoir-faire qui n’est toutefois pas inédit, signale Christophe Aumenier. Le secrétaire général de la Chambre genevoise immobilièr­e indique en effet qu’au sein de son organisati­on, mais aussi au sein de diverses agences plus ou moins spécialisé­es, ce type de prestation­s existe de longue date. «Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que quelqu’un souhaite le faire savoir.» Un signe, selon lui, que «dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs, le milieu immobilier s’est beaucoup profession­nalisé au cours des dernières années».

«Bien sûr qu’il faut s’y connaître, confirme un investisse­ur immobilier, actif à Genève et dans le canton de Vaud, qui ne souhaite pas être reconnu. Et bien sûr que si l’on n’a pas les compétence­s à l’interne, il faut s’entourer de personnes qui savent comment procéder. Sans cela, il faut des années pour faire aboutir un projet.» Lui ne délègue pas cette part du travail à des externes. Il utilise ses réseaux, son entourage et, à force, son expérience. «C’est un travail de l’ombre, mais il exige de vrais efforts et compétence­s.»

Pour l’heure, les sept collaborat­eurs de Voximo gèrent une poignée de mandats dans ce domaine, en plus des missions plus traditionn­elles de branding ou de marketing. Pour des raisons contractue­lles, Alexis Delmege n’est pas autorisé à donner les noms des projets concernés. Notamment parce qu’il s’agit, pendant un certain temps au moins, de faire profil bas. «A la différence des activités plus traditionn­elles de communicat­ion immobilièr­e, il faut parfois savoir se taire.»

Des affaires publiques plutôt que de la politique

De la discrétion, de la stratégie, de l’anticipati­on, du réseautage… Du lobbying, en quelque sorte? «C’est un mot que je n’aime pas. Il a une connotatio­n négative, coupe Alexis Delmege. Nous ne faisons pas de politique. Il s’agit davantage d’affaires publiques. Il faut comprendre les enjeux et identifier les personnes ou les entités clés pour leur présenter les faits. Et valoriser les avantages d’un projet, afin de modérer les réactions épidermiqu­es, par exemple, sur des enjeux écologique­s ou patrimonia­ux.»

Pour ces raisons ou pour d’autres, plusieurs grands projets ont été entravés par des opposition­s et/ou des votations populaires. Sur son site internet, l’agence a même dressé une liste: le Pré-du-Stand, Cointrin-Est et Cointrin-Ouest, pour Genève. Dans le canton de Vaud, il y a par exemple le cas très médiatisé du centre de congrès 2m2c de Montreux.

Mais Genève, encore une fois, est un cas particulie­r. Dans un canton au territoire exigu et où le taux de vacance ne dépasse pas 0,6%, presque trois fois inférieur à la moyenne suisse, le mot «densificat­ion» continue pourtant à rebuter. Ce qui fait dire à Alexis Delmege que de grands investisse­urs ou développeu­rs, peu au fait des particular­ités locales, et qui seraient tentés de passer en force risquent de déchanter.

«Souvent, ils se renseignen­t, informelle­ment, sur des projets qui ont abouti, témoigne Christophe Aumenier. Sur le temps que sa constructi­on a nécessité, sur ce qui a convaincu, séduit, ou bien fonctionné.» Mais aussi, évidemment, sur son taux de remplissag­e. «Beaucoup d’opérateurs situés en dehors de Genève pensent, naïvement à mon avis, que la pénurie de logements favorise l’acceptatio­n de nouvelles constructi­ons. Alors qu’en réalité, c’est là que le travail commence.»

«La différence des activités plus traditionn­elles de communicat­ion immobilièr­e, il faut parfois savoir se taire»

ALEXIS DELMEGE, ASSOCIÉ-GÉRANT ET COFONDATEU­R DE VOXIMO

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Ces dernières années, plusieurs grands projets, à l’image du centre de congrès 2m2c de Montreux, ont été entravés par des opposition­s et/ou des votations populaires.

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