Le complot, cet oreiller de paresse de la pensée
Certains événements se révèlent difficiles à appréhender. La pandémie de Covid-19 en est la parfaite illustration. L’incertitude provoquée par la crise a permis l’émergence d’innombrables pensées complotistes. Rassurantes pour ceux qui les défendent, fascinantes pour ceux qui les contrent, ces théories incarnent un ennemi tangible qu’il semble plus facile de blâmer que le hasard d’un virus.
Des Templiers à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, des attentats du 11-Septembre jusqu’à l’élite Illuminati qui dirigerait le monde, le complot se perpétue depuis la nuit des temps et vient apporter des réponses simples et cohérentes aux doutes, souvent anxiogènes, qu’éprouvent ses partisans. Des doutes par ailleurs légitimes et nécessaires pour la démocratie.
Dès lors que nous y sommes confrontés, nous avons tendance à considérer ces théories comme nulles et non avenues et à refuser toute discussion. Un professeur de philosophie de l’Université de Neuchâtel s’inquiétait il y a quelques semaines face à la polarisation du débat médiatique et politique. Il insistait sur l’importance de considérer toutes les thèses, même celles qui peuvent nous paraître délirantes, comme candidates potentielles à une discussion rationnelle. Les écarter d’un revers de la main serait finalement faire le jeu du complotisme, qui tend à légitimer son discours conspirationniste avec les oppositions qu’il suscite.
L’exercice semble a priori évident mais comporte ses limites. Comment réagir dès lors que la thèse exprimée est contraire au contrat social, que la théorie du complot endosse un discours objectivement haineux, clivant ou contraire à la science? Entre les tueries légitimées au nom du «Grand Remplacement» ou les traitements médicaux refusés par les tenants de la doctrine selon laquelle les virus «sont créés en laboratoire», adhérer à ces thèses peut avoir des conséquences dramatiques, et ce, d’autant plus si elles sont véhiculées dans les plus hautes sphères de l’Etat, à l’image d’un Donald Trump prêt à succomber au moindre raccourci.
Il faut lutter à tous les niveaux contre l’oreiller de paresse de la pensée que représentent les complots. D’abord en refusant de céder à leurs séduisantes facilités, sans les mépriser pour autant mais en continuant, malgré les difficultés, à argumenter pour les contrer.
Argumenter pour les contrer
En Suisse romande, on ne parle plus patois. Quelques poches de locuteurs subsistent, notamment en Valais et en Gruyère. Mais ces langues distinctes du français – à ne pas confondre avec des locutions dialectales, qui teintent encore nos français régionaux– ont largement et depuis longtemps disparu de l'usage courant, ou sont vouées à une mort lente.
«Une langue est faite pour vivre en société. Elle ne survit que si elle est parlée en famille», résume avec justesse Andres Kristol, professeur honoraire au Centre de dialectologie de l'Université de Neuchâtel. C'est ainsi que, dans pratiquement tous les cantons romands, les patois régionaux ont d'ores et déjà vécu, remplacés par le français avec l'industrialisation et l'immigration, dès le milieu du XIXe siècle dans les villes et au début du XXe siècle dans les campagnes.
Ces idiomes étaient tous issus – à l'exception du jurassien apparenté au franccomtois – du franco-provençal, une langue qui a été parlée d'Aoste à Lyon, mais qui a très peu été écrite. «Le francoprovençal n'a jamais connu d'unité politique. Il n'a pas eu de roi, mis à part durant le second royaume de Bourgogne entre 888 et 1032», souligne Andres Kristol. Il n'a pas non plus fait l'objet de tentative d'être reconnu par l'Etat fédéral, contrairement au romanche, accepté comme langue nationale en 1938.
Bien sûr, nombre de passionnés existent encore, qui tentent de maintenir en vie, voire de ranimer ces langues d'antan. La raison d'être de la présente chronique est d'ailleurs de présenter, tout au long de l'été, un tour d'horizon des parlers propres à nos terroirs.
Comme souvent, c'est au moment où une tradition se perd qu'on réalise à quel point elle nous était chère. Nous reste alors à contempler les rares témoins d'un temps jadis, avec une émotion teintée de la nostalgie d'une vie plus simple. Et ce, même si elle nous serait aujourd'hui certainement insupportable.
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