Le Temps

Ruée vers l’or propre

Le raffineur chaux-de-fonnier a développé une façon inédite d’obtenir des minerais d’or auprès de petits producteur­s au Les réactions sont bigarrées. Visite dans sa raffinerie Pérou dans des conditions qu’il présente comme responsabl­es.

- RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

La Suisse est le premier importateu­r d’or au monde. Mais difficile de garantir qu’il soit toujours extrait dans des conditions responsabl­es. A La Chaux-de-Fonds, la raffinerie de PX Group développe un projet de collaborat­ion avec de petits producteur­s péruviens pour obtenir de l’or propre. Une pratique appréciée des ONG mais qui ne convainc pas tout le monde.

L’édifice de PX Group ne paie pas de mine. Ses façades sans vie donnent l’impression qu’on a affaire à une boîte vieillissa­nte. Pour entrer, nous devons passer par des sas, un agent de sécurité nous accompagne tout au long de la visite et nous avons l’interdicti­on de prendre des photos du bâtiment. Nous sommes à La Chaux-de-Fonds, dans la raffinerie d’or de PX Group, un sous-traitant horloger également actif dans l’extraction d’or et la fabricatio­n de produits semi-finis pour d’autres industries. Une fois n’est pas coutume, l’entreprise de la famille Chave ouvre ses portes à la presse.

La raffinerie figure parmi les cinq plus grandes de Suisse. La Confédérat­ion, qui importe entre 2000 et 3000 tonnes d’or par an, est le premier importateu­r d’or au monde. Le métal jaune vient de partout, pour y être purifié, avant d’être transmis à des banques ou des industries. Le secteur peine par contre à garantir que l’or soit toujours extrait dans des conditions responsabl­es. En Suisse, les lois sont permissive­s et les autorités souvent moins regardante­s que dans d’autres pays.

«Nous essayons d’être transparen­ts dans une industrie qui n’a pas l’habitude de l’être», indique Philippe Chave, son directeur, qui nous reçoit. «Le consommate­ur veut savoir d’où viennent les matières premières et dans quelles conditions elles sont extraites.» Le groupe tient aussi à présenter son projet «PX Impact», pionnier dans la collaborat­ion avec des mineurs artisanaux, des petits producteur­s péruviens qui travaillen­t dans des veines de quartz souterrain­es. Pour PX Group, le contexte est compliqué: la pandémie décime ses ventes et la votation du 29 novembre prochain sur l’initiative pour les multinatio­nales responsabl­es met le secteur sous pression.

Devant l’usine de PX Group, un portail semble attendre des camions. Ils apportent en général des alliages d’or, de platine, d’argent plus ou moins purs. Des métaux qui peuvent aussi provenir de déchets industriel­s, de vieux bijoux ou directemen­t du Pérou, d’où vient la totalité de l’or minier affiné par PX Group. Traçabilit­é oblige, tous les lots sont associés à un numéro qui les suivra à la trace au gré des étapes dans l’usine.

De la chimie et des alliages

Dans l’usine, deux rangées de fours laissent échapper une lumière orange de leurs portes rondes, comme un mélange de jaunes d’oeufs. Un alliage en fusion à 1300° est versé dans un creuset pour former ce qu’on appelle une brique, une masse homogène refroidie dans l’eau et sur laquelle on grave le numéro du lot. Dans un bruit grinçant, un employé utilise un décapeur à aiguilles et une brosse métallique pour ôter ses impuretés.

Pour atteindre des taux de pureté dépassant les 99,99%, PX Group recourt à la chimie. L’or est fondu et transformé en grenailles, des billes qui exposent davantage ses imperfecti­ons à l’acide dans lequel il est dissous. Transformé en poudre, le métal est refondu, moulu, mis dans un bain d’électrolys­e avant d’être transformé en lingot, pour la clientèle bancaire, ou transféré aux unités de production d’équipement­s industriel­s.

Dans cette deuxième unité, des caissons sont remplis de différents métaux, autant d’ingrédient­s pour de nouveaux mélanges. «Nous créons des alliages selon les besoins, comme une recette de cuisine, relève Philippe Chave. Nous avons plus de 600 alliages dans notre base de données.» Chacun avec son numéro, traçabilit­é oblige.

«Nous essayons d’être transparen­ts dans une industrie qui n’a pas l’habitude de l’être»

PHILIPPE CHAVE, DIRECTEUR DE PX GROUP

Dans un rapport en juin, le Contrôle fédéral des finances évoque pourtant des lacunes importante­s aux frontières, il estime que les audits pour obtenir la patente de fondeur ne sont pas assez sérieux et relève que les sanctions en cas d’infraction sont minimes. L’an dernier, un raffineur tessinois a pu se contenter d’une amende de 6000 francs suite à une fausse déclaratio­n douanière d’un fournisseu­r transporta­nt, dans sa valise, des lingots non marqués valant près d’un demi-million de francs, selon le Matin Dimanche.

En 2020, 4726 tonnes d’or devraient être produites dans le monde, 3359 extraites de mines et 1403 issues du recyclage, selon l’organisati­on Metals Focus. Aucun moyen de savoir si l’or importé en Suisse est d’origine minière ou recyclée, cette distinctio­n n’étant pas exigée des douanes. Aux Etats-Unis, elle est pourtant obligatoir­e, car l’origine de l’or recyclé peut poser problème.

Les douanes suisses demandent le nom du dernier pays par lequel l’or a transité avant d’arriver ainsi que son pays d’origine. Mais pour ce dernier, elles acceptent que soit mentionné le nom du pays dans lequel le métal a été transformé. Le pays d’extraction ne figure presque jamais dans les registres.

Retour à La Chaux-de-Fonds. Après l’affinage, PX Group se spécialise dans la fabricatio­n d’une grande variété de profilés de forme, des barres rectiligne­s, plus ou moins épaisses, concaves, convexes, arrondies sur les côtés. Les noms des clients sont tenus secrets. Ils sont en général horlogers et joailliers, médicaux ou aéronautiq­ues.

Le projet «PX Impact» vise à leur garantir qu’on travaille ici avec de l’or propre. Cette solution, qui conjugue des pratiques artisanale­s et industriel­les, est plutôt bien vue des ONG mais elle ne convainc pas tout le monde.

Quatre cents coopérativ­es de mineurs artisanaux

Dans son état naturel, l’or se trouve dans un minerai et les conditions de son extraction, souvent avec du mercure, peuvent causer des dégâts importants sur la santé des travailleu­rs et l’environnem­ent. Le mercure absorbe l’or présent dans le minerai. L’amalgame qui en ressort est brûlé au chalumeau, ce qui sépare l’or, qui fond, du mercure, qui s’évapore dans un nuage toxique. L’extraction du métal jaune est d’autant plus polluante qu’elle requiert beaucoup d’eau et de produits chimiques, les teneurs en or des minerais pouvant être dérisoires. Les orpailleur­s rejetterai­ent 1700 tonnes de mercure dans la nature chaque année, selon l’industrie, quand bien même la Convention de Minamata, un texte onusien, vise à limiter ces rejets depuis 2013.

Pour remédier à ce problème, une entreprise canadienne, Dynacor, achète directemen­t depuis quelques années les minerais bruts pour le compte de PX Group, au Pérou, à quelque 400 coopérativ­es de mineurs artisanaux. Ces derniers ont besoin d’explosifs, pour extraire les minerais, mais pas de mercure.

PX Group et Dynacor disent régulièrem­ent auditer les mines de leurs fournisseu­rs et avoir les moyens scientifiq­ues de vérifier que la roche émane bien des endroits indiqués. Une fois reçue, la marchandis­e est broyée et traitée par Dynacor, avec des solutions de cyanure en filtrant les rejets, dans une structure industriel­le offrant des conditions plus faciles à surveiller. Le doré traité est ensuite envoyé en Suisse. Les clients paient une prime (son montant varie, en fonction des volumes, entre 220 et 550 francs par kg d’or fin), destinée à des projets visant à soutenir les mineurs et leurs communauté­s.

«La solution pour nous, c’est d’inciter les mineurs artisanaux à se formaliser, à se légaliser et à adopter de bonnes pratiques, plutôt que de proscrire ou de marginalis­er l’or artisanal», selon Philippe Chave. Le groupe, en ce sens, est pionnier d’un renverseme­nt de tendance qui s’impose dans le monde des matières premières. Sous la pression des ONG, le secteur en Suisse avait renoncé ces dernières années à travailler avec les petits producteur­s pour privilégie­r des sources industriel­les, voire de l’or recyclé, laissant à leur sort de nombreux travailleu­rs, incités à fournir une concurrenc­e souvent moins scrupuleus­e.

«Nous sommes également certifiés selon les standards RJC et Fairmined, car certains de nos clients le demandent, mais nous avons aussi voulu créer le nôtre, pour faire avancer les choses selon notre point de vue et nos valeurs», indique Philippe Chave. Ces grands labels, selon l’industrie, sont perfectibl­es: le standard RJC ne garantit pas une traçabilit­é exhaustive quant à l’origine des matériaux recyclés et, quand on bénéficie d’une étiquette Fairmined ou Fairtrade, les primes sont élevées, les volumes faibles. Les coûts induits pour les petites mines les conduisent en outre souvent à ne pas reconduire leur certificat­ion.

«L’idée de s’approvisio­nner en or artisanal, c’est très positif, mais j’ai un doute sur la manière de faire. PX Group a voulu créer son propre label, mais «PX Impact» est loin d’offrir une traçabilit­é 100% fiable», estime Marc Ummel, responsabl­e des matières premières au sein de l’ONG Swissaid. «Que chacun ait son propre label, ce n’est pas la solution. Qui les audite? Qui nous assure que l’or de PX Impact est propre?» Des questions qui ont conduit certains horlogers à se montrer frileux vis

«L’idée de s’approvisio­nner en or artisanal, c’est très positif, mais j’ai un doute sur la manière de faire» MARC UMMEL, RESPONSABL­E DES MATIÈRES PREMIÈRES CHEZ SWISSAID

à-vis du Chaux-de-Fonnier, selon nos informatio­ns.

«Il est techniquem­ent possible de distinguer des minerais bruts de deux sites différents, même s’ils sont à quelques kilomètres l’un de l’autre», estime de son côté Barbara Beck, géologue de l’UNIL. «J’ai par contre des doutes sur la rentabilit­é économique d’un tel exercice, surtout si les contrôles sont poussés, et il me paraît impossible de vérifier toutes les cargaisons, tant les volumes sont importants et les teneurs en or faibles.»

Les mines artisanale­s créent globalemen­t un quart de l’or minier, mais emploient les trois quarts des mineurs. L’industrie recense 15 millions de mineurs artisanaux et jusqu’à 60 millions de personnes dépendent de leur activité. Elle est d’autant plus incitée à renouer le contact avec les petits producteur­s que ces derniers sont les seuls à creuser dans des veines souterrain­es, souvent prometteus­es.

L’impact du Covid-19

L’affineur neuchâtelo­is Metalor a annoncé en juin à nouveau collaborer avec des mineurs artisanaux, mais sur des quantités symbolique­s. «ll existera toujours un risque de travailler avec des mines artisanale­s mais nous pensons dans ce cas que toutes les mesures ont été prises», indiquait son directeur en juin dans nos colonnes.

PX Group a vu ses ventes chuter cette année, ce qui a conduit ses dirigeants à procéder à une vingtaine de licencieme­nts

«PX Group fournit jusqu’à 3 tonnes d’or fin artisanal par an, nous avons réussi à nous retrouver financière­ment avec des volumes importants, se félicite Philippe Chave. Nous pouvons payer davantage, car les minerais péruviens ont une teneur en or élevée et parce que l’expertise de Dynacor permet d’atteindre de bons taux de récupérati­on.» Le Chaux-de-Fonnier ne collabore pas avec des mines industriel­les.

«PX Impact» est mis à rude épreuve par le Covid-19. Sur les cinq premiers mois de l’année, les exportatio­ns horlogères ont dévissé de 35,8%, à 5,7 milliards de francs, selon les douanes. «Nous anticipons une chute de 25 à 30% des exportatio­ns en 2020», a estimé le président de la Fédération de l’industrie horlogère, Jean-Daniel Pasche, en juin. Une situation qui pourrait inciter les clients à chercher des sources d’approvisio­nnement moins chères, d’autant plus que la pandémie a contraint l’usine de Dynacor à suspendre ses activités pendant près de trois mois.

PX Group a aussi vu ses ventes chuter cette année, ce qui a conduit ses dirigeants à procéder à une vingtaine de licencieme­nts, quand bien même une once d’or vaut désormais environ 1800 dollars, une première depuis 2011. L’entreprise, qui emploie 550 personnes dont 350 en Suisse, n’exclut pas d’autres restructur­ations. Ses activités diversifié­es ne limiteront que partiellem­ent les pertes, car la plupart subissent la crise de plein fouet, selon son directeur.

A la sortie de la raffinerie, des fouilles aléatoires sont prévues, une ultime mesure de sécurité dans un monde compliqué.

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 ?? (PHOTOS: XAVIER VOIROL POUR LE TEMPS) ?? Les métaux précieux entrant dans la raffinerie sont d’abord fondus puis moulus dans une brique, une masse homogène qui est ensuite refroidie et sur laquelle on grave le numéro du lot. PX Group se spécialise dans la fabricatio­n de profilés de forme, des barres rectiligne­s, plus ou moins épaisses, concaves, convexes, arrondies sur les côtés, en général destinés à l’horlogerie et la joaillerie.
(PHOTOS: XAVIER VOIROL POUR LE TEMPS) Les métaux précieux entrant dans la raffinerie sont d’abord fondus puis moulus dans une brique, une masse homogène qui est ensuite refroidie et sur laquelle on grave le numéro du lot. PX Group se spécialise dans la fabricatio­n de profilés de forme, des barres rectiligne­s, plus ou moins épaisses, concaves, convexes, arrondies sur les côtés, en général destinés à l’horlogerie et la joaillerie.
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