Ruée vers l’or propre
Le raffineur chaux-de-fonnier a développé une façon inédite d’obtenir des minerais d’or auprès de petits producteurs au Les réactions sont bigarrées. Visite dans sa raffinerie Pérou dans des conditions qu’il présente comme responsables.
La Suisse est le premier importateur d’or au monde. Mais difficile de garantir qu’il soit toujours extrait dans des conditions responsables. A La Chaux-de-Fonds, la raffinerie de PX Group développe un projet de collaboration avec de petits producteurs péruviens pour obtenir de l’or propre. Une pratique appréciée des ONG mais qui ne convainc pas tout le monde.
L’édifice de PX Group ne paie pas de mine. Ses façades sans vie donnent l’impression qu’on a affaire à une boîte vieillissante. Pour entrer, nous devons passer par des sas, un agent de sécurité nous accompagne tout au long de la visite et nous avons l’interdiction de prendre des photos du bâtiment. Nous sommes à La Chaux-de-Fonds, dans la raffinerie d’or de PX Group, un sous-traitant horloger également actif dans l’extraction d’or et la fabrication de produits semi-finis pour d’autres industries. Une fois n’est pas coutume, l’entreprise de la famille Chave ouvre ses portes à la presse.
La raffinerie figure parmi les cinq plus grandes de Suisse. La Confédération, qui importe entre 2000 et 3000 tonnes d’or par an, est le premier importateur d’or au monde. Le métal jaune vient de partout, pour y être purifié, avant d’être transmis à des banques ou des industries. Le secteur peine par contre à garantir que l’or soit toujours extrait dans des conditions responsables. En Suisse, les lois sont permissives et les autorités souvent moins regardantes que dans d’autres pays.
«Nous essayons d’être transparents dans une industrie qui n’a pas l’habitude de l’être», indique Philippe Chave, son directeur, qui nous reçoit. «Le consommateur veut savoir d’où viennent les matières premières et dans quelles conditions elles sont extraites.» Le groupe tient aussi à présenter son projet «PX Impact», pionnier dans la collaboration avec des mineurs artisanaux, des petits producteurs péruviens qui travaillent dans des veines de quartz souterraines. Pour PX Group, le contexte est compliqué: la pandémie décime ses ventes et la votation du 29 novembre prochain sur l’initiative pour les multinationales responsables met le secteur sous pression.
Devant l’usine de PX Group, un portail semble attendre des camions. Ils apportent en général des alliages d’or, de platine, d’argent plus ou moins purs. Des métaux qui peuvent aussi provenir de déchets industriels, de vieux bijoux ou directement du Pérou, d’où vient la totalité de l’or minier affiné par PX Group. Traçabilité oblige, tous les lots sont associés à un numéro qui les suivra à la trace au gré des étapes dans l’usine.
De la chimie et des alliages
Dans l’usine, deux rangées de fours laissent échapper une lumière orange de leurs portes rondes, comme un mélange de jaunes d’oeufs. Un alliage en fusion à 1300° est versé dans un creuset pour former ce qu’on appelle une brique, une masse homogène refroidie dans l’eau et sur laquelle on grave le numéro du lot. Dans un bruit grinçant, un employé utilise un décapeur à aiguilles et une brosse métallique pour ôter ses impuretés.
Pour atteindre des taux de pureté dépassant les 99,99%, PX Group recourt à la chimie. L’or est fondu et transformé en grenailles, des billes qui exposent davantage ses imperfections à l’acide dans lequel il est dissous. Transformé en poudre, le métal est refondu, moulu, mis dans un bain d’électrolyse avant d’être transformé en lingot, pour la clientèle bancaire, ou transféré aux unités de production d’équipements industriels.
Dans cette deuxième unité, des caissons sont remplis de différents métaux, autant d’ingrédients pour de nouveaux mélanges. «Nous créons des alliages selon les besoins, comme une recette de cuisine, relève Philippe Chave. Nous avons plus de 600 alliages dans notre base de données.» Chacun avec son numéro, traçabilité oblige.
«Nous essayons d’être transparents dans une industrie qui n’a pas l’habitude de l’être»
PHILIPPE CHAVE, DIRECTEUR DE PX GROUP
Dans un rapport en juin, le Contrôle fédéral des finances évoque pourtant des lacunes importantes aux frontières, il estime que les audits pour obtenir la patente de fondeur ne sont pas assez sérieux et relève que les sanctions en cas d’infraction sont minimes. L’an dernier, un raffineur tessinois a pu se contenter d’une amende de 6000 francs suite à une fausse déclaration douanière d’un fournisseur transportant, dans sa valise, des lingots non marqués valant près d’un demi-million de francs, selon le Matin Dimanche.
En 2020, 4726 tonnes d’or devraient être produites dans le monde, 3359 extraites de mines et 1403 issues du recyclage, selon l’organisation Metals Focus. Aucun moyen de savoir si l’or importé en Suisse est d’origine minière ou recyclée, cette distinction n’étant pas exigée des douanes. Aux Etats-Unis, elle est pourtant obligatoire, car l’origine de l’or recyclé peut poser problème.
Les douanes suisses demandent le nom du dernier pays par lequel l’or a transité avant d’arriver ainsi que son pays d’origine. Mais pour ce dernier, elles acceptent que soit mentionné le nom du pays dans lequel le métal a été transformé. Le pays d’extraction ne figure presque jamais dans les registres.
Retour à La Chaux-de-Fonds. Après l’affinage, PX Group se spécialise dans la fabrication d’une grande variété de profilés de forme, des barres rectilignes, plus ou moins épaisses, concaves, convexes, arrondies sur les côtés. Les noms des clients sont tenus secrets. Ils sont en général horlogers et joailliers, médicaux ou aéronautiques.
Le projet «PX Impact» vise à leur garantir qu’on travaille ici avec de l’or propre. Cette solution, qui conjugue des pratiques artisanales et industrielles, est plutôt bien vue des ONG mais elle ne convainc pas tout le monde.
Quatre cents coopératives de mineurs artisanaux
Dans son état naturel, l’or se trouve dans un minerai et les conditions de son extraction, souvent avec du mercure, peuvent causer des dégâts importants sur la santé des travailleurs et l’environnement. Le mercure absorbe l’or présent dans le minerai. L’amalgame qui en ressort est brûlé au chalumeau, ce qui sépare l’or, qui fond, du mercure, qui s’évapore dans un nuage toxique. L’extraction du métal jaune est d’autant plus polluante qu’elle requiert beaucoup d’eau et de produits chimiques, les teneurs en or des minerais pouvant être dérisoires. Les orpailleurs rejetteraient 1700 tonnes de mercure dans la nature chaque année, selon l’industrie, quand bien même la Convention de Minamata, un texte onusien, vise à limiter ces rejets depuis 2013.
Pour remédier à ce problème, une entreprise canadienne, Dynacor, achète directement depuis quelques années les minerais bruts pour le compte de PX Group, au Pérou, à quelque 400 coopératives de mineurs artisanaux. Ces derniers ont besoin d’explosifs, pour extraire les minerais, mais pas de mercure.
PX Group et Dynacor disent régulièrement auditer les mines de leurs fournisseurs et avoir les moyens scientifiques de vérifier que la roche émane bien des endroits indiqués. Une fois reçue, la marchandise est broyée et traitée par Dynacor, avec des solutions de cyanure en filtrant les rejets, dans une structure industrielle offrant des conditions plus faciles à surveiller. Le doré traité est ensuite envoyé en Suisse. Les clients paient une prime (son montant varie, en fonction des volumes, entre 220 et 550 francs par kg d’or fin), destinée à des projets visant à soutenir les mineurs et leurs communautés.
«La solution pour nous, c’est d’inciter les mineurs artisanaux à se formaliser, à se légaliser et à adopter de bonnes pratiques, plutôt que de proscrire ou de marginaliser l’or artisanal», selon Philippe Chave. Le groupe, en ce sens, est pionnier d’un renversement de tendance qui s’impose dans le monde des matières premières. Sous la pression des ONG, le secteur en Suisse avait renoncé ces dernières années à travailler avec les petits producteurs pour privilégier des sources industrielles, voire de l’or recyclé, laissant à leur sort de nombreux travailleurs, incités à fournir une concurrence souvent moins scrupuleuse.
«Nous sommes également certifiés selon les standards RJC et Fairmined, car certains de nos clients le demandent, mais nous avons aussi voulu créer le nôtre, pour faire avancer les choses selon notre point de vue et nos valeurs», indique Philippe Chave. Ces grands labels, selon l’industrie, sont perfectibles: le standard RJC ne garantit pas une traçabilité exhaustive quant à l’origine des matériaux recyclés et, quand on bénéficie d’une étiquette Fairmined ou Fairtrade, les primes sont élevées, les volumes faibles. Les coûts induits pour les petites mines les conduisent en outre souvent à ne pas reconduire leur certification.
«L’idée de s’approvisionner en or artisanal, c’est très positif, mais j’ai un doute sur la manière de faire. PX Group a voulu créer son propre label, mais «PX Impact» est loin d’offrir une traçabilité 100% fiable», estime Marc Ummel, responsable des matières premières au sein de l’ONG Swissaid. «Que chacun ait son propre label, ce n’est pas la solution. Qui les audite? Qui nous assure que l’or de PX Impact est propre?» Des questions qui ont conduit certains horlogers à se montrer frileux vis
«L’idée de s’approvisionner en or artisanal, c’est très positif, mais j’ai un doute sur la manière de faire» MARC UMMEL, RESPONSABLE DES MATIÈRES PREMIÈRES CHEZ SWISSAID
à-vis du Chaux-de-Fonnier, selon nos informations.
«Il est techniquement possible de distinguer des minerais bruts de deux sites différents, même s’ils sont à quelques kilomètres l’un de l’autre», estime de son côté Barbara Beck, géologue de l’UNIL. «J’ai par contre des doutes sur la rentabilité économique d’un tel exercice, surtout si les contrôles sont poussés, et il me paraît impossible de vérifier toutes les cargaisons, tant les volumes sont importants et les teneurs en or faibles.»
Les mines artisanales créent globalement un quart de l’or minier, mais emploient les trois quarts des mineurs. L’industrie recense 15 millions de mineurs artisanaux et jusqu’à 60 millions de personnes dépendent de leur activité. Elle est d’autant plus incitée à renouer le contact avec les petits producteurs que ces derniers sont les seuls à creuser dans des veines souterraines, souvent prometteuses.
L’impact du Covid-19
L’affineur neuchâtelois Metalor a annoncé en juin à nouveau collaborer avec des mineurs artisanaux, mais sur des quantités symboliques. «ll existera toujours un risque de travailler avec des mines artisanales mais nous pensons dans ce cas que toutes les mesures ont été prises», indiquait son directeur en juin dans nos colonnes.
PX Group a vu ses ventes chuter cette année, ce qui a conduit ses dirigeants à procéder à une vingtaine de licenciements
«PX Group fournit jusqu’à 3 tonnes d’or fin artisanal par an, nous avons réussi à nous retrouver financièrement avec des volumes importants, se félicite Philippe Chave. Nous pouvons payer davantage, car les minerais péruviens ont une teneur en or élevée et parce que l’expertise de Dynacor permet d’atteindre de bons taux de récupération.» Le Chaux-de-Fonnier ne collabore pas avec des mines industrielles.
«PX Impact» est mis à rude épreuve par le Covid-19. Sur les cinq premiers mois de l’année, les exportations horlogères ont dévissé de 35,8%, à 5,7 milliards de francs, selon les douanes. «Nous anticipons une chute de 25 à 30% des exportations en 2020», a estimé le président de la Fédération de l’industrie horlogère, Jean-Daniel Pasche, en juin. Une situation qui pourrait inciter les clients à chercher des sources d’approvisionnement moins chères, d’autant plus que la pandémie a contraint l’usine de Dynacor à suspendre ses activités pendant près de trois mois.
PX Group a aussi vu ses ventes chuter cette année, ce qui a conduit ses dirigeants à procéder à une vingtaine de licenciements, quand bien même une once d’or vaut désormais environ 1800 dollars, une première depuis 2011. L’entreprise, qui emploie 550 personnes dont 350 en Suisse, n’exclut pas d’autres restructurations. Ses activités diversifiées ne limiteront que partiellement les pertes, car la plupart subissent la crise de plein fouet, selon son directeur.
A la sortie de la raffinerie, des fouilles aléatoires sont prévues, une ultime mesure de sécurité dans un monde compliqué.
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