Le Temps

Procès d’un chef de guerre libérien reporté

- FATI MANSOUR t @fatimansou­r

Détenu en Suisse depuis bientôt 6 ans, Alieu Kosiah ne sera pas jugé avant novembre. L’audition des parties plaignante­s et des témoins, tous domiciliés au Liberia, rend l’exercice difficile en cette période de pandémie

Encore un procès qui se transforme en véritable casse-tête pour le Tribunal pénal fédéral. Alieu Kosiah, ancien chef rebelle réfugié sur les bords du Léman, prévenu de crimes de guerre pour des atrocités commises il y a un quart de siècle au Liberia, devait comparaîtr­e devant les juges de Bellinzone à la mi-avril. En raison de la pandémie, les débats ont été reportés une première fois au mois d’août. Aujourd’hui, la cour informe les parties que ce grand rendez-vous est désormais repoussé à la fin de l’année. Les auditions des sept parties plaignante­s et de sept témoins, domiciliés dans le district de Lofa et dont la venue en Suisse est pour le moment impossible, n’ont pas pu être organisées à temps par vidéoconfé­rence. L’exercice se heurte à des complicati­ons diplomatiq­ues et techniques très particuliè­res.

Pour mener ces auditions à distance, une demande d’entraide judiciaire a été adressée au Liberia. L’autorisati­on de procéder est tombée le 27 mai 2020 après de nombreuses démarches, mais cela n’a pas suffi à faire avancer les choses. Dans un communiqué, la cour précise qu’il n’a pas été possible de mettre en place ces vidéoconfé­rences pour le mois d’août, compte tenu «de contrainte­s logistique­s très importante­s».

Saison des pluies

En effet, la Suisse ne disposant pas d’une ambassade à Monrovia, la justice a dû s’adresser, avec l’aide de l’ambassadeu­r de Suisse en Côte d’Ivoire, à des représenta­tions diplomatiq­ues étrangères pour requérir de ces dernières la mise à dispositio­n de locaux et du matériel technique nécessaire pour mener des auditions par vidéoconfé­rence. «Aucune de ces ambassades étrangères n’a, pour l’heure, formelleme­nt accepté de fournir à la cour les moyens logistique­s précités», ajoute la cour. Des contacts ont également été engagés avec l’ONU, qui pourrait fournir une aide aux auditions.

A ces complicati­ons est venue s’ajouter la saison des pluies! Les mois d’août et de septembre se situent en pleine période diluvienne, rendant le transport des parties plaignante­s et témoins, de leur domicile à la capitale, beaucoup plus compliqué. Sans oublier que des restrictio­ns de déplacemen­t sont encore en vigueur dans le pays pour lutter contre la propagatio­n du virus.

Bref, le sort s’acharne sur la tenue du procès, mais les juges de Bellinzone veulent garder espoir: «Si, à l’heure actuelle, la venue des 14 ressortiss­ants libériens en Suisse est toujours impossible, en raison des restrictio­ns liées à la pandémie de Covid-19, il n’apparaît pas exclu qu’une améliorati­on des conditions sanitaires le permette dès l’automne. Compte tenu de ces circonstan­ces exceptionn­elles, les débats auront lieu en novembre et décembre 2020, afin de permettre, en cas de besoin, l’audition par vidéoconfé­rence de ressortiss­ants libériens, dans l’hypothèse où leur venue en Suisse à cette période serait toujours impossible ou inopportun­e.»

Longue détention

Pour le prévenu, ce nouveau report est problémati­que sous l’angle d’une détention provisoire qui dure depuis bientôt six ans. Défendu par Me Dimitri Gianoli, cet ex-commandant du Mouvement de libération pour la démocratie (Ulimo), opposé au Front national patriotiqu­e du Liberia (NPFL) de Charles Taylor, conteste avoir commis ou incité à commettre les horreurs qu’on lui reproche à l’issue d’une enquête ayant nécessité l’audition de 25 témoins et la collaborat­ion de sept Etats ou organisati­ons internatio­nales.

Du côté des victimes, l’impatience guette aussi. Sept personnes sont parties plaignante­s à cette procédure. Mes Romain Wavre et Alain Werner, tous deux actifs au sein de l’ONG Civitas Maxima, représente­nt quatre d’entre elles. «Cela fait vingt-cinq ans que les victimes attendent justice pour les souffrance­s subies, c’est avant tout à elles que nous pensons en ce moment», disaient déjà les avocats lors de l’annonce du premier report.

L’ancien chef rebelle sera jugé pour des crimes imprescrip­tibles commis entre 1993 et 1995 dans le district de Lofa, un territoire du nord-ouest ravagé par une succession de conflits. En substance, Alieu Kosiah est accusé d’avoir ordonné de tuer ou tué lui-même des civils et des soldats en dehors des combats, profané le corps d’un défunt, violé une civile, ordonné des traitement­s inhumains, recruté un enfant soldat, participé à des pillages et forcé des civils à transporte­r des biens ou des munitions.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland