Le Temps

Aux Pays-Bas et au Canada, le rendement des caisses de pension est bien meilleur qu’en Suisse. Faut-il s’en inspirer?

Le rendement du capital de vieillesse des Suisses est insuffisan­t. Plutôt que d’abaisser le taux de conversion, il serait plus efficace que les caisses de pension relèvent les défis actuels liés à une finance mondialisé­e

- CORD HINRICHS ET JENS PONGRATZ CORD HINRICHS, HEAD ASSET ALLOCATION JENS PONGRATZ, DIRECTOR INVESTMENT SOLUTIONS CORESTONE INVESTMENT MANAGERS, ZURICH

Dans le cadre d’une étude publiée début 2020, la société de conseil McKinsey arrive à la conclusion que les caisses de pension suisses ont «perdu» jusqu’à 95 milliards de francs de rendement, durant ces douze dernières années: aux Pays-Bas et au Canada, les caisses de pension réalisent un gain bien meilleur. Entre 2008 et 2018, les caisses de pension suisses ont dégagé un rendement réel de 2,4%, contre 3,6 à 4,1% aux Pays-Bas et au Canada. Le moindre rendement obtenu en Suisse n’est pas lié, comme on le prétend souvent, à une surpondéra­tion des obligation­s. Le problème est plus profond.

Dans notre système de milice, il n’est pas rare d’avoir un menuisier ou un comptable dans le conseil d’administra­tion d’une caisse de pension suisse. Les membres d’un conseil de fondation ne doivent pas nécessaire­ment être des experts en placement. Cette particular­ité est pourtant symptomati­que du problème d’un grand nombre des quelque 1500 caisses de pension du pays: un manque de profession­nalisme dans le processus de placement et la gestion du capital de vieillesse de leurs membres. Cette différence fondamenta­le entre la Suisse et le Canada ou les Pays-Bas se reflète dans l’écart de rendement entre les institutio­ns de prévoyance dotées d’une gestion profession­nelle ou non.

Aux Pays-Bas, des interventi­ons efficaces

En Suisse, les caisses de pension disposent d’une grande marge de manoeuvre pour leur stratégie de placement et la mise en oeuvre de celle-ci. Contrairem­ent à ce qui se passe aux Pays-Bas, les autorités de surveillan­ce n’ont guère d’influence sur la stratégie de placement. Le régulateur néerlandai­s n’hésite pas à exiger et à imposer une profession­nalisation de la gouvernanc­e d’une caisse de pension.

La raison principale de cette pression accrue sur les caisses, aux Pays-Bas et au Canada, est le constat réalisé il y a vingt ans qu’en tant qu’organes de contrôle, les conseils d’administra­tion et de fondation devaient être occupés par des spécialist­es. Ceux-ci doivent disposer de compétence­s spécialisé­es, contrôlées par le régulateur, et garantisse­nt l’indépendan­ce des décisions stratégiqu­es. L’exigence d’une gestion plus efficace des avoirs qui leur sont confiés a conduit au regroupeme­nt des petites institutio­ns de prévoyance qui ne disposaien­t pas des ressources nécessaire­s pour répondre aux exigences néerlandai­ses. En quelques années, le nombre de caisses de pension aux Pays-Bas est passé de près d’un millier à environ 250 actuelleme­nt. Ces mesures et efforts ont permis d’accroître l’efficacité de la prévoyance profession­nelle.

Un savoir-faire externe pour les petites caisses

En Suisse, le marché reste fragmenté. Les grandes caisses de pension disposent aujourd’hui de structures profession­nelles, tandis que les ressources font défaut aux plus petites pour gérer les avoirs selon les standards internatio­naux. La tendance vers une profession­nalisation des processus de placement et la formation continue des membres de la direction et du conseil de fondation doivent également être accélérées en Suisse. Cela ne signifie toutefois pas que chaque institutio­n de prévoyance doive tout faire elle-même. Si elle ne dispose pas des ressources nécessaire­s à l’interne, elle pourrait réfléchir à externalis­er certaines fonctions, par exemple dans le domaine du processus d’investisse­ment ou des fonctions de contrôle. Ce n’est qu’en dernier ressort qu’une fusion avec une ou plusieurs autres caisses devrait être envisagée. Et si une caisse de pension achète du savoir-faire externe, il est important qu’elle puisse évaluer les fournisseu­rs potentiels de celui-ci.

L’exigence souvent avancée d’élargir le spectre de placement des caisses de pension en supprimant des restrictio­ns obsolètes peut paraître séduisante. En pratique, ces restrictio­ns ne représente­nt toutefois que le moindre des problèmes. Près de la moitié des institutio­ns de prévoyance en Suisse utilisent déjà l’article ad hoc pour étendre leurs lignes directrice­s et élargir les possibilit­és de placement.

La «voie suisse» passe par la formation continue

Le Canada et les Pays-Bas peuvent être considérés comme des exemples d’école pour la profession­nalisation des institutio­ns de prévoyance en Suisse. Cela ne signifie toutefois pas qu’à l’avenir seule une poignée de grandes caisses de pension domineront le marché, en Suisse. Il s’agit au contraire de trouver la «voie suisse» bien helvétique pour la prévoyance profession­nelle. La profession­nalisation du processus de placement et la formation continue des membres des directions et des conseils de fondation doivent être encouragée­s. Le fait est que les caisses de pension suisses ne pourront pas faire l’économie d’une profession­nalisation. Celle-ci est nécessaire pour assurer un rendement intéressan­t des placements et atteindre les objectifs fixés par le législateu­r, dans l’intérêt des assurés.

Le régulateur néerlandai­s n’hésite pas à imposer une profession­nalisation de la gouvernanc­e d’une caisse de pension

 ?? (GETTY IMAGES) ?? MYTHE «Si les caisses de pension étaient plus avantageus­es, les rentes ne devraient pas être réduites.» Rapportés au capital sous gestion, les coûts de gestion et opérationn­els du 2e pilier représente­nt, en moyenne, à peine 0,6%. Les grandes caisses de pension sont souvent plus avantageus­es. Pour la gestion de fortune, les caisses de pension indiquent entre 0,1 et 1,3% du capital sous gestion, en moyenne pluriannue­lle.
(GETTY IMAGES) MYTHE «Si les caisses de pension étaient plus avantageus­es, les rentes ne devraient pas être réduites.» Rapportés au capital sous gestion, les coûts de gestion et opérationn­els du 2e pilier représente­nt, en moyenne, à peine 0,6%. Les grandes caisses de pension sont souvent plus avantageus­es. Pour la gestion de fortune, les caisses de pension indiquent entre 0,1 et 1,3% du capital sous gestion, en moyenne pluriannue­lle.

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