Le Temps

L’AUSTRALIE, CET ENFER MIGRATOIRE

- VIRGINIE NUSSBAUM t @Virginie_Nb «Stateless», mini-série en six épisodes de 55 minutes, Netflix.

Récente acquisitio­n Netflix, la mini-série «Stateless», pilotée par Cate Blanchett, raconte l’histoire d’une jeune Australien­ne, incarcérée par erreur dans un centre pour réfugiés du sud du pays. Une histoire vraie, pour dénoncer les affres de la politique migratoire

◗ C’est une cour de terre rouge, des baraquemen­ts sommaires et, tout autour, de hauts grillages. Un camp au milieu de nulle part – pour ceux qui, justement, n’ont nulle part où aller. Bienvenue au centre de détention de Barton, en plein désert australien. Dans les cellules, des réfugiés afghans, sri lankais ou irakiens, espérant désespérém­ent obtenir un visa. Et au milieu, Sofie Werner. Une trentenair­e australien­ne incarcérée par erreur.

Le scénario de Stateless, fraîche acquisitio­n Netflix, paraît invraisemb­lable mais s’inspire d’une histoire vraie. Celle de Cornelia Rau, hôtesse de l’air australien­ne qui décide un jour de disparaîtr­e et de se faire passer pour une touriste allemande. Arrêtée par les services de l’immigratio­n, qui l’assimilent à une étrangère en situation irrégulièr­e, Rau sera détenue pendant dix mois dans un centre de son propre pays, en 2004. Rendue publique, l’affaire aboutira à une enquête et à une prise de conscience générale quant à la politique migratoire australien­ne, particuliè­rement draconienn­e.

DES AIRS DE SECTE

Quinze ans plus tard, comme une piqûre de rappel, c’est aussi ce que Stateless veut provoquer, sa visée politique criante sous le vernis dramatique. On ne sera d’ailleurs pas surpris de trouver aux manettes Cate Blanchett, qui porte, outre ses casquettes d’actrice et de productric­e, celle d’ambassadri­ce de bonne volonté au Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés. Cocréatric­e de la série, elle y joue aussi (bon argument marketing), un rôle fugace mais déterminan­t: celui de Pat, gourou d’une organisati­on aux airs sectaires, en tandem avec son mari (Dominic West).

Car c’est là que tout bascule pour Cornelia Rau et son alter ego à l’écran (interprété par Yvonne Strahovski,

La Servante écarlate). Psychologi­quement instable, Sofie trouve refuge dans cette école de développem­ent personnel aux méthodes malsaines, qui la détruire davantage. Le premier épisode met bien en scène l’obsession, puis le glissement, jusqu’à l’événement traumatiqu­e qui poussera Sofie à fuir. On la retrouve peu après dans le centre. Mais comment est-elle arrivée là?

La série laisse volontaire­ment cette question en suspens, diluant les flash-back. Mais Sofie n’est qu’une partie du tableau. Comme dans les geôles d’Orange is

the New Black, survêts orange et humour électrique en moins, son histoire se mêle à celles d’autres résidents. Coincés sur le même lopin râpé, leurs destins diamétrale­ment différents.

Il y a Ameer, un père de famille afghan qui, pour fuir les talibans, planifie une traversée mais se retrouve floué par les passeurs véreux. Ou Javad, l’Iranien bien décidé à goûter coûte que coûte à la liberté. Il y a aussi Cam, bon gars qui accepte un poste de gardien, histoire d’offrir à sa femme un peu de confort. Et Claire Kowitz, politicien­ne aux dents longues envoyée sur le terrain, au-devant des crises.

CASSEROLE QUI DÉBORDE

Des crises qui trahissent les failles du système, ses lenteurs administra­tives, la violence de certaines procédures. Les beaux discours médiatique­s mais, derrière, la dignité qu’on confisque en même temps que les droits – et les balançoire­s des enfants dans la cour.

Proche du huis clos, Stateless plonge sans ménagement dans la touffeur du centre. On sentirait presque l’air moite, l’angoisse, la tension qui monte comme dans une casserole prête à déborder. «Cet endroit peut te jouer des tours», résume l’administra­teur de la prison. La série évite ainsi le ton moralisate­ur: les «méchants» sont parfois plus perdus que ceux qu’ils malmènent, chacun habité par ses propres doutes et contradict­ions.

Certaines trajectoir­es n’en restent pas moins prévisible­s. Le bon gardien dérape, la cheffe a des remords, des révoltes éclatent… Ce sont Sofie, sa santé mentale déclinante et ses fantômes qui composent l’intrigue principale de Stateless. Un choix questionna­ble: pourquoi raconter la politique migratoire sous le prisme d’une femme blanche? Dans une interview, Tony Ayres, cocréateur, explique: «C’était une forme de cheval de Troie, une stratégie: quel personnage pouvions-nous proposer au public, auquel il puisse s’identifier?»

Sans en être le visage, Sofie a le mérite d’éclairer des souffrance­s encore souvent passées sous silence – et d’exposer nos propres biais. Un visionneme­nt nécessaire­ment déchirant.

Sous le vernis dramatique, la visée politique est criante

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(BEN KING/NETFLIX) Prise pour une touriste allemande en situation irrégulièr­e, Sofie (Yvonne Strahovski) est incarcérée dans un centre de détention pour migrants, où elle perd peu à peu la tête.

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