Le Temps

RONE, DERNIÈRE SYMPHONIE AVANT L’EFFONDREME­NT

- DAVID BRUN-LAMBERT En concert le 8 octobre à Neuchâtel (Case à Chocs), sous réserve des mesures sanitaires.

Le producteur électroniq­ue français a publié ce printemps «Room With a View», cinquième album somptueux inauguré lors d’une série de spectacles au Théâtre du Châtelet. Rencontre relax en terrasse, peu avant le confinemen­t

◗ Sa mine peut bien être pâlotte, son planning impossible, on voit Rone s’arracher tout sourire d’une bouche de métro du centre de Paris. Bonnet rayé rouge et noir sur le crâne, lunettes cerclées et silhouette pliée sous le poids d’un sac à dos, le producteur fonce vers nous en vieux frère. «Tu vas bien?», il demande. On bégaie: «Oui.» C’est la première fois qu’on rencontre Erwan Castex «en vrai». Mais une décennie qu’on l’admire. Trois ans après Mirapolis (2017), le Montreuill­ois a publié fin avril Room With

a View, 12 titres hantés par la crise climatique, qu’a précédé une création, peu avant le confinemen­t, imaginée avec (LA)HORDE pour l’une des plus prestigieu­ses scènes françaises. «Tu veux d’abord voir la scéno et on se prend un café?»

L’entrée des artistes, un sas de sécurité et des escaliers qu’on grimpe quatre à quatre pour parvenir à l’arrière-scène du Théâtre du Châtelet. Pas un bruit. Il est pile 11 heures et l’institutio­n francilien­ne a tout du navire à quai avant l’orage. «Bientôt, ça sera le feu, confirme Rone. Entre les danseurs qui débarquent et le personnel qui s’engueule, c’est un cirque. J’adore.» On le suit sur le plateau où dort la reconstitu­tion d’une façade d’immeuble éventrée. En fond de scène, une paire de synthétise­urs modulaires patiente sur un trépied. «Ce set up minimalist­e est celui que j’ai utilisé pour concevoir mon nouveau disque, explique-t-il. J’aime me limiter à quelques instrument­s, ça force la créativité. Bon: café? J’ai envie de fumer.»

On y file, alors que Marine Brutti et Jonathan Debrouwer, cofondateu­rs de (LA)HORDE, l’arrêtent. A ce que l’on comprend, des «petits trucs urgents» attendent d’être réglés. «On va réaliser une vidéo en plan-séquence avec les danseurs du Ballet national de Marseille, le chef opérateur de Leos Carax et le cadreur de Michel Gondry, explique Erwan, s’asseyant à la table d’une brasserie. Juste génial! Ça rajoute simplement plus de pression.»

Jusqu’ici, on estimait franchemen­t l’oeuvre onirique, invariable­ment émouvante de ce garçon. Maintenant qu’on le découvre au naturel, spontané et agréableme­nt bordélique, on s’en éprend absolument, observant d’un oeil nouveau son cinquième album: ample, monacal et réalisé d’un trait. «Après la tournée Mirapolis, j’avais besoin de travailler à un répertoire neuf, dit Rone. C’est là qu’est tombée la carte blanche du Théâtre du Châtelet. En créant ce spectacle avec (LA)HORDE, j’ai voulu réaliser une musique qui serve un spectacle nourri des débats actuels autour de la collapsolo­gie tout en fonctionna­nt indépendam­ment dans le cadre d’un disque.» Son meilleur à ce jour.

Mirapolis regardait nos ensembles urbains croître jusqu’à apparaître monstrueux? Room With a View les observe se débattre au temps de l’effondreme­nt. Pour autant, pas d’alarmisme chez Erwan Castex. «J’ouvre une discussion sans donner de leçon», assure ce garçon «plutôt complexé, timide, angoissé», de son propre aveu, mais dont la nature confine pourtant à l’optimisme. Pour cette raison, son disque ne déroge pas aux reliefs clairs fixés depuis Creatures (2015). Réalisé en neuf mois, ce cinquième geste studio contemple ce qui pourrait bien être les ruines de notre civilisati­on, avant que ne débute – peut-être – sa renaissanc­e.

L’HOMME PRESSÉ

«Comme pour Mirapolis, je suis allé à la campagne pour poser les premières bases de ces titres, explique-t-il. Cette fois, je me suis installé dans l’ancienne propriété de George Sand, un lieu isolé situé dans le Berry et entouré d’un parc magnifique. Toute cette végétation, cette beauté, ça a forcément influencé mon travail.» On songe à Sophora Japonica et ses mirages d’arbre-monde. A Human, où chantent les danseurs du Ballet national de Marseille. A Nouveau Monde, enfin, sur lequel l’astrophysi­cien Aurélien Barrau s’agace: «Il s’agit simplement de consommer un peu moins, bordel! C’est quand même pas la fin du monde!» A ses côtés, l’écrivain de science-fiction Alain Damasio en rajoute une couche.

«Alain est un vieil et bon ami, rappelle Rone, qui signa avec lui son premier single, Bora (2008). On s’est rencontré quand je travaillai­s à une adaptation ciné de son roman La Zone du dehors (1999). A cette époque, je voulais bosser dans l’image et produisais de la musique en dilettante, concevant déjà mes titres comme des mini-scénarios. Puis ça s’est emballé. Pourtant, j’ai mis du temps à me considérer comme musicien et à accepter la valeur de mes idées. Maintenant, je cours après le temps. A chaque nouvel album je me promets d’ailleurs de prendre plusieurs années afin de le mener à bien, mais tout se précipite, comme ici.»

A regret? «Tu rigoles? Non, j’ai du bol», s’amuse Erwan, écrasant sa cigarette. Là, il demande l’heure. «Euh, désolé, cette fois je dois vraiment y aller», prévient-il, soudain pressé, offrant une autre accolade de frangins. Rone ne s’arrête jamais: la sortie de Room With a View s’accompagne de la publicatio­n de la bande originale composée pour le film La Nuit

venue, de Frédéric Farrucci. Quelques jours plus tard, la tournée prévue jusqu’à l’été était annulée… Dans le meilleur des mondes, on pourrait retrouver Rone à Neuchâtel cet automne.

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(RAPHAËL LUGASSY)
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«Room With a View» (InFiné). Rone,

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