Emilien Itim, au nom du père
Enfant, Emilien Itim aimait puiser dans la collection de diapositives de ses parents. C’est ainsi que, peu à peu, il a pris conscience du déracinement vécu pas son père, un Algérien arrivé en Suisse à l’âge de 8 ans, au début des années 1960 et pour raisons médicales, grâce à un programme de Terre des Hommes.
Diplômé en photographie du Centre d’enseignement professionnel de Vevey, Emilien Itim présente à Bienne un projet commencé l’an dernier et qu’il a intitulé Yatim suite à une étonnante découverte autour de son patronyme: Itim signifie «orphelin», qui se prononce «yatim» en arabe littéraire. Même si son père n’est pas à proprement parler un orphelin, cette coïncidence n’en est pas moins troublante.
Il y a deux ans, le jeune photographe s’est senti prêt à enfin affronter l’histoire familiale. «Pour mon père, issu d’une famille de 11 enfants, ce déracinement a été douloureux. Il n’en parlait pas, pour se protéger je pense. Quant à moi, je ne lui ai jamais posé de questions, racontet-il. Il s’est reconstruit en Suisse et n’avait plus de raison de creuser son passé, d’évoquer ce qui pourrait le blesser. A cause de la guerre civile, cela fait trente ans qu’il n’est pas retourné en Algérie.»
La démarche d’Emilien Itim passe par la réappropriation des archives familiales, de ces photos montrant son père prenant la pose, dans des mises en scène destinées à montrer à ses parents biologiques qu’il menait en Suisse une vie heureuse. Dans un second temps, il a réalisé une série d’images de paysages, montrant notamment la Méditerranée, cette barrière naturelle séparant l’Europe de l’Afrique. On ne peut s’empêcher de voir là une dimension tragique: si son père est venu en Suisse pour y être soigné, en quelque sorte sauvé, combien de migrants en quête d’un avenir meilleur n’ont jamais réussi à traverser la mer? Soutenu par Pro Helvetia,
Yatim est un projet encore en cours d’élaboration combinant joliment mémoire individuelle et histoire collective.