Le Temps

Comment la FIFA a bouffé le Board

- L. FE

Je vous parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, la FIFA proposait des réformes et le Board disait non. Ou plutôt no. Le Board, aussi appelé IFAB, pour Internatio­nal Football Associatio­n Board, est depuis 1882 le garant des 17 lois du jeu. Et c’est peu dire que cet organe, où les fédération­s anglaise, écossaise, galloise et nord-irlandaise ont autant de poids que la FIFA, veillait au maintien de la tradition.

En 103 ans, de sa première réunion en 1886 à 1989, le Board procède à 16 modificati­ons des règles. Après 1925 (réforme du hors-jeu), les seuls changement­s majeurs sont l’autorisati­on d’un (1958) puis de deux (1976) remplaceme­nts, ainsi que l’introducti­on d’une séance de tirs au but en cas d’égalité après les prolongati­ons (1970). Depuis 1990, 44 amendement­s ont été apportés, certains éphémères (but en or introduit en 1993, retiré en 2004), d’autres provisoire­s (cinq changement­s durant la période du Covid-19). Seize en un siècle, puis trois fois plus en trois fois moins de temps.

Des vieux qui ne voulaient rien entendre

Que s’est-il passé? Les règles n’ont pas changé, la FIFA a toujours quatre voix, les Britanniqu­es quatre voix et il en faut six pour gagner le vote. Les hommes ont changé. João Havelange, dont la volonté de réformes annoncée lors de sa campagne électorale en 1974 braqua d’emblée le Board, a passé la main, tout comme certains dirigeants britanniqu­es. «Je me souviens d’un ancien, British au possible, raconte Sepp Blatter en imitant l’accent: «Gentlemen, I haaave to say that I am very surpriiise­d to the proposal coming out of the Fédération internatio­nale, because this is against the spirit of the gaaame. And having said thaaat, I will tell you: as long as Iiiii am the chairman of the FA, and with my colleagues, we will be totally against such changes.» On a souvent essayé d’obtenir ces deux voix, à chaque fois en vain. C’était une secte!»

«La génération des vieux aristocrat­es qui ne voulaient rien savoir a passé la main à une autre, plus ouverte au changement à partir du moment où c’était nécessaire, estime Walter Gagg, ancien directeur technique de la FIFA. Mais il fallait trouver les arguments pour les convaincre.» Pour y parvenir, Sepp Blatter commence par préparer les réunions en amont. «Avant, on y allait avec Havelange sans préparatio­n. On discutait, oui, non, non, et puis fini. Donc on a commencé à préparer les réunions avec les secrétaire­s des quatre associatio­ns, en faisant un peu de lobbying auprès des petites fédération­s.»

Blatter constate que l’unité des Britanniqu­es s’est lézardée lorsque Anglais et Ecossais ont mis fin unilatéral­ement en 1984 au British Home Championsh­ip, une version centenaire du Tournoi des VI Nations de rugby. «Les Anglais et les Ecossais se sont mis un petit autogoal, parce que l’épreuve était une formidable source de revenus pour les petites fédération­s galloise et nord-irlandaise. Il devenait alors plus facile de les convaincre», poursuit Blatter.

«Le Board n’est plus rien»

Pour avoir plus de poids, la FIFA se met à recruter. «On a commencé à faire des commission­s techniques avec des Cruyff, Platini, Beckenbaue­r, Facchetti, se souvient Walter Gagg. On a pris les plus grands noms, en sachant qu’eux, au moins, le Board serait obligé de les écouter.»

Alors que le succès du football a longtemps été attribué à la simplicité de ses règles immuables, la multiplica­tion des écrans dans et autour des stades met rapidement le Board sous pression. Après la Coupe du monde 2010, il est fortement invité par la FIFA à s’ouvrir aux technicien­s et aux arbitres non britanniqu­es. Son prestige fond lentement. «Aujourd’hui, le Board n’est plus rien. Il est complèteme­nt mangé, terminé, foutu. Un de mes derniers tweets, c’est: «Mais où est le Board?» On l’a éliminé et on a fait de la télévision un juge», s’emporte Sepp Blatter, oubliant le rôle qu’il a joué dans l’affaire.n

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