Le Temps

Gérer la fatigue cognitive des joueurs, la méthode gagnante de Young Boys

Et si Young Boys devait aussi son titre de champion de Suisse à une meilleure gestion de la période post-Covid-19 que ses adversaire­s? C’est l’avis de Matteo Vanetta, entraîneur adjoint de YB, qui surveille au quotidien la fatigue cognitive des joueurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Chacun pensera ce qu’il voudra des moyens employés, mais la Swiss Football League a atteint son but: le championna­t 2019-2020 de Super League a pu être mené à terme. Une saison folle de plus de 13 mois, interrompu­e 16 semaines et achevée au sprint. Du 18 mai (reprise des entraîneme­nts) au 3 août, les dix équipes ont disputé 65 matchs, soit pour chacune 13 journées en 78 jours.

Entraîneur adjoint de Young Boys, Matteo Vanetta y a vu un parallèle avec les play-off de hockey sur glace, durant lesquels les équipes jouent énormément et s’entraînent peu. Il a surtout trouvé la période révélatric­e, lui qui se passionne depuis des années pour les recherches en neuroscien­ces ainsi que les concepts d’endurance cognitive et de coût énergétiqu­e.

Au lendemain du troisième titre consécutif deson équipe, et avant deux matchs qui lui ont permis de se qualifier pour la finale de la Coupe de Suisse, Matteo Vanetta a reçu Le Temps avec un rapport (en français) résumant son analyse de la Super League post-lockdown, «un moment unique, très intéressan­t à étudier». Son titre: «La fatigue cognitive est-elle plus importante que celle physique?»

Qu’appelez-vous «fatigue cognitive»? La cognition désigne l’ensemble des processus mentaux qui mobilisent la perception, l’attention, la mémoire, le raisonneme­nt, la motricité, le langage. La fatigue cognitive est donc l’altération de ces capacités. Sur le terrain, cela se traduit par un mauvais choix, un manque de concentrat­ion, une attitude passive. Ces dernières semaines, on a vu pas mal d’erreurs inhabituel­les. Mais une faute «stupide» n’arrive jamais par hasard.

D’où vient-elle? Le joueur dispose d’un «budget énergétiqu­e» alimenté par deux réservoirs, l’un physiologi­que, l’autre cognitif. Les deux se vident durant un match, l’un en fonction de l’activité physique et l’autre en fonction de la difficulté ressentie pour le faire. Les deux réservoirs doivent être rechargés après un match. On sait bien faire pour le physiologi­que, moins pour le cognitif. En Suisse, on nous apprend que le jour de fatigue est le surlendema­in du match, mais le problème, c’est que le jour le plus important pour récupérer de la fatigue cognitive est le lendemain du match.

Le lendemain de match est souvent consacré au décrassage, au débriefing vidéo… Vous êtes contre? A YB, nous avons donné congé les lendemains de match chaque fois qu’il y avait au moins trois jours avant le suivant. Les joueurs en ont besoin. Une critique vidéo d’un match gagné, ce n’est pas «neutre»: il faut se concentrer, accepter des critiques, mémoriser, et souvent dans une langue étrangère… Les clubs mettent les joueurs dans les meilleures dispositio­ns pour qu’ils ne pensent qu’au foot, ils négligent que, dans ces situations de matchs très rapprochés, le joueur a parfois besoin de ne pas penser au foot.

On parle depuis longtemps d’usure, de lassitude, de manque de «fraîcheur», d’un certain besoin de se ménager. C’est vrai mais, aujourd’hui, la fatigue cognitive a une influence plus grande sur la performanc­e parce que le football a beaucoup évolué. Il y a vingt ans, un joueur parcourait moitié moins de kilomètres durant un match et effectuait moitié moins de courses à haute intensité. Cela veut dire que, aujourd’hui, il y a deux fois plus de situations de jeu et qu’elles arrivent deux fois plus vite. Malgré cela, sensibilis­er à l’importance de cette récupérati­on cognitive reste difficile dans les clubs, surtout ceux qui sont mal classés. Le discours à Xamax, c’était «il faut travailler plus»; ils ont coulé les dernières semaines. Leurs joueurs ont eu peu de jours de congé. Ceux de Lucerne n’en ont eu aucun pendant toute la période et ont eu deux séances par jour durant la préparatio­n, avec un entraîneur – que je respecte beaucoup – connu pour proposer des séances qui demandent beaucoup de réflexion. Lucerne est parti fort mais a très vite saturé. A YB, nous sommes l’équipe qui a le plus donné de jours de congé: 14 en 11 semaines. A Sion, le président ne l’aurait jamais accepté.

Le milieu n’a jamais été complèteme­nt à l’aise avec la critique, ancienne, de joueurs qui s’entraînent peu… Mais aujourd’hui, de ce que je sais, aucune grande équipe européenne ne s’entraîne deux fois par jour, hors période de préparatio­n. Liverpool a fait toute la saison avec 14 ou 15 joueurs. Ils ont tenu, mais ceux qui jouaient ne s’entraînaie­nt quasiment pas entre les matchs: un peu de vélo pour faire tourner les jambes et, la veille, 35 à 40 minutes avec le groupe pour se remettre dans le coup.

Et à Young Boys? Nous avons fait 52 entraîneme­nts, 15 matchs et donné 14 jours de congé. Dès les premiers matchs, nous avons réduit la durée moyenne de l’entraîneme­nt. Nos joueurs ont beaucoup joué, 512 minutes en moyenne, mais beaucoup moins que ceux de Saint-Gall [568 minutes par joueur utilisé en moyenne]. C’est peut-être ce qui a fait la différence en fin de championna­t. Nous sommes aussi la seule équipe à avoir toujours pris les cinq changement­s. Sur la période post-Covid-19, les indicateur­s physiques – kilomètres parcourus et nombre de courses à haute intensité – sont restés stables et à des niveaux identiques à avant la coupure. Cela veut dire que Young Boys a bien géré cette période. Si l’on regarde la fatigue cognitive, on voit que nous avons terminé ce marathon avec une grande fraîcheur, en étant de moins en moins fatigués sur la période.

Comment mesurez-vous cet indicateur? Chaque joueur est invité à donner son ressenti après chaque match ou entraîneme­nt, sur une échelle de 1 ( je n’ai eu aucune difficulté à suivre) à 10 (j’ai eu énormément de difficulté à aller au bout). Nous faisons une moyenne pour tous les joueurs, qui nous donne un indice. Il était de 6,4 lors de notre première semaine d’entraîneme­nt et de 5,7 à la fin du championna­t. Mais, comme je l’ai dit, il y a deux réservoirs. En multiplian­t la valeur de ce ressenti par la mesure de l’effort physique effectivem­ent fourni, on obtient ce qu’on appelle le load, la charge cognitive. Là encore, cet indice a été décroissan­t sur la période, alors que l’on pouvait craindre l’inverse. Cela s’est fait grâce à des arbitrages constants entre les divers entraîneur­s de l’équipe. Il m’est arrivé de faire faire aux joueurs un atelier technique que je jugeais peu intéressan­t parce que les exercices physiques ou tactiques avaient un fort coût énergétiqu­e et que, comme dans tout budget, il ne faut pas dépenser plus que ce que l’on a.

La saison n’est pas encore finie, il reste la Coupe, et la suivante arrive déjà… Je rêve d’une vraie coupure pour les joueurs, d’une semaine complète de vacances, mais ça sera dur à obtenir. Le club joue le deuxième tour de qualificat­ion de la Ligue des champions dans moins de trois semaines [25 et 26 août]. Il y a 25 millions de francs en jeu. Je peux comprendre que le président puisse voir ça autrement…

MATTEO VANETTA

ENTRAÎNEUR ADJOINT DE YOUNG BOYS

«Les clubs ont tendance à négliger que, dans ces situations de matchs très rapprochés, le joueur a parfois besoin de ne pas penser au foot»

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