Le Temps

Kaboul accepte de libérer 400 détenus talibans

- JACQUES FOLLOROU (LE MONDE) @jacfolloro­u

Une assemblée réunie par le président a approuvé la libération des prisonnier­s qu’exigeaient les insurgés avant l’ouverture de négociatio­ns interafgha­nes

Le gouverneme­nt de Kaboul a cédé, dimanche 9 août, à la dernière exigence du mouvement taliban pour que puisse enfin débuter le dialogue de paix interafgha­n. Il a accepté de libérer les 400 derniers détenus d’une liste de 5000 noms fournie par les insurgés. Se refusant à décider lui-même de relâcher ces 400 personnes, le président afghan, Ashraf Ghani, avait convoqué, le 7 août, à Kaboul, la Loya Jirga – une assemblée traditionn­elle réunissant 3200 notables, chefs tribaux et religieux de tout le territoire – pour assumer ce choix. Après avoir reçu leur accord, Ashraf Ghani a assuré qu’il signerait dès «aujourd’hui [dimanche], un décret pour relâcher les 400 prisonnier­s restants».

Après cette annonce, Abdullah Abdullah, chef du Haut Conseil pour la réconcilia­tion nationale, qui présidait cette réunion de sages, a indiqué: «Nous sommes sur le point de [commencer les] négociatio­ns de paix.» La veille, il avait assuré que le dialogue direct avec les talibans sera lancé à Doha (Qatar) et «commencera trois jours après la libération des prisonnier­s». L’un des porte-parole du mouvement insurgé, Suhail Shaheen, s’est montré moins optimiste, estimant qu’il faudrait au moins «une semaine pour entamer ces négociatio­ns après la remise en liberté des 400 derniers prisonnier­s».

La question posée aux membres de la Loya Jirga était loin d’être simple. Les autorités afghanes estimaient que ces 400 prisonnier­s, qualifiés de «criminels», n’étaient liés qu’indirectem­ent au mouvement. Parmi eux se trouvent, en effet, des trafiquant­s de drogue, des violeurs et des assassins de droit commun. Ashraf Ghani craignait, par ailleurs, d’affronter seul les griefs des familles de victimes, afghanes ou étrangères. Au printemps, Kaboul avait proposé aux talibans d’échanger ces noms avec ceux d’autres combattant­s, toujours détenus dans les geôles afghanes. En vain.

«Trahison nationale»

Ce refus des talibans avait conduit certains diplomates occidentau­x à creuser les dessous de cette affaire avant de découvrir que les familles de nombreux criminels figurant sur cette liste avaient «versé de l’argent pour obtenir la libération de leur proche», selon les dires de l’un d’entre eux, en poste à Kaboul. D’après les éléments fournis aux participan­ts de la Loya Jirga, près d’un tiers des détenus concernés sont des condamnés à mort. Certains sont également impliqués dans des attaques meurtrière­s, à Kaboul et dans le reste du pays, ayant tué des Afghans mais aussi des étrangers, civils et militaires, dont plusieurs Français.

Face à l’unanimisme apparent de la Loya Jirga, rares sont les voix à avoir exprimé leur désaccord. Le premier jour, la militante des droits des femmes Balqis Roshan, députée de la province de Farah, à la frontière avec l’Iran, avait interrompu le discours du président Ghani en brandissan­t une affiche indiquant: «Racheter les talibans est une trahison nationale.» Elle a été évacuée sans ménagement par une membre de l’organisati­on. Reconnaiss­ant le caractère «impopulair­e» de ces libération­s, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avait, pour sa part, appelé, vendredi, les participan­ts à les accepter. Le préaccord de paix signé, le 29 février, entre les EtatsUnis et les talibans prévoit en effet que «jusqu’à 5000 prisonnier­s insurgés seront libérés».

Ayant bien conscience de leur faible marge de manoeuvre face à un agenda taliban qui s’impose à tout le monde depuis l’ouverture du processus de paix à l’été 2018, le gouverneme­nt de Kaboul et les membres de cette grande Jirga ont assorti ces libération­s de conditions. Une résolution, contenant 25 articles, rappelle les principes auxquels tient la représenta­tion nationale avant que ne s’engagent les véritables pourparler­s de paix à Doha. Cette fois-ci, dit la résolution, il n’y a plus «d’excuses» pour retarder le dialogue de paix.

Préserver «les valeurs islamiques»

Les 3200 participan­ts à cette Loya Jirga veulent également la garantie «que les captifs libérés [par le gouverneme­nt] ne retournero­nt pas sur le champ de bataille, et que leurs activités seront surveillée­s». Plus rien, selon eux, ne s’oppose à l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu durable. Par ailleurs, l’Afghanista­n qui sortira de ces négociatio­ns doit préserver «les valeurs islamiques», «le rôle des chefs religieux», «des institutio­ns» et de «la démocratie».

Enfin, les membres de la Jirga souhaitent que les femmes soient pleinement associées à la vie politique du pays et bénéficien­t d’un statut juridique à part entière. Dimanche, en fin de soirée, les talibans, maîtres du temps, n’avaient toujours pas réagi aux annonces de cette Loya Jirga.

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