Le Temps

Une lourde peine frappe le journalist­e Khaled Drareni

- LUIS LEMA @luislema

Trois ans de prison ferme. Devenu l’emblème des obstacles posés à la liberté d’expression en Algérie, le journalist­e écope d’une sanction sans précédent

C’est un coup de massue. Un tribunal d’Alger a condamné lundi à 3 ans de prison ferme (ainsi qu’à une amende de 50000 dinars) le journalist­e algérien Khaled Drareni. C’est, comme le notait une de ses avocates, la peine la plus lourde infligée depuis le début du Hirak, ce mouvement de protestati­on qui réclame un changement de système politique dans le pays. Jamais, par ailleurs, dans l’Algérie indépendan­te, un journalist­e n’avait été jusqu’ici frappé de pareille sanction, faisant craindre aux voix critiques «un durcisseme­nt de la répression politique».

Pratiqueme­nt inconnu hors d’Algérie avant le mouvement de contestati­on qui a commencé en février 2019, Khaled Drareni avait été arrêté en marge d’une manifestat­ion, en mars dernier, puis placé en détention provisoire, sans être même autorisé à voir ses proches depuis lors. Deux militants politiques, Slimane Hamitouche et Samir Belarbi, avaient été appréhendé­s à la même occasion, ainsi qu’une trentaine d’autres personnes. Lundi, les deux militants ont écopé de 4 mois de prison ferme, une peine sensibleme­nt inférieure à celle du journalist­e.

«Condamnati­on politique»

Que reproche exactement la justice au journalist­e algérien, dont le visage et la liberté de ton sont devenus progressiv­ement familiers, hors de l’Algérie, aux téléspecta­teurs de TV5 Monde et de France24? A la vérité, même à l’issue du procès, la réponse à cette question reste floue. Officielle­ment poursuivi pour «incitation à un attroupeme­nt non armé» et pour «atteinte à l’intégrité du territoire national», Khaled Drareni semble pourtant être l’objet d’autres accusation­s que celles qui le frappent dans le cadre de son travail. Il y a quelques mois, un ministre l’avait accusé de faire partie des «profession­nels de la subversion». Et le président algérien lui-même, Abdelmadji­d Tebboune, avait laissé entendre à la même période que le journalist­e, qu’il accusait de s’être rendu «vers des ambassades étrangères», accompliss­ait un travail «identique à celui d’un espion».

La justice s’est-elle laissé influencer par ces diverses appréciati­ons, qui ne figuraient pas dans le dossier de l’accusation? C’est la thèse qu’a défendue notamment l’avocate Zoubida Assoul, au sortir du tribunal, dans des déclaratio­ns qui ont fait le tour des réseaux sociaux. Le verdict est «la traduction de la déclaratio­n du chef de l’Etat. On l’a sentie dans le réquisitoi­re et les questions de la présidente. C’est une condamnati­on politique et une décision politique», s’exclamait-elle.

En faveur du droit de manifester

De manière révélatric­e, le journalist­e – qui a fondé le site d’informatio­n Casbah Tribune et anime un talk-show politique à la radio – avait consacré par le passé plusieurs émissions à la question du droit de manifester, garantie par la Constituti­on algérienne mais sérieuseme­nt limitée ensuite par une loi d’applicatio­n. En mettant en avant la notion d’«attroupeme­nt non armé», la justice semble avoir voulu insister davantage sur les questions liées à l’ordre public plutôt que d’affronter directemen­t la problémati­que de la liberté d’expression.

Khaled Drareni peut certes faire appel de cette lourde condamnati­on. Mais ses proches, sous le choc, n’avaient pas encore rencontré les avocats lundi aprèsmidi en vue de dessiner la suite. «Ici, tout concourt à ce que les gens se sentent incapables de réagir: la canicule, la pandémie et la peur de se retrouver à l’hôpital… Tout le monde est comme sidéré», note un proche de la famille. Avant de partager son incompréhe­nsion: «Pourquoi s’acharner spécialeme­nt sur lui? Je le connais bien: il n’a rien à voir avec ces choses dont on l’accuse…»

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KHALED DRARENI
JOURNALIST­E KHALED DRARENI

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