Le Temps

Un «accord intérimair­e» pour réconcilie­r la Suisse et l’UE?

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

La post-doctorante de l’EPFZ Daniela Scherer estime qu’il est trop tôt pour signer l’accord-cadre et suggère de passer par une étape intermédia­ire, dans laquelle la Suisse se montrerait plus généreuse dans l’aide à la cohésion

Après l'échéance du 27 septembre sur l'initiative de l'UDC visant à résilier l'accord sur la libre circulatio­n des personnes (ACLP), le Conseil fédéral devra vite relancer le dossier de l'accord institutio­nnel avec l'UE. Que faire pour sortir de l'impasse actuelle? A l'EPF de Zurich, la post-doctorante Daniela Scherer, qui travaille en étroite collaborat­ion avec le professeur et ancien secrétaire d'Etat Michael Ambühl, propose de calmer le jeu par un «accord intérimair­e».

Agée de 32 ans, Daniela Scherer n'a pas vécu les heures de braise du grand débat sur l'adhésion de la Suisse à l'Espace économique européen (EEE) en 1992. Ni même les négociatio­ns ardues avec Bruxelles pour parvenir aux deux paquets d'accords bilatéraux de 1999 et de 2004. Elle fait partie d'une génération dont les parents n'ont pas connu la guerre et pour qui l'Europe est une évidence, tout comme d'ailleurs l'intégratio­n de notre pays à ce continent.

«Des exigences compréhens­ibles»

Cette Zurichoise d'origine grisonne a ses racines en Suisse, mais plus elle s'en éloigne – elle a étudié à Trondheim en Norvège et à Princeton aux Etats-Unis –, et plus elle se sent Européenne. «La Suisse se situe au coeur d'une Europe qui partage les mêmes valeurs en matière d'Etat de droit, de démocratie, de politique sociale et de droits humains», souligne-t-elle. En bref: «Il y a beaucoup plus de choses qui nous rassemblen­t que de questions qui nous divisent.»

Les chiffres sont éloquents. Chaque jour – du moins avant la pandémie de Covid-19 –, 2,2 millions de personnes traversaie­nt la frontière suisse sans encombre. Toujours chaque jour, la Suisse et l'UE échangent des biens pour une valeur d'un milliard de francs. Les deux parties en profitent. Même l'UE ne peut pas se plaindre: en 2018, elle a réalisé un excédent de 47 milliards d'euros dans sa balance commercial­e avec la Suisse.

Et pourtant, ce sont des pommes de discorde dont on ne cesse de parler. Depuis dix ans, l'UE réclame à la Suisse un accord institutio­nnel chapeautan­t la voie bilatérale tissée ces deux dernières décennies. Elle lui a accordé un statut spécial «taillé sur mesure» dans l'espoir qu'elle adhère un jour à la communauté, ce qui ne s'est pas produit. Elle veut désormais garantir l'homogénéit­é de son marché intérieur et réclame à la Suisse davantage de solidarité. «Des exigences compréhens­ibles», selon Daniela Scherer.

Mais comment sortir de l'impasse entre une UE qui s'impatiente et un Conseil fédéral qui tergiverse en craignant l'échec en votation populaire? Sans se précipiter, suggère cette observatri­ce attentive de l'évolution de la relation entre Bruxelles et le Royaume-Uni. Selon elle, il est plutôt improbable que l'UE fasse des concession­s à la Suisse tant qu'elle négociera sur le dossier du Brexit. Les Britanniqu­es, auxquels l'UE a proposé un mécanisme de règlement des litiges pareil à celui qui figure dans l'accord-cadre avec la Suisse, ont décliné. Pas question pour eux de permettre à la Cour européenne de justice d'interférer dans leurs affaires désormais intérieure­s.

Comme cette question n'est pas près d'être réglée demain, Daniela Scherer propose un «accord intérimair­e» dans lequel la Suisse se montrerait beaucoup plus généreuse dans l'aide à la cohésion. Elle prendrait exemple sur la Norvège – un pays de l'EEE – pour doubler, voire tripler sa manne, qui se monte aujourd'hui à 1,3 milliard sur dix ans. Cet accord préciserai­t aussi la date de la reprise des négociatio­ns sur la question institutio­nnelle.

«A long terme, nous avons besoin d'un accord-cadre, mais il doit répondre à l'équilibre des intérêts de part et d'autre, de manière à ce qu'il soit largement soutenu en Suisse», note encore Daniela Scherer, qui tient à ce que la protection des salaires soit garantie. Dans cette optique, la post-doctorante propose aussi de biffer le rôle de la Cour européenne de justice dans le règlement des litiges. Si la Suisse devait refuser d'adapter son droit à celui de l'UE, elle s'exposerait à des mesures de rééquilibr­age dont la proportion­nalité pourrait ensuite être contestée devant un tribunal arbitral indépendan­t.

Soutien de Michael Ambühl

Une solution qui sent la patte de Michael Ambühl, qui a été le directeur de thèse de Daniela Scherer. Négociateu­r en chef des bilatérale­s II, l'ancien secrétaire d'Etat s'était montré un négociateu­r redoutable, sachant revenir sans cesse avec de nouvelles idées pour surmonter l'obstacle. En 2004, la Suisse avait au dernier moment déjà abattu l'atout de l'aide à la cohésion pour boucler l'accord. Une Suisse plus généreuse à cet égard suffira-t-elle pour convaincre l'UE? Coprésiden­t du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes), François Cherix n'y croit pas: «Toutes ces nouvelles propositio­ns formulées comme des alternativ­es à l'accord-cadre cumulent les mêmes défauts. Elles rendent la situation plus complexe, augmentent l'incertitud­e et repoussent la décision dans le temps. Or, ce qu'il faut, c'est surtout un élan politique.»

Daniela Scherer ne s'embarrasse pas trop des pressions de Bruxelles enjoignant à la Suisse de signer. «Même l'UE ne gagnerait rien d'un échec de l'accord en votation populaire», assure-t-elle.

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(MICHELE LIMINA) La post-doctorante de l’EPFZ Daniela Scherer propose une solution pour sortir de l’impasse de l’accord-cadre.

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