Le Temps

Neymar fait avancer le droit suisse

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le footballeu­r brésilien se trouve au centre d’un récent arrêt du Tribunal fédéral qui précise la protection accordée aux employés de banque vis-à-vis des autorités étrangères et contient peut-être des enseigneme­nts pour le dossier français d’UBS

Ce mercredi, Neymar sera l’atout offensif principal du Paris Saint-Germain en quart de final de Ligue des champions contre l’Atalanta Bergame. Mais le footballeu­r brésilien joue plutôt en défense dans un dossier de nature fiscale qui a occupé le Tribunal fédéral (TF). Dans un arrêt dévoilé jeudi (2C_376/2019), ce dernier fournit des précisions sur les personnes devant être averties d’une procédure d’entraide internatio­nale. Le Tribunal fédéral y estime que les employés de banque doivent bénéficier d’une protection particuliè­re, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres tierces parties.

Ancien attaquant du FC Barcelone, Neymar fait depuis plusieurs années l’objet d’une enquête du fisc espagnol. Ce dernier a cherché à obtenir les contrats de sponsoring qui lient Neymar et Procter & Gamble Internatio­nal Operations (P&G), la filiale genevoise de la multinatio­nale américaine.

En 2018, le fisc fédéral (AFC) a accordé l’entraide avec l’Espagne en octobre de cette année-là. P&G s’est alors opposé au transfert de documents, au motif que ces contrats liaient aussi des entités brésilienn­es du groupe et d’autres sociétés, elles aussi brésilienn­es.

En avril 2019, le Tribunal administra­tif fédéral (TAF) a annulé l’entraide dans ce dossier, car l’AFC n’avait pas averti ces parties tierces qu’elles étaient impliquées. Or le droit suisse prévoit que toutes les parties concernées ont le droit de se défendre – par exemple, en s’opposant au transfert de données les concernant. L’AFC a fait recours du Tribunal fédéral et a eu gain de cause, dans un arrêt publié jeudi passé.

Intérêt digne de protection, mode d’emploi

Qui a le droit d’être informé d’une procédure d’entraide internatio­nale, s’est demandé la Cour suprême? La personne visée nommément par la demande d’entraide, bien sûr, mais pas les autres individus ou entités, dont le nom apparaît dans la demande d’entraide à cause de leur proximité avec les faits décrits. A moins que ces personnes n’aient un intérêt digne de protection, détaille le TF.

Or un tel intérêt n’existe que dans des conditions particuliè­res, avance la cour: en présence d’un risque concret que les informatio­ns transmises soient utilisées par l’Etat requérant à d’autres fins que celles visées par la demande d’entraide. Ce qui serait contraire au principe de spécialité contenu dans les accords régissant l’entraide internatio­nale.

Le TF prend un exemple tiré de la jurisprude­nce. Un employé de banque dont le nom apparaît dans une demande d’entraide concernant un fraudeur fiscal présumé a un intérêt digne de protection. Car le nom de l’employé n’aide pas à évaluer la situation fiscale du client visé et car un juge civil avait interdit à la banque de transmettr­e le nom de cet employé.

L’AFC n’avait pas l’obligation d’informer spontanéme­nt les sociétés brésilienn­es mentionnée­s dans cet arrêt «Neymar», car elles n’ont pas d’intérêt digne de protection, poursuit le TF. Ces structures auraient pu participer à la procédure, notamment en invoquant la loi sur la protection des données. Ce qu’elles n’ont pas fait. En conséquenc­e, le fisc fédéral n’aurait dû avertir que les personnes pour lesquelles il était évident qu’elles s’opposeraie­nt à la demande d’entraide. Le TAF doit à nouveau se pencher sur ce dossier.

«Le TF interprète le droit d’être entendu et l’intérêt digne de protection de manière plus restreinte, en assortissa­nt ce dernier de conditions particuliè­res, analyse Célian Hirsch, du Centre de droit bancaire. La Cour suprême opère une distinctio­n entre les entités qui apparaisse­nt dans une demande d’entraide – ici, les sociétés brésilienn­es – et les employés de banque, pour lesquels elle considère qu’une protection supplément­aire s’impose.»

Débat sur la qualité de partie

Cet arrêt pourrait influencer un autre dossier en cours, enchaîne l’avocat Philippe Mantel: «Dans cet arrêt, le TF réfléchit également à la qualité de partie et demande au TAF de clarifier la question de savoir si P&G et les sociétés brésilienn­es sont parties à ce dossier. Le TF fournit une définition plus restrictiv­e de la notion de partie. Ce pourrait être de mauvais augure pour UBS, à qui le TAF a retiré en juillet la qualité de partie dans le dossier des contribuab­les français.» Selon nos informatio­ns, UBS a fait recours contre cette décision du TAF.

Dans un autre arrêt, publié lundi (2C_417/2019), le TF estime qu’en principe une banque n’est pas partie à une procédure d’assistance administra­tive en matière fiscale avec la France, «sauf si la banque est affectée par la demande d’entraide dans une mesure comparable» à celle de la personne formelleme­nt visée.

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