Le Temps

Cérès, planète naine encore active

Deux ans après son terme, la mission Dawn livre les données récoltées sur Cérès. Elle dévoile l’existence d’une activité géologique de la planète naine et la présence possible d’un océan souterrain

- HUGO RUHER @HugoRuher

Les astronomes du XIXe siècle voyaient en Cérès la planète manquante entre Mars et Jupiter, mais elle fut rapidement rétrogradé­e en simple astéroïde parmi d’autres. Deux siècles plus tard, des observatio­ns plus minutieuse­s réhabilite­nt celle qui a été classée planète naine en 2006 et qui fascine la communauté scientifiq­ue, si on en croit la dernière publicatio­n de la revue

Nature datée du 10 août qui ne lui consacre pas moins de sept papiers! Des études publiées dans Nature

Astronomy, Nature Geoscience et Nature Communicat­ions qui dévoilent les derniers résultats de la mission Dawn. Cette sonde, qui a orbité autour de Cérès entre 2015 et 2018, est descendue à 35 kilomètres d’altitude à peine. Un point de vue unique qui prouve que l’astre est plus complexe qu’il n’en a l’air et, surtout, qu’il est toujours actif.

Un océan souterrain?

«Quand la mission Dawn a été sélectionn­ée dans les années 2000, le but était d’observer un fossile du système solaire, mais nos attentes ont vite été bousculées», explique Julie Castillo-Rogez, une chercheuse de la mission Dawn qui a participé à la plupart des études. Première surprise, selon un des papiers signé Carol Raymond, géophysici­enne à la NASA: il y a encore du liquide aujourd’hui sous une croûte de 40 kilomètres d’épaisseur.

Une présence soupçonnée jusque-là et désormais confirmée, puisque les analyses de la gravité ont montré l’existence d’un réservoir sous le cratère Occator, qui s’étend sur au moins une centaine de kilomètres de diamètre. Ce cratère était scruté de près depuis les débuts de la mission Dawn car les premières images transmises en 2016 montraient des dépôts de carbonates, signe qu’il y avait eu de l’eau dans le passé. Voire un océan résiduel.

Finalement, l’eau est bel et bien présente, mais le terme d’océan fait débat puisqu’il s’agit davantage d’un mélange d’eau, de roches et d’autres particules. Les analyses indiquent tout de même que 30% de cette boue est composée de liquide.

Ce réservoir est loin d’être inactif puisqu’il communique avec la surface. Dans une autre étude, celle de Maria Cristina de Sanctis, de l’Institut national d’astrophysi­que de Rome, les auteurs décrivent la présence de chlorures de sodium hydratés. Du sel, en quelque sorte, courant sur Terre mais dont la présence n’a jamais été confirmée ailleurs dans l’univers jusque-là, qui arriverait du sous-sol et qui, une fois à la surface, commencera­it à perdre ses molécules d’eau.

Or, ce phénomène de déshydrata­tion est plutôt rapide, quelques dizaines d’années tout au plus. Ce qui veut dire que si les molécules de H2O sont encore accrochées au chlorure à la surface, le phénomène se déroule bien encore aujourd’hui. «C’est une sorte de cycle de l’eau à la surface, résume Julie Castillo-Rogez, les minéraux se déshydrate­nt, puis d’autres arrivent du sous-sol pour les remplacer. Un phénomène que nous observons certaineme­nt en temps réel.»

Un cryovolcan­isme actif

Ce phénomène de cryovolcan­isme serait justement lié au cratère Occator, formé il y a environ 80 millions d’années lors d’une collision avec une météorite. Le choc a fait fondre une grande quantité de glace, formant sous le point d’impact un petit réservoir d’eau liquide, qui communique avec l’océan de boue en dessous. L’impact a également fragmenté la croûte, créant des failles sur plusieurs centaines de kilomètres alentour. Mais cette glace fondue a fini par geler de nouveau, faisant augmenter son volume. Résultat: le liquide sous pression est expulsé jusqu’à la surface par les failles et dans le cratère.

Le froid est à l’origine de ce phénomène puisque Cérès affiche en moyenne -167°C à sa surface; mais, sous sa croûte, elle conserve de la chaleur. Le mélange boueux et le gaz doivent former une sorte de cage autour du chlorure de sodium pour le maintenir au-dessus de -30°C, sinon il gèlerait.

Pour Julie Castillo-Rogez, l’ensemble de ces découverte­s montre encore une fois que Cérès est loin d’être un simple astéroïde: «C’est une structure proche de celle d’une lune glacée et c’est le seul astre de ce type pour lequel nous avons des données géologique­s précises. Il y a un lien intéressan­t à faire avec Europe, Titan ou Encelade.» Prochaine étape pour Cérès: établir son histoire et le lieu où elle s’est formée, qui font encore l’objet de débats. Des informatio­ns qui devraient être précisées une fois que les dernières données récoltées par Dawn auront été analysées.

«C’est une structure proche de celle d’une lune glacée et c’est le seul astre de ce type pour lequel nous avons des données géologique­s précises»

JULIE CASTILLO-ROGEZ, CHERCHEUSE DE LA MISSION DAWN

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(ÉPREUVE D’ARTISTE/EPA/NASA/JPL-CALTECH) Cérès dissimuler­ait du liquide sous une croûte de 40 kilomètres d’épaisseur.

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