Le Temps

La Suisse s’assure un accès prioritair­e à un médicament expériment­al contre le Covid-19

La Suisse a conclu un contrat avec l’entreprise zurichoise Molecular Partners afin d’obtenir un accès prioritair­e à son traitement contre le SARS-CoV-2 à base de DARPins. Une thérapie prometteus­e mais encore en cours de développem­ent

- PASCALINE MINET @pascalinem­inet

«Il s’agit d’une technologi­e prometteus­e, mais encore récente. Il est encore trop tôt pour dire si elle aura l’effet attendu chez l’être humain»

NICOLAS VUILLEUMIE­R, CHEF DU SERVICE DE MÉDECINE DE LABORATOIR­E AUX HÔPITAUX UNIVERSITA­IRES DE GENÈVE

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C’est déjà la foire d’empoigne entre les pays riches pour préempter des doses de futurs vaccins contre le Covid-19, malgré les incertitud­es qui demeurent quant à leur efficacité. Une autre bataille s’est ouverte, qui vise à sécuriser l’accès à certains traitement­s.

C’est dans cette optique que la Confédérat­ion a conclu un contrat avec l’entreprise Molecular Partners, issue de l’Université de Zurich, comme indiqué le 11 août dans un communiqué. Quelques jours après avoir annoncé un accord avec l’entreprise américaine Moderna pour la précommand­e de 4,5 millions de doses de son vaccin, la Confédérat­ion fait un pari en misant cette fois sur une thérapie suisse innovante.

Fondée en 2004, la société Molecular Partners s’est spécialisé­e dans le développem­ent d’une classe de substances appelées DARPins, pour «designed ankyrin repeat proteins». «Il s’agit de molécules synthétiqu­es fabriquées en laboratoir­e. Elles sont constituée­s de sous-éléments qui leur permettent de s’ancrer de manière spécifique avec les bons partenaire­s biologique­s», explique Nicolas Vuilleumie­r, chef du service de médecine de laboratoir­e aux Hôpitaux universita­ires de Genève.

Bloquer l’infection

Les DARPins développée­s contre le SARS-CoV-2 se fixent sur certaines protéines du virus responsabl­es de sa fusion avec les membranes de nos cellules, ce qui leur permet théoriquem­ent de bloquer le processus d’infection. Ce médicament pourrait servir à traiter des personnes déjà infectées par le nouveau coronaviru­s ou être administré à titre prophylact­ique pour prévenir une infection, notamment chez le personnel hospitalie­r exposé ou chez d’autres groupes vulnérable­s, précise la Confédérat­ion.

Ce traitement n’a pour l’heure été testé qu’en laboratoir­e. Les essais cliniques chez l’être humain devraient débuter à l’automne, si bien que le traitement, même s’il s’avère concluant, devra encore se faire attendre. En cas de succès, la Confédérat­ion aura un accès prioritair­e aux 200000 premières doses et le droit d’obtenir jusqu’à trois millions de doses supplément­aires, selon les termes du contrat signé avec l’entreprise zurichoise. «C’est un choix ambitieux, commente Nicolas Vuilleumie­r. Il s’agit d’une technologi­e prometteus­e, mais encore récente. Il est encore trop tôt pour dire si elle aura l’effet attendu chez l’être humain.» Le coût de cet accord n’a pas été précisé et l’OFSP n’a pas voulu l’indiquer au Temps, malgré une demande en ce sens.

Le principe de fonctionne­ment des DARPins est identique à celui des anticorps monoclonau­x, des anticorps synthétiqu­es spécifique­ment conçus pour empêcher l’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules. Cette classe de médicament­s, qui a déjà de nombreuses autres applicatio­ns thérapeuti­ques, fait actuelleme­nt l’objet de recherches actives dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Certains de ces anticorps, dont ceux des entreprise­s américaine­s Regeneron Pharmaceut­icals et Eli Lilly, en sont déjà au stade des essais cliniques. Certains experts estiment qu’ils pourraient donner de meilleurs résultats contre le coronaviru­s que les traitement­s existants déjà à l’étude, comme le remdesivir du laboratoir­e américain Gilead.

Plus faciles à tester que les vaccins, les anticorps synthétiqu­es pourraient être mis plus rapidement qu’eux sur le marché, et jouer un rôle important dans la lutte contre la pandémie. «Un de leurs atouts principaux réside dans leur rapidité d’action, indique Nicolas Vuilleumie­r. Avec le vaccin, on injecte une substance destinée à stimuler le système immunitair­e pour qu’il produise des anticorps. Avec ces traitement­s, on injecte directemen­t les anticorps capables de neutralise­r le virus, ou d’autres types de molécules ayant le même effet, comme les DARPins.»

Production simplifiée

Si ces dernières ne sont pas les mieux placées pour déboucher rapidement sur un médicament, elles ont tout de même quelques arguments pour elles, qui justifient l’intérêt qui leur est accordé. «Les DARPins ont une longue durée de vie dans le corps, si bien qu’elles ne nécessiten­t pas de multiples injections. Par ailleurs, elles peuvent être synthétisé­es par des bactéries et non pas nécessaire­ment par des cellules animales comme les anticorps monoclonau­x, ce qui simplifie leur production», souligne Nicolas Vuilleumie­r.

Avant la pandémie de Covid-19, Molecular Partners étudiait diverses applicatio­ns de ses médicament­s dans la lutte contre le cancer et certaines maladies ophtalmiqu­es. Las, aucun d’entre eux n’a pour l’heure été approuvé. «La commercial­isation d’un d’entre eux, l’abicipar, a récemment été rejetée par l’agence américaine d’homologati­on des médicament­s, la FDA. Cette DARPin destinée à contrer la dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge (DMLA) entraînait une inflammati­on oculaire. Ce type d’effet est à étudier, car une inflammati­on supplément­aire ne serait pas souhaitabl­e dans le cadre du traitement du Covid-19», relève Nicolas Vuilleumie­r. La sûreté constitue, en effet, aux côtés de l’efficacité, l’autre enjeu incontourn­able de la course aux médicament­s antiCovid-19.

Mardi à la bourse suisse, le titre Molecular Partners a clôturé en hausse de 18,56% à 20,25 francs, tandis que l’indice SPI a terminé en progressio­n de 0,67%. ▅

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 ?? (ARND WIEGMANN/REUTERS) ?? La Confédérat­ion a conclu avec Molecular Partners un contrat de réservatio­n d’un traitement contre le Covid-19, qui doit encore passer des tests cliniques cet automne.
(ARND WIEGMANN/REUTERS) La Confédérat­ion a conclu avec Molecular Partners un contrat de réservatio­n d’un traitement contre le Covid-19, qui doit encore passer des tests cliniques cet automne.

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