Le Temps

Le jardin éphémère devenu le lieu branché de la scène zurichoise

Au pied de la tour Freitag et de la Prime Tower, le Frau Gerolds Garten est devenu un lieu incontourn­able de la scène branchée locale. Alors qu’il aurait dû disparaîtr­e en 2017, le jardin urbain résiste et fait des émules sur les hauteurs de la cité

- NOÉMIE GUIGNARD, ZURICH @Noemie_Guignard

Katja Weber est une artiste qui peint à coups de palettes en bois et de plantes vertes, de fanions et de guirlandes lumineuses. Avec pour toile de fond des espaces urbains sous-exploités, cette amoureuse de la vie redessine la ville de Zurich à sa façon. Huit ans après avoir cofondé le Frau Gerolds Garten, elle donne vie à un nouvel espace, le Frau Guggachs Gärtli. «Regarde ce bar en bois. Il y a trois jours, il n’existait pas», lance avec un franc sourire Katja Weber. La Zurichoise d’adoption a l’enthousias­me communicat­if, de ceux qui permettent de métamorpho­ser une friche de 2000 mètres carrés en cinq semaines seulement. En un temps record, la jeune entreprene­use et son équipe ont obtenu les autorisati­ons d’animer le terrain de Guggach durant un petit mois.

Sur les hauteurs de la ville, le jardin de Mademoisel­le Guggach sera donc éphémère, une étoile filante dans la vie nocturne zurichoise. C’est l’art de la Zwischennu­tzung, l’utilisatio­n temporaire de lieux promis à d’autres destinées. «Ce projet est complèteme­nt irrationne­l. Il n’a rien de rentable, surtout dans la période actuelle. Mais je tenais à apporter ma pierre à l’édifice. En créant ce pop-up, on donne du travail à de jeunes restaurate­urs, on loue beaucoup de matériel et on crée un espace d’exposition pour les créateurs et designers indépendan­ts», se réjouit l’optimiste de nature, qui a finalement réussi à convaincre ses associés de créer ce jardin urbain temporaire. A quelques heures de l’inaugurati­on, on visse, on peint, on arrose, on accroche des guirlandes, on les enlève, on les suspend ailleurs, on cherche le plus bel effet. «Voir cette énergie collective faire surgir du néant un espace qui crée du lien social, c’est tout simplement magique», s’émerveille la jeune quadragéna­ire, qui n’en est pas à son coup d’essai.

Le jardin de Madame Gerold

Cette magie, Katja Weber la rêve sur papier en 2011 déjà. Après une carrière dans la finance, l’Allemande installée en Suisse depuis quinze ans reprend un master en design à la Haute Ecole d’art de Zurich (ZHDK). Pour son projet de fin d’études, elle imagine un site flexible et agile qui propose de la street food. «On a voulu renverser le paradigme en trouvant un lieu qui ne nous enferme pas à l’intérieur et qui offre un accès rapide à de la nourriture saine», se souvient l’étudiante d’alors, déjà bien implantée dans le milieu de l’événementi­el zurichois. L’opportunit­é se présente avec une bande de goudron dont personne ne veut, étriquée au coeur de la ville entre la tour Freitag, les clubs branchés du Kreis 5, la brocante et les rails de train.

Avec une équipe de jeunes entreprene­urs à la tête de plusieurs enseignes prisées de

Zurich, Katja Weber se lance. Tous passent le permis de transpalet­te, plongent les mains dans la terre et réinventen­t ce bout de friche. Du haut de la Prime Tower, une employée de la City Bank observe l’énergie qui jaillit de ce terrain vague. Spontanéme­nt, elle motive son équipe. Un samedi, toute la banque débarque pour donner un coup de main à ce qui deviendra le Frau Gerolds Garten. «Avec notre initiative, on a créé une respiratio­n urbaine qui a contribué au développem­ent de la ville», s’enthousias­me Katja Weber. Rappelant l’esthétique des squats où l’art de la récupérati­on et du bricolage n’a pas son égal, ce jardin urbain affiche un air volontaire­ment

«Ce projet est complèteme­nt irrationne­l.

Il n’a rien de rentable, surtout dans la période actuelle» KATJA WEBER, COFONDATRI­CE

DU FRAU GEROLDS GARTEN

désinvolte mais il est parfaiteme­nt orchestré par une équipe solide et déterminée.

Au centre, un ingénieux enchevêtre­ment de containers sert autant au bar, à la cuisine qu’à la terrasse, de laquelle descendent

des escaliers multicolor­es et des guirlandes lumineuses. Ici et là, des fresques murales d’artistes locaux entrent en dialogue avec les parasols colorés. Surtout, ce jardin ne serait rien sans ses plantes luxuriante­s et son jardin potager plantés en bacs, qui occupent chaque année un peu plus d’espace. Dans cette oasis urbaine, il flotte des airs de Berlin et cet îlot conquiert rapidement le coeur d’une génération qui, selon le magazine d’architectu­re Hochparter­re, «apprécie le punk, l’écologie, l’esthétique du recyclage, les parcs à thème et la nouvelle cuisine».

En sursis jusqu’en 2025

Contribuan­t au caractère mythique du lieu, ce jardin devait être éphémère. Tout avait donc été conçu de façon à pouvoir être intégralem­ent déplacé. Alors que sa mort était programmée en 2017, le jardin de Madame Gerold reste pourtant en sursis, au moins jusqu’à 2025. «L’aspect temporaire du projet nous a dès le début donné une certaine légèreté. Je crois que c’est ce qui nous a sauvés», philosophe la serial entreprene­use, qui a su conserver avec les années cette même décontract­ion.

Bien qu’elle avoue secrètemen­t espérer que ce lieu temporaire «durera toujours», Katja Weber est de ceux qui trouvent dans le charme de l’éphémère sa source de créativité. Streetfood festival, marché de Noël, cette artiste multiplie les espaces urbains propices à la rencontre et au dialogue. «Souvent, on nous case dans la catégorie «événementi­el». Mais on veut casser cette étiquette et profiter de nos structures pour offrir un espace de discussion», explique celle qui a lancé cet été au Frau Gerolds Garten des tables rondes avec l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich et la Haute Ecole d’art de Berne pour aborder des questions du futur: digitalisa­tion, gestion des données personnell­es, développem­ent durable. Mais, dans un futur immédiat, le plus grand défi de Katja Weber sera d’attirer du public dans le nouveau jardin qu’elle s’apprête à inaugurer. En plus de sa courte durée de vie, le Frau Guggachs Gärtli est situé dans un quartier légèrement excentré et méconnu des Zurichois. D’un air malicieux, la jeune quadragéna­ire compte bien «prouver que ce n’est pas le bout du monde. En plus, ici, on est sur les hauteurs, il y a une légère brise bien plus agréable qu’en plein centrevill­e.»

Dans cette oasis urbaine, il flotte des airs de Berlin, et cet îlot conquiert rapidement le coeur d’une génération

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 ?? (DOMINIC BÜTTNER POUR LE TEMPS) ?? Quelques vues du quartier éphémère zurichois. En bas à gauche, son initiatice, Katja Weber.
(DOMINIC BÜTTNER POUR LE TEMPS) Quelques vues du quartier éphémère zurichois. En bas à gauche, son initiatice, Katja Weber.
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