«Murder parties»
Les Romands raffolent désormais des «murder parties», des événements scénarisés où les participants doivent mener l’enquête afin de trouver les coupables d’un crime. Une manière originale de se divertir, qui favorise le suspense… et les rencontres
Qui a tué le professeur Moutarde avec le chandelier, dans la bibliothèque? A vous de le découvrir. Les Romands raffolent des «murder parties», ces événements scénarisés où les participants doivent mener l’enquête afin de trouver les coupables d’un crime. Une manière originale de se divertir, qui favorise le suspense… et les rencontres. Notre journaliste s’est prêtée au jeu. Récit.
Qui a tué le professeur Moutarde avec le chandelier, dans la bibliothèque? C’est cette fourbe de Mademoiselle Rose! Nombreux sont ceux qui gardent un souvenir ému des heures d’enfance passées à jouer au
Cluedo. Imaginez maintenant le même concept, mais grandeur nature: une enquête policière à mener en se déplaçant sur les lieux du crime, en dénichant des indices et en interrogeant les différents suspects. Si l’idée vous intrigue, vous aimerez certainement participer à une murder party, ou «soirée meurtre» en français.
Ce type de réception serait né autour de 1930 en Angleterre. Dans son roman
Un meurtre sera commis le…, Agatha Christie use d’ailleurs de ce subterfuge pour installer son histoire: lors d’une
murder party organisée dans le village de Chipping Cleghorm, un meurtre – un vrai – est commis. Et ce qui ne devait être qu’un canular se transforme en drame, que l’imbattable Miss Marple sera chargée d’élucider.
Il aura fallu attendre près d’un siècle pour que les murder parties se démocratisent en Europe et en Suisse. Elles sont désormais accessibles et il en existe de tous genres, dans différents endroits. Celle mise en place au Musée du Léman, à Nyon, fait un tel carton que les séances sont le plus souvent complètes. Nous avons pu y participer au sein d’un groupe de 10 personnes, puisque même en temps de pandémie, l’activité a été maintenue par l’institution.
Nous voilà donc en novembre 1883, embarqués sur le Rhône, à bord d’un bateau à vapeur qui traverse le Léman. Une tempête éclate et trois personnes disparaissent subitement. Que leur est-il arrivé? Nous avons une heure pour le découvrir. Avant de lancer le chronomètre, une animatrice nous attribue à chacun un personnage, ainsi qu’une de ses caractéristiques. Je suis une riche veuve affublée d’un collier de perles. Sur la fiche que l’on m’a distribuée, je peux lire que j’ai un terrible secret, et l’on me livre également quelques pistes au sujet des autres personnages. Le capitaine est fiancé à ma fille, et je voyage avec une dame de compagnie ésotérique, qui dit avoir des visions.
Au top départ, nous marchons dans les trois salles du musée qui servent de décor, et commençons à poser des questions aux autres participants, que nous ne connaissons pas. L’une d’entre elles, très charmante dame à la retraite, se plonge dans son rôle avec un enthousiasme non dissimulé, et je ne parviens pas à lui tirer un quelconque indice – serait-elle une fieffée menteuse?
Heureusement, des photos cachées dans des boîtes magiques offrent quelques astuces pour débloquer la situation. Mais au bout de 50 minutes, même si certaines intrigues familiales semblent désormais claires, personne ne sait encore où sont les disparus.
C’est l’atelier Sémaphore, basé à Corminboeuf et spécialisé dans la médiation culturelle, qui a créé ce jeu spécialement pour le musée en 2019, après avoir exercé ses talents au Musée d’histoire de Sion ou au château de Nyon. En Suisse romande, l’association vaudoise A la loupe crée aussi des murder parties sur mesure pour des groupes ou des institutions. Sa secrétaire générale, Sophie Pasche, invente des histoires depuis l’adolescence. Après s’être exercée sur ses amis et ses connaissances, elle monte un faux cambriolage au Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel, en 2017. Puis réalise Crime en eaux troubles spécialement pour la Maison de l’absinthe. La prochaine murder party, prévue en août au Jardin botanique de Genève, a été malheureusement reportée pour cause de Covid-19. Mais l’association continue, sur demande, à réaliser ses jeux pour des groupes de 30 personnes.
Comment Sophie Pasche expliquet-elle l’engouement pour ce type de soirées? «D’abord parce qu’il s’agit d’une expérience en immersion: le contenu proposé n’est pas figé, il évolue grâce à la participation du spectateur. Et surtout, pour moi, l’enquête est un prétexte à faire des rencontres. Parfois dans une soirée classique, les groupes ne se mélangent pas et restent dans leur bulle. Là, on doit parler aux inconnus pour faire avancer l’enquête. C’est incroyable de voir comment les plus timides se révèlent sociables lorsqu’ils jouent un rôle».
La première murder party à laquelle Sophie Pasche a assisté était une soirée «Meurtres et Mystères», un concept en vogue en Suisse romande depuis vingtcinq ans et pionnier du genre. Les prochains événements auront lieu fin août. Les spectateurs n’ont pas l’obligation de participer et ne jouent pas eux-mêmes un protagoniste, contrairement aux murder
parties actuelles. Mais pour autant, et malgré le Covid-19, le succès est total, et ce, malgré un prix élevé – 119 francs par tête – qui comprend le dîner et se justifie par le nombre d’acteurs et les costumes nécessaires au déroulement de la soirée.
«Avec le temps, les intrigues sont devenues plus complexes, précise AnneMichèle Ducret, fondatrice et productrice de ces soirées. Une ou deux fois, nous avons créé un spectacle sans meurtre. Mais dans le public, certains nous ont dit que c’était dommage!» Comme si la mort offrait le frisson nécessaire à l’amusement…
Pour ceux qui ne peuvent pas y mettre le prix et ne veulent pas attendre cet automne, l’équipe de Mortelle Soirée, basée à Lyon, a créé pendant le confinement une murder party virtuelle, à suivre sur Zoom. Le commissaire de police et les témoins répondront par vidéo, et c’est à vous de mener l’enquête. Cette fois, les victimes se nomment Johanna Lebrun, Sandra Tomalet ou Jérémy Valtek.
UNE OU DEUX FOIS, NOUS AVONS CRÉÉ UN SPECTACLE SANS MEURTRE. LES GENS NOUS ONT DIT QUE C’ÉTAIT DOMMAGE!
ANNE-MICHÈLE DUCRET, ORGANISATRICE DES SOIRÉES «MEURTRES ET MYSTÈRES»