Le Temps

Les secrets de la momie «tessinoise»

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

Les restes d’une princesse égyptienne reposant à la mairie de Brissago, au bord du lac Majeur, seront bientôt acheminés à l’Université de Zurich

Avant sa restaurati­on, des analyses seront menées, qui pourraient nous éclairer sur le mode de vie de la princesse et sur les techniques d’embaumemen­t

La momie, datée de 330 avant J.-C., avait été ramenée du Caire autour de 1887 par un ingénieur italien marié à une Tessinoise, puis léguée à la commune

La Suisse compte au moins une douzaine de momies, complètes ou partielles, exposées dans des musées ou précieusem­ent conservées dans des collection­s privées

Les restes de la princesse égyptienne Ta Sherit En Jmen quitteront bientôt le Tessin pour l’Université de Zurich, où ils feront l’objet d’analyses minutieuse­s. Celles-ci pourraient mener à des découverte­s sur le mode de vie de la princesse et sur les complexes techniques d’embaumemen­t

En septembre, un objet rare fera le voyage de Brissago à Zurich. Il s’agit de la momie du corps de Ta Sherit En Jmen, une princesse égyptienne ayant vécu à l’ère ptolémaïqu­e, plus de 300 ans avant J.-C., dans l’antique cité d’Akhmîm, sur le Nil. Autour de 1887, elle a été achetée au Caire par Zaccaria Zanoli, un ingénieur italien marié à une Tessinoise, qui l’a ramenée chez lui, à Brissago. A sa mort, la momie a été léguée à la commune.

«On ne sait jamais à quoi s’attendre; c’est comme ouvrir un cadeau de Noël»

FRANK RÜHLI, DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE MÉDECINE ÉVOLUTIVE (IEM) DE L’UNIVERSITÉ DE ZURICH

Depuis, elle repose à la mairie de Brissago, en attendant d’indispensa­bles travaux de restaurati­on qui ne se sont jamais faits, faute d’argent. En janvier 2019, le gouverneme­nt communal a demandé un devis pour sa restaurati­on, estimée à 123000 francs. Le Conseil communal a cependant refusé, en mai 2019, d’octroyer un crédit de cette valeur.

Ces jours, la commune de Brissago et l’Université de Zurich (UZH) ont signé un accord, convenant qu’en septembre la momie quittera les rives du lac Majeur pour être transférée à l’Institut de médecine évolutive de l’UZH. Là, des experts planifiero­nt les interventi­ons nécessaire­s pour préserver les restes de l’Egyptienne et procéderon­t à des examens qui pourraient révéler de nouveaux éléments sur son mode de vie.

Directeur de l’Institut de médecine évolutive (IEM) de l’Université de Zurich, travaillan­t depuis vingtcinq ans avec les momies, Frank Rühli réceptionn­era celle de Ta Sherit En Jmen. «C’est toujours intéressan­t. On ne sait jamais à quoi s’attendre; c’est comme ouvrir un cadeau de Noël», confie-t-il. L’idée d’accueillir ces précieux restes à Zurich est née il y a un an, lorsqu’il a lu dans le Blick que la commune de Brissago cherchait à s’en départir.

Mais à l’ETH Zurich on la connaissai­t déjà puisque, il y a une quinzaine d’années, une analyse au carbone y a été faite, évaluant la date de la momificati­on de la princesse à quelque 330 ans av. J.-C. Au moins une douzaine de momies sont présentes en Suisse, affirme Frank Rühli, précisant qu’il n’est pas facile de les comptabili­ser; certaines sont celles de corps d’enfants, d’autres ne sont que partielles. D’autres encore font partie de collection­s privées et ne sont pas exposées.

«D’un point de vue éthique, il est très important de faire le nécessaire pour préserver la momie de Brissago, sinon elle dépérira totalement», considère ce dernier. Dans une perspectiv­e biomédical­e, il ne sait pas encore, à ce stade, à quoi mèneront les investigat­ions.

Dans un premier temps, il s’agira non pas de restaurer la momie, mais de la stabiliser; elle est à peine transporta­ble, tellement elle est décrépite, souligne le médecin. Lorsque ce sera fait, elle sera soumise aux rayons X puis à une tomographi­e, laquelle permettra d’en obtenir des images 3D. «Grâce à celles-ci, nous serons en mesure de déceler son sexe, son âge, d’éventuelle­s maladies et, peutêtre, la cause de son décès. Ces images rendront également possible la reproducti­on virtuelle de la momie.»

Ensuite, des échantillo­ns d’ADN et de tissus pourraient être examinés. L’histopatho­logie – l’étude des changement­s dans les tissus cellulaire­s causés par la maladie – pourrait aussi donner des informatio­ns sur la provenance exacte de la princesse, son régime alimentair­e et ses pathologie­s. Selon ce qui ressortira de ces analyses, le traitement de leurs résultats pourrait prendre des semaines, voire des mois. Des recherches seront par ailleurs menées pour découvrir les techniques complexes d’embaumemen­t sous le linceul. Enfin, la momie sera restaurée.

Connexion avec le passé

«Grâce à la technologi­e moderne, nous sommes connectés avec le passé. En nous permettant de mieux connaître les pathologie­s d’époques antérieure­s, la paléomédec­ine sert la médecine moderne; c’est comme mettre ensemble les pièces d’un puzzle», observe Frank Rühli, ajoutant qu’en travaillan­t avec les momies, il réalise à quel point les gens du passé sont proches de nous, avec leurs joies et leurs malheurs. «C’est comme se regarder dans un miroir.»

Après ces analyses, la momie et son cartonnage seront restaurés par une équipe d’experts de la filière de conservati­on-restaurati­on de la Haute Ecole-Arc de Neuchâtel, dirigée par Valentin Boissonnas, en collaborat­ion avec la Haute Ecole des arts de Berne. Ce projet durera de trois à quatre ans. Une fois restaurée, la momie sera déposée dans les collection­s de l’IEM.

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La momie de Ta Sherit En Jmen, une princesse égyptienne ayant vécu à l’ère ptolémaïqu­e, plus de 300 ans av. J.-C., dans l’antique cité d’Akhmîm, sur le Nil.

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