Le Temps

L’UDC prédit «l’apocalypse au ralenti»

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le parti euroscepti­que lance sa campagne pour l’initiative visant à résilier l’accord de libre circulatio­n des personnes avec l’UE. Le Conseil fédéral se mobilise comme jamais pour la combattre

L’UDC n’a pas lésiné sur les images et les paroles fortes pour lancer sa campagne en faveur de son initiative pour résilier l’accord de libre circulatio­n des personnes (ALCP) avec l’UE: un postérieur aux couleurs européenne­s assis sur la Suisse et l’écrasant de tout son poids. «Trop c’est trop, s’est insurgée sa vice-présidente, Céline Amaudruz: trop d’immigratio­n, trop de bétonnage, trop de bouchons sur les routes, trop de chômage et trop de criminalit­é.»

Le 9 février 2014, l’UDC avait défait le Conseil fédéral à la surprise générale en faisant approuver son initiative «Contre l’immigratio­n de masse» à une majorité de 50,3%. Mais à l’époque, son texte n’était pas aussi clair et laissait planer l’incertitud­e concernant la mise en oeuvre. Revenant à la charge, l’UDC ne donne cette fois-ci qu’un an au Conseil fédéral pour renégocier l’accord avant de devoir le résilier en cas d’échec.

«L’UE serait bête»

Les opposants y voient là une «mission impossible» et redoutent la fin de la voie bilatérale, l’ALCP étant lié par une clause guillotine à six autres accords dans le cadre d’un premier paquet conclu en 1999. Mais l’UDC reste sereine. Elle est persuadée que Bruxelles n’a pas intérêt à les laisser tomber. «Si l’UE actionne la clause guillotine, alors elle est bête», affirme son président, Albert Rösti. Même dans cette hypothèse, il ne craint pas le scénario catastroph­e. «Ces six accords profitent moins à la Suisse que l’ALCP nuit à notre pays.».

Car la libre circulatio­n des personnes, c’est «l’apocalypse au ralenti», prédit Céline Amaudruz: une Suisse surpeuplée qui comptera bientôt 10 millions d’habitants; une densificat­ion équivalent­e à la disparitio­n de 57000 terrains de football; du temps (70 ans par année en temps cumulé) perdu sur les routes en raison des bouchons; et enfin une pression sur les salaires, surtout dans les régions transfront­alières comme le Tessin: «Le risque de tomber dans la pauvreté a passé de 20% à 30% dans mon canton et le nombre de bénéficiai­res de l’aide sociale a doublé», a encore asséné le conseiller aux Etats Marco Chiesa, qui devrait devenir le futur président de l’UDC.

On le voit, le plus grand parti de Suisse attaque sur tous les fronts dans la posture qu’il préfère: celle de David contre Goliath. Surprise: en l’occurrence, Goliath, ce n’est pas l’Europe, mais l’associatio­n faîtière Economiesu­isse, «la voix des grandes entreprise­s multinatio­nales». Assurément, l’UDC aimerait beaucoup se faire l’avocate des PME, qui sont le véritable moteur de l’économie helvétique. Mais cette fois, leur associatio­n, soit l’USAM, a clairement pris position contre l’initiative. En 2014, alors que Jean-François Rime en était encore le président, elle s’était abstenue.

La voix dissidente de Peter Spuhler

Si l’UDC adore se retrouver «seule contre le reste du monde», en revanche elle n’apprécie pas les voix dissidente­s en son propre sein, surtout celle de l’entreprene­ur à succès Peter Spuhler, le CEO de Stadler Rail. L’homme qui a fait renaître l’industrie ferroviair­e en Suisse juge

non seulement cette initiative «extrêmemen­t dangereuse», mais il a décidé de s’engager dans la campagne. C’est ainsi qu’il organise une manifestat­ion publique dans ses ateliers avec, comme oratrice, la conseillèr­e fédérale Karin Keller-Sutter. Interrogé à ce propos, le président sortant de l’UDC, Albert Rösti, cache mal son embarras: «Peter Spuhler vend ses trains à des pays de l’Europe de l’Est qui ont besoin de la libre circulatio­n», répond-il laconiquem­ent. Peut-être, mais il a créé au total 10000 emplois dont un peu moins de la moitié sont en Suisse.

Dans le camp des adversaire­s de l’initiative, le Conseil fédéral tient à laver l’affront de 2014 et se mobilise comme jamais. Pas moins de quatre conseiller­s fédéraux participen­t activement à la campagne: Karin Keller-Sutter bien sûr, qui est chargée du dossier, mais aussi Alain Berset – qui sera à Payerne –, Ignazio Cassis au Tessin notamment, et la présidente, Simonetta Sommaruga. Dernier sujet d’irritation pour l’UDC: l’un de ses deux conseiller­s fédéraux, le ministre de l’Economie, Guy Parmelin, a fait savoir dans la

NZZ am Sonntag qu’il se montrerait collégial en combattant l’initiative, ce qui lui a valu une volée de bois vert dans son parti.

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